Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... épouse E... et M. C... E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 2 112 051 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de fautes commises à l'occasion du contrôle de l'activité de formation professionnelle de la société FH Consulting, assortie des intérêts de droit à compter du 8 août 2016 et de la capitalisation des intérêts échus à compter de cette même date et de le condamner aux entiers dépens.
Par un jugement n° 1605402 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 janvier 2020, Mme D... B... épouse E... et M. C... E..., représentés par Me Plançon, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 4 décembre 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme totale de 2 112 051 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de fautes commises à l'occasion du contrôle de l'activité de formation professionnelle de la société FH Consulting, assortie des intérêts de droit à compter du 8 août 2016 et de la capitalisation des intérêts échus à compter de cette même date ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la prescription quadriennale n'est pas applicable à leur demande dès lors qu'elle ne s'applique pas à la responsabilité pour faute de l'Etat et qu'en tout état de cause, le délai n'a pu commencer à courir qu'à compter de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar les relaxant ;
- la DIRECCTE a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en retenant l'existence de manœuvres frauduleuses émanant des époux E... et en en informant l'ensemble de leurs partenaires, ce qui a entrainé notamment le placement en liquidation judiciaire de leur société ;
- dès lors que la cour d'appel les a relaxés des infractions, les sanctions administratives ne sont plus fondées ;
- en ne procédant qu'à un retrait partiel le 17 août 2016 de sa décision du 21 septembre 2010, le préfet a méconnu l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar ;
- les dispositions de l'article L. 6354-2 du code du travail sur lesquelles se fonde la DIRECCTE dans son rapport du 18 mars 2010 ayant été abrogées le 26 novembre 2009, le préfet aurait dû faire application des nouvelles dispositions et sa décision est dès lors dépourvue de tout fondement juridique ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée dès lors que la volonté manifeste de la DIRECCTE de leur nuire dans le cadre de son contrôle leur a causé un préjudice anormal et spécial ;
- ils sont fondés à demander l'indemnisation de leur préjudice financier et de leur préjudice moral tenant à l'atteinte portée à leur réputation à hauteur de 2 112 051,02 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2020, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il soutient à titre principal, que le délai de quatre années pour demander l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité de la décision du préfet du 21 septembre 2010 a expiré le 1er janvier 2015 et que dès lors la créance était prescrite au 8 août 2016. A titre subsidiaire, que ni la responsabilité pour faute de l'Etat ne peut être engagée en raison de la procédure de contrôle de la DIRECCTE qui a respecté les dispositions du code du travail, ni sa responsabilité sans faute.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... a créé en 2006 une école de formation dénommée Renaissance académie de formation, qui est devenue la société à responsabilité limitée (ci-après SARL) FH Consulting le 2 février 2010. A la suite d'un contrôle administratif et financier de l'activité de prestataire de formation professionnelle de la société diligenté par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (ci-après DIRECCTE), le préfet de région a, par une décision du 21 septembre 2010, mis à la charge de la société une somme totale de 271 395,07 euros, consistant pour l'essentiel en des sommes à rembourser à divers cocontractants en raison de la nullité de contrats de formation professionnelle et de la non-réalisation d'actions de formation, en 60 212,61 euros à verser au Trésor public au titre de dépenses rejetées et en 27 420,63 euros à verser au Trésor public au titre d'une pénalité pour manœuvres frauduleuses. La société FH Consulting a été placée en liquidation judiciaire par une décision de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 28 mars 2011. Par ailleurs, à la suite de l'ouverture d'une instruction pénale sur signalement au parquet par le conseil des prud'hommes, Mme et M. E... ont été condamnés, par un jugement du tribunal correctionnel de Strasbourg en date du 15 novembre 2013, pour escroquerie et recel de biens obtenus à l'aide d'une escroquerie, avant d'être relaxés des fins de poursuite par un arrêt de la cour d'appel de Colmar en date du 23 avril 2015. Par une demande préalable du 8 août 2016, reçue le 10 août 2016 par les services de la DIRECCTE, les époux E... ont sollicité de l'Etat le versement d'une somme de 2 112 051 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la rédaction du rapport de contrôle rédigé par la DIRECCTE le 18 mars 2010 qui a fondé l'enquête pénale dont ils ont fait l'objet et en raison de l'illégalité de la décision du 21 septembre 2010 qui ont entrainé la liquidation judiciaire de leur société. Par une décision du 17 août 2016, l'autorité administrative a rejeté leur demande indemnitaire mais a procédé au retrait partiel de la décision du préfet de région en date du 21 septembre 2010 en réduisant le montant des pénalités pour manœuvres frauduleuses à hauteur de 14 857,86 euros. Par la présente requête, M. et Mme E... demandent l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 4 décembre 2019 et la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 2 112 051 euros en réparation de leurs préjudices.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription quadriennale :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, dont les dispositions sont applicables au présent litige : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui (...), ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée à son destinataire ou portée à la connaissance du tiers qui se prévaut de cette illégalité.
