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29/06/2022 | FRANCE | N°21NC03318

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 29 juin 2022, 21NC03318


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 13 décembre 2021 par lesquels le préfet du Doubs a ordonné son transfert aux autorités polonaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Doubs pendant une durée de quarante-cinq jours, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de huit jours à compter de la notification du jugement ou, subsidiairement, de

procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la no...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 13 décembre 2021 par lesquels le préfet du Doubs a ordonné son transfert aux autorités polonaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Doubs pendant une durée de quarante-cinq jours, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de huit jours à compter de la notification du jugement ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2102226 du 16 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces arrêtés, a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de dix jours et a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 900 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

II. Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 22 décembre 2021 par lesquels le préfet du Doubs a ordonné son transfert aux autorités polonaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Doubs pendant une durée de quarante-cinq jours, et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2102294 du 29 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces arrêtés et a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 900 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021 sous le n° 21NC03318, le préfet du Doubs demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2102226 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon du 16 décembre 2021.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a annulé les arrêtés du 13 décembre 2021 en considérant qu'il aurait dû faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 pour que la France soit l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme B... ;

- ce moyen est sérieux et, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué, au sens des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2022, Mme A... B..., représentée par Me Bouchoudjian, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à son avocat qui renonce à percevoir le montant de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, elle a été introduite avant la requête d'appel et ne contient pas en annexe la copie de la requête d'appel ;

- elle est dépourvue de moyen sérieux.

II. Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021 sous le n° 21NC03321, le préfet du Doubs demande à la cour d'annuler le jugement n° 2102226 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon du 16 décembre 2021.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a annulé les arrêtés du 13 décembre 2021 en considérant qu'il aurait dû faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 pour que la France soit l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme B....

Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2022, Mme A... B..., représentée par Me Bouchoudjian, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à son avocat qui renonce à percevoir le montant de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que le moyen de la requête n'est pas fondé.

III. Par une requête enregistrée le 27 janvier 2022 sous le n° 22NC00198, le préfet du Doubs demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon n° 2102294 du 29 décembre 2021.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a annulé les arrêtés du 22 décembre 2021 en considérant qu'il aurait dû faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 pour que la France soit l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de Mme B... ;

- ce moyen est sérieux et, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué, au sens des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 3 mars 2022, Mme A... B..., représentée par Me Bouchoudjian, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à son avocat qui renonce à percevoir le montant de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable, elle a été introduite avant la requête d'appel et ne contient pas en annexe la copie de la requête d'appel ;

- à titre subsidiaire, elle est dépourvue de moyen sérieux.

IV. Par une requête enregistrée le 27 janvier 2022 sous le n° 22NC00199, le préfet du Doubs demande à la cour d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon n° 2102294 du 29 décembre 2021.

Il soutient que :

- le supposé frère de Mme B... ne peut être comme un membre de la famille au sens du règlement de l'UE 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle ne remplit pas les conditions des article 10, 11, et 16 du règlement Dublin faute de démontrer des liens suffisamment forts avec son frère arrivé en France bien avant elle ;

- Mme B... bénéficie des conditions d'accueil de l'OFII et ne vit pas avec son frère ;

- elle a été en mesure de défendre ses droits en Pologne et ne démontre pas que son frère serait un soutien pour elle ;

- elle ne démontre pas plus être dans un état de vulnérabilité s'opposant à son transfert en Pologne ;

- par suite sa décision par laquelle il n'a pas fait usage de la clause discrétionnaire n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire, enregistré le 3 mars 2022, Mme A... B..., représentée par Me Bouchoudjian, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à son avocat qui renonce à percevoir le montant de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- le jugement contesté n'annule pas l'arrêté de transfert pour erreur manifeste d'appréciation mais pour méconnaissance de l'article 17 du règlement n° 604/2013 et pour erreur de droit ;

- contrairement à ce qui est soutenu le tribunal n'a pas remis en cause la détermination de l'Etat responsable ;

- l'argumentation développée vient confirmer le défaut d'examen de sa situation.

Par quatre décisions du 29 mars 2022 et du 26 avril 2022, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les pièces des dossiers :

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ghisu-Deparis, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante afghane née le 13 juillet 1994, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture du Doubs le 21 septembre 2021. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que l'intéressée avait préalablement déposé une demande d'asile en Pologne, le 8 juillet 2021. Le préfet du Doubs a saisi les autorités polonaises d'une demande de reprise en charge de Mme B... en application de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, lesquelles l'ont explicitement acceptée le 7 octobre 2021. Par deux arrêtés du 13 décembre 2021, le préfet du Doubs a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités polonaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 16 décembre 2021 n° 2102226, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces deux arrêtés, a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de Mme B... dans un délai de dix jours et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de la requérante de première instance le versement d'une somme de 900 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. En exécution de ce jugement, le préfet du Doubs, a, par deux arrêtés du 22 décembre 2021, ordonné à nouveau le transfert de Mme B... aux autorités polonaises responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Doubs pendant une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement n° 2102294 du 29 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces deux arrêtés et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de la requérante de première instance le versement d'une somme de 900 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par quatre requêtes qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, le préfet du Doubs demande le sursis à exécution de ces deux jugements ainsi que leur annulation.

