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16/06/2022 | FRANCE | N°19NC03451

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 16 juin 2022, 19NC03451


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 27 novembre 2019, des pièces et des mémoires respectivement enregistrées le 30 novembre 2019, le 6 décembre 2019, le 10 août 2021, le 28 septembre 2021, le 6 décembre 2021 et des mémoires récapitulatifs des 19 et 29 avril 2022, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, les consorts F... et Marie-Cécile E..., les consorts D... et Denise B... et Mme A... du Rivau, représentés par Me Menard demandent à la cour :

1°) d'annuler la décision du 26 juillet 2019 par laquelle la

préfète de la Haute-Marne a autorisé l'exploitation d'une installation de produ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 27 novembre 2019, des pièces et des mémoires respectivement enregistrées le 30 novembre 2019, le 6 décembre 2019, le 10 août 2021, le 28 septembre 2021, le 6 décembre 2021 et des mémoires récapitulatifs des 19 et 29 avril 2022, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, les consorts F... et Marie-Cécile E..., les consorts D... et Denise B... et Mme A... du Rivau, représentés par Me Menard demandent à la cour :

1°) d'annuler la décision du 26 juillet 2019 par laquelle la préfète de la Haute-Marne a autorisé l'exploitation d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent (10 éoliennes) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à chacun des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- l'étude de dangers est insuffisante quant aux risques relatifs à la faille de Bray-Vittel ;

- l'étude d'impact est insuffisante quant à l'impact du projet sur l'avifaune, à l'absence de mention d'une demande de dérogation au titre des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, sur l'habitat et le bâti et quant aux garanties financières concernant le démantèlement et la remise en état du site ;

- l'avis du commissaire enquêteur est insuffisamment motivé et est entaché d'un défaut d'impartialité ;

- l'arrêté méconnait les dispositions des articles L. 222-1 et R. 222-1 du code de l'environnement en ce qu'il vise le schéma régional éolien annexé au plan climat air énergie régional de Champagne Ardennes du 29 juin 2012 annulé par la cour administrative d'appel de Nancy ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit au regard des articles L. 511-1 alinéa 1er du code de l'environnement et de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en ce qu'il ne prend pas en compte l'atteinte aux paysages naturels en raison de l'effet d'encerclement et de saturation visuelle sur les communes de Signéville, Chantraine, Darmannes et sur les monuments historiques du château de Briaucourt et de l'abbaye de Septfontaine ;

- l'arrêté méconnait l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en portant une atteinte disproportionnée à la valeur de leurs biens.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2021, le ministre de la transition écologique conclut à l'irrecevabilité de la requête, ni l'association, ni les autres requérants n'ayant intérêt à agir contre l'arrêté du 26 juillet 2019 et à titre subsidiaire, au rejet de la requête, aucun des moyens soulevés n'étant fondés.

Par des mémoires enregistrés le 25 février 2021, le 30 septembre 2021, le 29 octobre 2021, le 12 janvier 2022 et un mémoire récapitulatif du 19 avril 2022, et des pièces du 12 mai 2022 communiquées à la demande de la cour, la société éolienne des Limodores représentée par Me Cambus, conclut à titre principal à l'irrecevabilité de la requête, l'association n'ayant démontré ni la qualité pour agir de son représentant, ni sa qualité d'association agréée, et les autres requérants n'ayant pas intérêt à agir contre l'arrêté du 26 juillet 2019 ; et à titre subsidiaire, au rejet de la requête, aucun des moyens soulevés n'étant fondés et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge solidaire des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement tel que modifié par l'arrêté du 22 juin 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Menard, pour la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, ainsi que celles de Me Cambus, substituant Me Versini-Campinchi, pour la société éolienne des Limodores.

Une note en délibéré, présentée par l'association société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres, a été enregistrée le 25 mai 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 26 juillet 2019, le préfet de la Haute-Marne a autorisé la société éoliennes des Limodores sur le fondement des articles L. 512-1 du code de l'environnement et L. 421-1 du code de l'urbanisme, à construire et à exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent (10 éoliennes et deux postes de livraison) sur les territoires des communes de Viéville, Bologne, Andelot-Blancheville et Rochefort-sur-la côte. Par la présente requête, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, les consorts F... et Marie-Cécile E..., les consorts D... et Denise B... et Mme A... du Rivau demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur les fins de non-recevoir soulevées par la société éoliennes des Limodores et le ministre de la transition écologique :

2. Aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci./ Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément ".

