Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2021 lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui renouveler un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait susceptible d'être éloigné en cas d'exécution contrainte.
Par un jugement n° 2101749 du 16 novembre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Mainnevret, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 novembre 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler la décision du 9 juillet 2021 du préfet de l'Aube ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
s'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 425-9 et R. 425-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il ne pourra pas bénéficier du même suivi médical qu'en France ni d'un bon traitement en Centrafrique ;
s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il a deux frères et deux sœurs en France et a perdu contact avec sa compagne et ses enfants en Centrafrique depuis 2014 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2022, le préfet de l'Aube, représenté par Me Termeau, conclut au rejet de la requête et ce que M. B... soit condamné à verser à l'Etat la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les observations de Me Lemonnier, substituant Me Mainnevret, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant centrafricain né le 24 juin 1987, serait entré irrégulièrement en France le 22 juillet 2017 afin d'y solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande par une décision du 28 juin 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 12 décembre suivant. Le 2 janvier 2020, l'intéressé s'est vu délivrer un titre de séjour à raison de son état de santé valable du 22 juillet 2020 au 21 janvier 2021. Le 16 décembre 2020, il en a sollicité le renouvellement. Par un arrêté du 9 juillet 2021, le préfet de l'Aube a refusé d'y faire droit, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait susceptible d'être éloigné en cas d'exécution contrainte. M. B... relève appel du jugement du 16 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 9 juillet 2021 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) " et aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tout élément permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Par un avis rendu le 6 mai 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de M. B... nécessitait, à la date de l'avis, une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pouvait bénéficier d'un traitement approprié et voyager sans risque vers son pays d'origine.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est atteint du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), diagnostiqué en 2017, pour lequel il bénéficie d'un traitement antirétroviral de type Genvoya (TAF, Emtricitabine, Elvitégravir, Cobicistat) selon le certificat médical confidentiel adressé au médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Ce certificat médical précise que ce traitement doit être poursuivi à vie. Pour contester l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration selon lequel il pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, le requérant produit, à hauteur d'appel, un message électronique de la société Gilead Sciences qui précise que sa spécialité, le Genvoya, n'est pas disponible en Centrafrique. En se bornant à faire valoir un certificat médical du 20 juin 2022, au demeurant postérieur à la décision attaquée, selon lequel le requérant a un traitement comprenant le Rilpivirin et le Cabotegravir et non le Genvoya, le préfet qui ne soutient même pas qu'un substitut à ce traitement antirétroviral existerait en Centrafrique, ne parvient pas à contredire les éléments produits par le requérant et qui sont de nature à renverser la présomption émanant de l'Office français de l'immigration et de l'intégration selon laquelle il pourra bénéficier d'un traitement approprié sa son pays d'origine. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir qu'en refusant de faire droit à sa demande de titre de séjour, le préfet de l'Aube a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9. Dès lors, cette décision de refus de séjour et, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont entachée d'illégalités.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Eu égard au motif qui fonde l'annulation de la décision préfectorale du 9 juillet 2021, qui a refusé à M. B... l'attribution d'un titre de séjour qui est de plein droit aux termes des dispositions mentionnées au point 2, le présent arrêt implique nécessairement qu'un tel titre lui soit délivré. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de l'Aube de délivrer à M. B... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Mainnevret, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à ce conseil d'une somme de 1 200 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2101749 du 16 novembre 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 9 juillet 2021 du préfet de l'Aube sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de délivrer à M. B... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Mainnevret la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Goujon-Fischer, président,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2022.
La rapporteure,
Signé : S. Roussaux
Le président,
Signé : J-F Goujon-Fischer
La greffière,
Signé : E. Delors
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
E. Delors
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N° 21NC03279