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné dans les deux jugements :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paraphage 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

3. Il ressort des pièces des dossiers et plus particulièrement des entretiens individuels de Mme B... que cette dernière a quitté son pays d'origine, l'Afghanistan, au cours de l'été 2021 à destination de la Russie pays pour lequel elle a obtenu un visa. Elle s'est rendue en Pologne, où, lors d'un contrôle, elle a déposé une demande d'asile le 8 juillet 2021. Elle a quitté ce pays, traversé l'Allemagne pour arriver en France, où elle a déposé une demande d'asile le 21 septembre 2021. Pour démontrer l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet en refusant de faire usage des dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour permettre que sa demande d'asile soit examinée en France, Mme B... se prévaut de la présence de son frère sur le territoire depuis plusieurs années qui bénéficie de la protection subsidiaire. Si cette présence n'est pas sérieusement contestée, les pièces versées aux dossiers ne permettent pas d'établir que Mme B... entretiendrait un quelconque lien avec son frère. Dans ces conditions, l'arrêté contesté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

4. Le préfet du Doubs est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué n° 2102226 du 16 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du 13 décembre 2021 portant remise de Mme B... aux autorités polonaises et par voie de conséquence celui l'assignant à résidence. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Besançon.

5. En revanche, il ressort des termes du second jugement n° 2102294 du 29 décembre 2021 relatif à l'arrêté du 22 décembre 2021 portant transfert de Mme B... aux autorités polonaises, que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a retenu un second motif d'annulation tiré du défaut d'examen de la situation de l'intéressée. Or, le préfet du Doubs ne conteste pas à hauteur d'appel ce second motif qui justifiait à lui seul l'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2021 portant transfert, et par voie de conséquence, celui du même jour portant assignation à résidence. Par suite, la requête n° 22NC00199 doit être rejetée.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance dans la procédure n° 2102226 :

S'agissant de l'arrêté portant transfert aux autorités polonaises :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac (...) "

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vu remettre, le 21 septembre 2021 par les services de la préfecture du Doubs contre signature, deux documents dont l'un est intitulé " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A), et l'autre est intitulé " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B). Ces documents, rédigés en langue farsi que la requérante a déclaré comprendre, comportent l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne saurait qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) "

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié d'un entretien individuel le 21 septembre 2021 et qu'elle était assistée d'un interprète en langue dari pendant toute la durée de ses échanges avec les services de la préfecture. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent qui a mené l'entretien n'aurait pas eu les qualifications pour le faire. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

10. En troisième lieu, il ne ressort pas des termes de la décision attaquée que le préfet n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de la requérante.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

12. Mme B... soutient que la décision portant transfert en Pologne méconnaît les stipulations et dispositions susvisées en ce qu'il y existerait des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs. Si la requérante produit, à l'appui de ces allégations, deux articles de presse et un troisième émanant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il est constant que la Pologne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme à ces textes. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités polonaises, qui ont d'ailleurs explicitement accepté la reprise en charge de Mme B..., n'examineront pas sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en tout état de cause, 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.

13. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

14. Si Mme B... fait valoir qu'elle n'a aucune famille en Pologne et que son frère réside en France, la réalité des liens qu'elle entretiendrait avec lui, présent sur le territoire depuis 2017, n'est pas démontrée. Ainsi, Mme B..., qui ne justifie que de quelques mois de présence en France à la date de l'arrêté litigieux, ne justifie pas disposer d'attaches suffisamment anciennes, intenses et stables sur le territoire. Il ne ressort par suite pas des pièces du dossier que l'arrêté en litige porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect à une vie privée et familiale. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

S'agissant de l'arrêté portant assignation à résidence :

15. Faute pour la requérante d'avoir démontré l'illégalité de l'arrêté de transfert, le moyen tiré d'une telle illégalité, invoqué par la voie de l'exception à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence, doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Doubs est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé les arrêtés du 13 décembre 2021. Les articles 2, 3 et 4 du jugement du 16 décembre 2021 n° 2102226 sont par suite annulés et la demande de Mme B... tendant à l'annulation des arrêtés du 13 décembre 2021 portant transfert vers les autorités polonaises et assignations à résidence rejetée.

Sur les sursis à exécution des jugements :

17. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur les appels du préfet du Doubs contre les jugements du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon des 16 et du 29 décembre 2021. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ces jugements sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux instances :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme B... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions des requêtes n° 21NC03318 et 22NC00198 du préfet du Doubs à fin de sursis à exécution des jugements des 16 et 29 décembre 2021.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2102226 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon du 16 décembre 2021 sont annulés.

Article 3 : La demande, enregistrée sous le n° 2102226, présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Besançon est rejetée.

Article 4 : La requête n° 22NC00199 est rejetée.

Article 5 : Les conclusions de Mme B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B....

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

Mme Grossrieder, présidente-assesseure.

Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juin 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : V. Ghisu-DeparisL'assesseure la plus ancienne,

Signé : S. Grossrieder

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 21NC03318, 21NC03321, 22NC00198, 22NC00199


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC03318
Date de la décision : 29/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Véronique GHISU-DEPARIS
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BOUCHOUDJIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-29;21nc03318 ?
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