3. L'association société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, agréée au niveau national au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, a notamment pour objet la préservation des sites naturels et urbains. Elle justifie ainsi d'un intérêt à agir pour demander l'annulation de l'autorisation unique en litige délivrée pour l'exploitation d'un parc éolien composé de dix aérogénérateurs. Par ailleurs, l'article 9 des statuts de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France prévoit que l'association est représentée en justice par son président ou par un autre membre du conseil d'administration désigné à cet effet par ce conseil. La requête de première instance a été présentée par le président, lequel avait qualité pour représenter l'association. Par suite, les conclusions de la requête collective sont recevables sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité en tant qu'elles émanent de chacun des autres demandeurs.

Sur la légalité de l'arrêté du 26 juillet 2019 :

S'agissant du moyen relatif à l'insuffisance de l'étude d'impact :

4. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

5. En premier lieu, les requérants soutiennent que l'étude de dangers serait insuffisante quant à l'appréciation des risques relatifs à la faille de Bray-Vittel qui serait proche de la zone d'implantation du projet. Toutefois, l'étude de dangers, réalisée dans le cadre de la demande d'autorisation en litige, procède à une analyse de la localisation du site et de l'environnement de l'installation, examine les différents risques majeurs auxquels est exposé le projet, décrit les installations, identifie les potentiels dangers induits par celle-ci, analyse les retours d'expérience et les risques et décrit les moyens d'intervention et de limitation des conséquences des dangers. Par ailleurs, en l'absence de risques lié au mouvement de terrain et au retrait-gonflement des argiles et, compte tenu du risque très faible de sismicité de la zone d'implantation du projet et des communes concernées, cette étude n'avait pas à étudier les conséquences de la proximité de la faille de Bray-Vittel sur le projet en litige. En tout état de cause, ils n'apportent aucun élément de nature à démontrer que les éoliennes seraient implantées à proximité de ladite faille, ni, à supposer que tel soit le cas, que cela entrainerait des risques qui auraient dû être évalués par l'étude de dangers.

6. En deuxième lieu, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'étude d'impact serait insuffisante concernant les garanties financières du pétitionnaire, notamment celles liées au coût du démantèlement dès lors qu'aucune disposition du code de l'environnement relative au contenu de l'étude d'impact n'impose d'y faire figurer de tels éléments, qui doivent en revanche être indiqués à l'appui de la demande d'autorisation en vertu des dispositions de l'article R. 512-3 5° du code de l'environnement dans leur rédaction applicable .

7. En troisième lieu, les requérants soutiennent que l'étude d'impact alors même qu'elle relève que le projet pourra affecter l'alouette lulu, le bruant jaune, le milan royal et la cigogne noire, ne contient aucune étude scientifique sur l'évaluation de ce risque, comporte des mesures compensatoires insuffisantes et ne fait état d'aucune dérogation sollicitée concernant la présence du milan royal et de la cigogne noire.

8. L'étude d'impact critiquée procède à une analyse de l'état initial du site et de son environnement et fait état notamment des différents impacts du projet sur l'avifaune. Elle intègre ensuite des mesures réductrices et compensatoires afin de protéger l'avifaune. Elle a ainsi relevé un impact fort lié au dérangement provoqué par la phase travaux pour l'alouette lulu et le bruant jaune en période de nidification et un impact modéré sur le milan royal lié aux collisions en période d'exploitation. Compte tenu de l'observation répétée de cette dernière espèce au sein de l'aire d'implantation du projet, une étude spécifique sur les impacts sur cette espèce a d'ailleurs été réalisée. Elle récapitule également dans un tableau exhaustif l'ensemble des impacts potentiels pour l'avifaune, de toute nature, leur degré et la durée des effets néfastes, en fonction des espèces concernées. Les mesures d'évitement telles que l'éloignement du parc éolien par rapport aux autres parcs existants, l'absence d'implantation des éoliennes dans des couloirs de migrations principaux ou secondaires, dans les secteurs boisés et dans les zones naturelles d'intérêt, et les mesures de réduction telles que l'optimisation de la date de démarrage des travaux, la mise en place d'un suivi ornithologique de chantier ainsi que des mesures spécifiques pour le milan royal (réduction de l'attractivité des zones d'implantation des éoliennes, mise en place d'un système de régulation des éoliennes et arrêt des éoliennes en période de reproduction) sont ensuite détaillées dans l'étude. Ainsi, l'étude d'impact conclut à l'abandon de la zone de nidification de Vouécourt entre 2015 et 2017 et à la présence de ces rapaces uniquement en phase de chasse lors des moissons l'été sur la zone d'implantation. S'agissant par ailleurs, de la cigogne noire, même si une étude réalisée par l'office national des forêts en 2015 sur le département de la Haute-Marne produite par les requérants a révélé la présence de la nidification de la cigogne noire dans la vallée du Rognon, il résulte du volet avifaunistique de l'étude d'impact qu'aucune observation de la cigogne noire sur les 18 diligentées n'a été recensée dans le secteur d'implantation du projet malgré la proximité établie d'un nid. En outre, le courrier de l'association ENVOL environnement du 10 janvier 2022 produit au contentieux confirme cette absence de la cigogne noire dans l'aire d'étude, impliquant une exposition très faible de l'espèce à des effets potentiels de collisions avec les éoliennes en litige. Enfin, même si l'étude d'impact mentionne qu'en phase de construction, l'impact est fort pour l'alouette lulu et le bruant jaune pendant la période de nidification, elle ajoute cependant que l'altération de la faune et de son habitat seront temporaires, que la date de démarrage des travaux des éoliennes E3 et E4 est adaptée avec un évitement entre début avril et mi-juillet et qu'elles sont évaluées de nulles à faibles pendant la phase d'exploitation. Par ailleurs, une distance d'évitement de 4,75 kilomètres a été respectée avec les autres éoliennes à proximité alors que la ligue de protection des oiseaux recommande une distance de 1,5 kilomètres.

