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16/06/2022 | FRANCE | N°20NC02535

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 16 juin 2022, 20NC02535


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... B..., née D..., a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du ministre de l'intérieur portant refus de délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport, d'enjoindre au ministre de lui délivrer sans délai une carte nationale d'identité et un passeport français et de condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 euro symbolique en réparation du préjudice qu'elle a subi.

Par un jugement n° 1803549 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Nancy a

rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... B..., née D..., a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du ministre de l'intérieur portant refus de délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport, d'enjoindre au ministre de lui délivrer sans délai une carte nationale d'identité et un passeport français et de condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 euro symbolique en réparation du préjudice qu'elle a subi.

Par un jugement n° 1803549 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 août 2020, sous le n° 20NC02535, Mme B..., née D..., représentée par Me Houessou, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur portant refus de délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport ;

3°) d'enjoindre au ministre de lui délivrer sans délai une carte nationale d'identité et un passeport français ;

4°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 euro symbolique en réparation du préjudice qu'elle a subi.

Elle soutient que :

- le signataire de la décision du ministre de l'intérieur n'était pas compétent ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- en estimant que l'acte de naissance de son père, délivré par le service central d'état civil de Nantes, ne suffisait pas à justifier qu'il avait conservé de plein droit la nationalité française après l'accession à l'indépendance des anciens territoires d'outre-mer ou sous tutelle de la France, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- le ministre a commis une erreur de droit et d'appréciation et violé l'article 32-3 du code civil, notamment en affirmant que toutes les personnes qui étaient de nationalité française au moment de leur naissance ont perdu la nationalité française après l'accession à l'indépendance des anciens territoires d'outre-mer ou sous tutelle dont elles étaient originaires ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 et de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 ; elle est fille et petite-fille de personnes ayant la nationalité française ;

- la décision attaquée a été prise en violation de la circulaire n° IOCK1002582C.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de première instance était tardive ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité,

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 avril 2018, Mme B..., née D..., a, pour la première fois, sollicité du préfet de Meurthe-et-Moselle la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport. Le silence gardé par le préfet a fait naître une décision implicite de rejet, contre laquelle l'intéressée a formé un recours hiérarchique auprès du ministre de l'intérieur le 18 juillet 2018. Par une décision expresse du 27 novembre 2018, le ministre de l'intérieur a rejeté ce recours. Mme B..., née D..., relève appel du jugement du 30 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme d'un euro symbolique en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur :

2. La requérante soulève pour la première fois en appel le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision prise par le ministre de l'intérieur sur son recours hiérarchique. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée n'avait, en première instance, présenté que des moyens de légalité interne. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de sa décision, qui se rattache à une cause juridique distincte, doit être écarté comme irrecevable.

Sur la demande de la légalité de la décision du 27 novembre 2018 :

3. En premier lieu, la décision du ministre de l'intérieur du 27 novembre 2018 est signée de Mme Séverine Reymund, conseillère d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer, chef du bureau des titres d'identité et de voyage, à qui le sous-directeur des libertés publiques, lui-même compétent en vertu du 2° de l'article 1er du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, a donné délégation par une décision du 2 septembre 2016, publiée au Journal officiel de la République française n° 0206 du 4 septembre 2016 à l'effet de signer tous actes, arrêtés et décisions dans la limite des attributions de l'intéressée, au nombre desquelles figure la délivrance des titres d'identité et de voyage. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision contestée manque en fait.

4. En second lieu, aux termes de l'article 2 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques : " Le passeport électronique est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande (...) ". Pour l'application de ces dispositions des décrets des 22 octobre 1955 et 30 décembre 2005, il appartient aux autorités administratives compétentes de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de passeport.

