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16/06/2022 | FRANCE | N°21NC02843

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 16 juin 2022, 21NC02843


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 juin 2021 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une période d'un an, d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour et, à défaut, de réexaminer sa situation, au besoin sous astreinte et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son con

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 juin 2021 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une période d'un an, d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour et, à défaut, de réexaminer sa situation, au besoin sous astreinte et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2103987 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 21NC02843 le 1er novembre 2021, M. A..., représenté par Me Blanvillain, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 1er octobre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juin 2021 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une période d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour et, à défaut, de réexaminer sa situation, au besoin sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les 1° et 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est entré régulièrement sur le territoire français et ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- elle est entachée d'erreurs de fait ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

s'agissant de l'interdiction de retour :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 23 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien, est entré en France le 19 juillet 2017 sous couvert d'un visa de court séjour valable du 10 juillet au 24 août 2017 et a déclaré y être entré à nouveau en septembre 2018. Par un arrêté du 28 juin 2020, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un arrêté du 3 juin 2021, faisant suite à un contrôle d'identité et à un placement en rétention administrative, le préfet de la Moselle de nouveau l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 1er octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 juin 2021 :

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de motivation :

2. L'arrêté du 3 juin 2021 énonce les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions qu'il comporte, notamment l'obligation faite à M. A... de quitter sans délai le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans, et est ainsi suffisamment motivé. L'arrêté n'avait pas à citer l'accord franco-algérien, qui ne constitue pas, au demeurant, le fondement des mesures prononcées. En outre, si l'intéressé soutient que cet arrêté mentionne des faits matériellement inexacts et comporte une appréciation inexacte de sa situation, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur le respect de l'obligation de motivation.

En ce qui concerne les autres moyens :

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré (...) s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ".

4. Comme l'ont relevé les premiers juges, M. A... a été relaxé, par un jugement du tribunal correctionnel du 29 juin 2020, du chef de vol avec violence n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail, faits supposés avoir été commis le 21 juin 2020 et sur lesquels le préfet de la Moselle s'est fondé à titre exclusif pour considérer que le comportement de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, l'obligation faite à M. A... de quitter sans délai le territoire français ne pouvait trouver de fondement légal dans les dispositions, citées au point précédent, du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En revanche, lors de son audition par les services de police le 2 juin 2021, M. A... a déclaré être entré en France en dernier lieu en septembre 2018, de manière irrégulière. S'il soutient désormais que ces déclarations étaient mensongères, il ne l'établit pas, de sorte qu'il a pu faire légalement l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, en admettant le caractère mensonger de ces déclarations, le préfet de la Moselle fait valoir dans ses écritures, communiquées au requérant, que M. A... entrait alors dans le cas, prévu par le 2° de cet article, où un étranger peut faire l'objet d'une telle mesure, dès lors qu'entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré, il s'y serait maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour. Ainsi, l'obligation de quitter le territoire français était susceptible d'être légalement fondée sur cet alinéa. Par suite, en obligeant le requérant à quitter le territoire français, le préfet n'a pas méconnu l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En deuxième lieu, lors de son audition par les services de police le 2 juin 2021, M. A... a non seulement déclaré être entré en France en dernier lieu en septembre 2018, après avoir d'abord rejoint l'Italie en bateau, mais a également indiqué que sa mère et sa femme résidaient en Algérie. S'il soutient avoir menti sur ces différents points et être célibataire, il ne l'établit pas. En tout état de cause, les erreurs de fait dont l'arrêté du préfet, qui a repris les déclarations de l'intéressé, serait entaché n'ont, en l'espèce, aucune incidence sur la légalité de la décision contestée, dès lors qu'ils ne fondent pas légalement la mesure d'éloignement litigieuse.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré pour la première fois en France au plus tôt en 2017. Après avoir déclaré que son épouse résidait encore en Algérie, il se prétend désormais célibataire et n'apporte pas de précisions sur les liens qu'il entretient en France avec des membres de sa famille, notamment son oncle, seule personne dont il justifie de la présence régulière sur le territoire français. Il n'est en tout état de cause pas dépourvu d'attaches familiales en Algérie où réside, à tout le moins, sa mère. En outre, la formation qu'il a suivie en France n'implique pas son maintien sur le territoire français. Dans ces conditions, la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue des desquels elle a été prise et n'a dès lors pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas non plus entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle et familiale de l'intéressé.

S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

9. En premier lieu, M. A..., à qui le préfet n'a accordé aucun délai de départ volontaire, ne justifie pas de circonstances humanitaires pouvant justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour.

10. En deuxième lieu, s'il résulte des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour fixer la durée d'une interdiction de retour à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux, il résulte, d'une part de ce qui a été dit au point 7 du présent arrêt au sujet de la nature et de l'ancienneté des liens de M. A... avec la France, d'autre part de la circonstance que celui-ci s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement que le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 612-10 en fixant à deux ans la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français.

11. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter les moyens tirés, à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français, de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle et familiale du requérant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A....

Sur les frais liés à l'instance :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- M. Rees, président-assesseur,

- M. Goujon-Fischer, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. Goujon-FischerLa présidente,

Signé : S. Vidal

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 21NC02843


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02843
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BLANVILLAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-16;21nc02843 ?
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