9. Ainsi, il résulte de ce qui précède que l'étude d'impact a suffisamment évalué et pris en compte les atteintes potentielles à l'avifaune en en réduisant les risques par des mesures de prévention sans que les requérants puissent utilement lui opposer le fait qu'elle n'ait pas pris position sur l'opportunité d'une demande de dérogation au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ce qui ne relève pas de son objet.

10. Enfin, les requérants soutiennent que l'étude d'impact omet de prendre en compte l'impact sur l'habitat et la dévalorisation du bâti et du patrimoine inscrit, notamment le château de Briaucourt et l'abbaye de Septfontaines située à 990 mètres de la plus proche des éoliennes. Il résulte de l'étude d'impact que l'impact a été évalué au moyen de 58 photomontages représentatifs permettant d'obtenir une vision globale et, notamment du volet paysager, que la zone d'implantation est en dehors de tout périmètre de protection des monuments historiques et que la sensibilité des deux monuments mentionnés est très faible pour l'abbaye et faible pour le château en raison de sa position en contrebas du plateau où se situent les éoliennes et sur les pentes duquel existe une forêt qui fait écran et réduit ainsi la co-visibilité à la seule partie haute des pâles des éoliennes E9 et E10. Par suite, l'étude d'impact est également suffisante sur ce point, alors au demeurant qu'aucune dévalorisation des biens immobiliers situés à proximité du projet n'est établie, compte-tenu de l'impact visuel faible voir nul du projet.

S'agissant du moyen relatif au défaut d'impartialité du commissaire enquêteur et à l'insuffisance de motivation de son avis :

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " L'autorisation prévue à l'article L. 512-1 est accordée par le préfet, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et après avis des conseils municipaux intéressés (...) ". Et aux termes de l'article R. 123-19 du même code : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies. Le rapport comporte le rappel de l'objet du projet, plan ou programme, la liste de l'ensemble des pièces figurant dans le dossier d'enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public. Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête consigne, dans une présentation séparée, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet. (..) ". L'enquête publique prévue par ces dispositions doit se dérouler dans le respect des principes d'égalité et d'impartialité, dont il découle que la consultation doit être sincère, en permettant notamment au public de donner utilement son opinion et en conduisant le commissaire enquêteur, dans son rapport, à procéder à une synthèse fidèle des observations du public ainsi qu'à une analyse objective des propositions et contre-propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, des observations du pétitionnaire en réponse aux observations du public.

12. Les requérants font grief au commissaire enquêteur d'une part, de ne pas avoir répondu à certaines observations des déclarants sur l'impact de la faille de Bray-Vittel, l'absence d'étude sur la pollution de l'eau de captage et la mesure des infrasons et d'autre part, d'avoir manqué d'impartialité dans ses propos en dénigrant et ridiculisant les observations des déclarants, en se posant en défenseur des éoliennes face aux " anti-éoliens doctrinaires " et en présentant de façon faussée les résultats des votes des habitants des communes concernées et notamment ceux de Bologne et Andelot.