5. Il ressort des pièces du dossier que la requérante, qui revendique la nationalité française par filiation paternelle, s'est vue refuser la délivrance d'un certificat de nationalité française le 2 novembre 2016 par le greffier du tribunal d'instance de Villejuif au motif qu'elle ne justifiait pas de la conservation de la nationalité française par son grand-père paternel, M. C... D..., lors de l'accession à l'indépendance du Dahomey, alors que, selon la loi n° 60-752 du 28 juillet 1960, les personnes originaires de ce territoire devaient, pour conserver la nationalité française, avoir établi leur domicile hors des ex-territoires d'outre-mer ou avoir souscrit une déclaration de reconnaissance de nationalité française, et qu'en conséquence son père, M. G... (E...) D..., mineur au 1er août 1960, avait suivi la condition de son propre père et avait lui aussi potentiellement perdu la nationalité française. Si à la date de la décision du ministre, la requérante avait formé un recours contre ce refus de délivrance d'un certificat de nationalité auprès du tribunal et s'était prévalue devant le ministre de l'acte de naissance de son père, lequel suffisait selon elle, à attester de sa nationalité française, la présentation de cet acte d'état civil ne permettait pas, au regard du motif de refus avancé par le greffier du tribunal d'instance de Villejuif, de vérifier que son père avait conservé la nationalité française. Dans ces circonstances, le ministre de l'intérieur n'a pas inexactement apprécié les faits de l'espèce en estimant que le refus de délivrance à l'intéressée d'un certificat de nationalité française faisait naître un doute suffisant sur sa nationalité française pour justifier un refus de délivrance des titres sollicités. Au demeurant, le 30 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que la requérante n'était pas française, après avoir relevé qu'une incertitude entachait l'état civil de G... D..., père mentionné dans l'acte de naissance de l'intéressée, l'identité entre cette personne et M. E... D..., fils de M. C... D..., n'étant pas établie par les pièces produites devant le tribunal.

6. Ainsi qu'il a été dit, le refus de délivrance d'une carte d'identité et d'un passeport opposé à la requérante est fondé sur un doute sur sa nationalité, né du refus des services judiciaires de lui délivrer un certificat de nationalité française lié lui-même à l'incertitude quant au fait que son père, réputé être né français, ait conservé la nationalité française à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 60-752 du 28 juillet 1960. Eu égard au motif de refus que lui a ainsi opposé le ministre, l'intéressée ne saurait utilement se prévaloir du principe selon lequel un acte de naissance délivré par le service central d'état civil du ministère des Affaires étrangères est une preuve de nationalité française, qui résulte selon elle des articles 2 et 7 de la loi n° 68-671 du 25 juillet 1968, de l'article 141 du code de la nationalité, des articles 1er, 2-1 et 4 du décret n° 65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central d'état civil au ministère des Affaires étrangères, de l'article 1er du décret n° 80-308 du 25 avril 1980, de l'article 98 du code civil et des articles 1057 et 1058 du code de procédure civile.

7. La requérante n'invoque pas utilement non plus les dispositions de la circulaire NORIOCK1002582C du 1er mars 2010 relative à la simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement des cartes nationales d'identité et des passeports prescrivant aux services instructeurs de ne pas vérifier plus avant la nationalité française d'un demandeur qui produit un acte d'état civil établi par le service central d'état civil du ministère des Affaires étrangères, dès lors, en tout état de cause, que ces dispositions, qui n'ajoutent pas à l'état du droit et se bornent à recommander aux services instructeurs l'allègement des procédures en matière de délivrance des cartes d'identité et de passeport, sont dépourvues de caractère réglementaire et ne présentent pas davantage le caractère d'une interprétation d'une règle au sens de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration.

8. Enfin, le ministre n'a pas estimé que toutes les personnes nées sur le territoire des anciens territoires d'outre-mer ou territoires sous tutelle qui étaient de nationalité française au moment de leur naissance ont perdu la nationalité française après l'accession à l'indépendance de ces territoires. Ainsi, il n'a, en tout état de cause, pas méconnu l'article 32-3 du code civil.

9. Il s'ensuit que le ministre de l'intérieur n'a entaché sa décision d'aucune erreur de fait, d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B..., née D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentée par la requérante.

Sur les conclusions indemnitaires :

12. Le rejet du recours hiérarchique présenté par la requérante auprès du ministre de l'intérieur n'étant pas illégal, celle-ci n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle soutient avoir subi du fait de cette décision.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, la somme demandée par la requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B..., née D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- M. Rees, président-assesseur,

- M. Goujon-Fischer, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. Goujon-FischerLa présidente,

Signé : S. Vidal

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 20NC02535


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02535
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-01 Droits civils et individuels. - État des personnes. - Nationalité.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : HOUESSOU

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-16;20nc02535 ?
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