3. En l'espèce, les préjudices invoqués par les époux dans leur demande indemnitaire préalable du 8 août 2016 reçue le 10 août suivant, comme étant à l'origine de la créance qu'ils estiment détenir contre l'Etat, procèdent de l'illégalité de la décision du 21 septembre 2010 du préfet de la région Alsace édictée à la suite du rapport du 18 mars 2010 des services de la DIRECCTE établi dans le cadre du contrôle administratif de la société qui constitue un acte préparatoire à la décision préfectorale et dont les requérants ne contestent pas qu'elle leur a été valablement notifiée, et contre laquelle ils ont du reste exercé un recours qui a été rejeté par une ordonnance du 14 juin 2011 du tribunal administratif de Strasbourg. Par suite, ils ne peuvent utilement soutenir qu'ils ignoraient l'existence de cette créance avant que n'intervienne l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 23 avril 2015. Il en résulte que le fait générateur de la créance devant être rattaché à l'année 2011, leur créance était prescrite à la date de leur demande indemnitaire préalable, le 8 août 2016.
Sur la responsabilité pour faute :
4. D'une part, à supposer même que des erreurs puissent être décelées dans le rapport émis le 18 mars 2010 par la DIRECCTE à l'issue des opérations de contrôle administratif de l'activité de la société FH Consulting, il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice dont les requérants se prévalent, constitué par la mise en liquidation judiciaire de leur société, trouve son origine directe et certaine dans l'édiction de ce rapport, alors même qu'il a servi de base à l'édiction de la décision du préfet du 21 septembre 2010. En effet, il ne résulte pas de l'instruction que cette décision, dont l'illégalité partielle a été admise par l'administration qui a procédé à son retrait en tant qu'elle mettait à la charge de la société FH Consulting une somme de 14 857,86 euros sur les 27 420,63 euros initialement réclamés au titre des manœuvres frauduleuses, était illégale pour le reste des sommes perçues par la société, dont elle demandait le remboursement. En tout état de cause, si les requérants se prévalent de l'arrêt du 23 avril 2015 par lequel la cour d'appel de Colmar les a relaxés des faits d'escroquerie et respectivement de faits de recel de biens obtenus à l'aide d'une escroquerie pour lesquels ils avaient été condamnés par le tribunal correctionnel, cet arrêt n'a ni pour objet ni pour effet de rendre irrégulier le contenu du rapport du 18 mars 2010. Par conséquent, les requérants ne démontrent ni que le contenu du rapport de la DIRECCTE, ni que les conditions dans lesquelles il a été réalisé, serait de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 6362-11 du code du travail, " Lorsque les contrôles ont porté sur des prestations de formation financées par l'Etat, les collectivités territoriales, le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, l'institution publique mentionnée à l'article L. 5312-1, les employeurs ou les organismes collecteurs des fonds de la formation professionnelle continue, l'autorité administrative les informe, chacun pour ce qui le concerne, des constats opérés ".
6. Il appartenait ainsi à la DIRECCTE d'informer les cocontractants de la société FH consulting que celle-ci devait leur rembourser certaines prestations. Dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas établi que la DIRECCTE aurait outrepassé son obligation d'information, M. et Mme E... ne sauraient sérieusement faire grief à l'Etat d'être à l'origine de la cessation des relations contractuelles de la société FH Consulting avec ses cocontractants concernés par la décision du 21 septembre 2010. Par suite, les conclusions présentées par les époux E... sur le fondement de la responsabilité pour faute doivent être rejetées.
Sur la responsabilité sans faute :
7. La mise en œuvre par la DIRECCTE de la procédure de contrôle administratif de l'activité de prestataire de formation professionnelle de la société FH Consulting en application des dispositions des articles L. 6361-2 et suivants du code du travail ne présente aucun caractère spécial ni ne faisait courir de risque anormal à la société. En outre, aucune volonté manifeste de nuire aux requérants n'est démontrée en l'espèce. Par suite, les conclusions présentées par les époux E... sur le fondement de la responsabilité sans faute doivent être rejetées.
8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par M. et Mme E... doivent être rejetées, de même que, par voie de conséquences leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celles relatives aux dépens préalable.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M et Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à M. C... E... et au ministre du travail.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- M. Rees, président-assesseur,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juin 2022.
La rapporteure,
Signé : M. A...La présidente,
Signé : S. Vidal
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui le concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 20NC00219