13. D'une part, le commissaire enquêteur doit dans son rapport, procéder à une synthèse fidèle des observations du public ainsi qu'à une analyse objective des propositions et contre-propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, des observations du pétitionnaire en réponse aux observations du public, sans toutefois être tenu d'y répondre de manière exhaustive. En l'espèce, même si certaines des réponses apportées peuvent paraître lacunaires, le commissaire enquêteur a retranscrit l'intégralité des observations du public, a tenté d'y répondre et a interrogé le maitre d'ouvrage le 17 décembre 2018 qui y a répondu d'ailleurs le 31 décembre suivant. Ainsi, sur les captages d'eau potable, le maître d'ouvrage a précisé que les éoliennes ne se situaient dans aucun des périmètres de protection, a communiqué une étude hydrogéologique portant en particulier sur les sources de Roocourt-la-côte et Vieville et sur les points de captage de Briaucourt et Rochefort, qui a été transmise à l'autorité régionale de santé. En ce qui concerne les infrasons, le maitre d'ouvrage en réponse au commissaire enquêteur a rappelé qu'il était tenu de réaliser une réception acoustique la première année de fonctionnement de l'éolienne afin de s'assurer de la conformité du parc aux seuils réglementaires et qui, en cas de dépassements sonores, peut contraindre l'exploitant à brider les éoliennes. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation de l'avis du commissaire enquêteur doit être écarté.

14. D'autre part, il résulte des réponses du commissaire enquêteur que celui-ci a effectué une balance entre l'objectif poursuivi par la politique environnementale et les impacts paysagers des éoliennes et le ressenti des habitants vivant à proximité. Ainsi, si le commissaire enquêteur, dans ses rapport et avis, a émis des jugements et réserves à l'égard des observations de certains déclarants au cours de l'enquête publique, en soulignant leur opposition de principe à tout projet éolien, le seul fait de critiquer en des termes vifs la position d'opposants au projet dans le rapport ne permettait pas de regarder celui-ci comme étant dénué d'objectivité dès lors qu'il ne résulte pas en outre de l'instruction que le commissaire enquêteur n'aurait pas assuré fidèlement le recueil et la restitution de l'ensemble des observations du public, ni que son comportement au cours de l'enquête publique ou lors de la rédaction de ses rapport et avis aurait été empreint d'un parti pris en faveur du projet ou d'une volonté de discréditer ses opposants, ni enfin qu'il ait travesti ou manifestement exagéré la réalité des faits dans ses observations. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'impartialité du commissaire enquêteur doit être écarté.

S'agissant du moyen relatif à l'atteinte au paysage et au patrimoine :

15. Aux termes du premier paragraphe de l'article L. 181-3 du même code : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Aux termes de l'article L. 211-1 du même code : " I.- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; (...) / II.- La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour statuer sur une demande d'autorisation d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, il appartient au préfet de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

16. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué vise un schéma régional éolien annexé à un plan climat air énergie régional de Champagne Ardennes du 29 juin 2012 par la suite annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 14 janvier 2016, confirmé par une décision du Conseil d'Etat du 18 décembre 2017, ne peut être utilement soulevé dès lors qu'une erreur dans les visas est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

17. En sixième lieu, les requérants soutiennent que le projet porte atteinte aux paysages et aux monuments compte-tenu de l'effet d'encerclement et de saturation visuelle sur les communes de Signéville, Chantraines et Darmannes. En l'espèce, il résulte de la méthodologie suivie dans l'étude d'impact que le degré de saturation visuelle des villages de Briaucourt, Chantraines, Darmannes, et Rochefort-sous-côte, a été calculé suivant trois critères habituels, l'angle d'occupation d'horizon, l'angle de respiration visuelle et la densité d'éolienne. Il en ressort que le village de Briaucourt est entouré de 18 éoliennes construites ou autorisées dans un rayon de 5 kilomètres et atteint ainsi un niveau de densité de 0,1895 bien au-delà du seuil de 0,1 normalement accepté, de même pour le village de Chantraines dont la densité atteint 0,1818. Le village de Darmanes, même s'il n'est entouré que de 11 éoliennes, dépasse toutefois le seuil de l'angle de respiration visuelle. Enfin, le village de Rochefort-sous-côte dépasse les trois seuils d'alerte. Des éléments relatifs à la zone d'implantation des éoliennes peuvent toutefois minorer le ressenti d'encerclement des habitants des villages concernés. Ainsi, même si les éoliennes d'une hauteur de 150 mètres en bout de pâle se situent sur un plateau en surplomb des villages, à l'exception de celui de Darmanes, également sur un plateau, et sont ainsi visibles de loin, elles sont séparées des villages avoisinants par un environnement boisé qui créé un écran végétal dissimulant ainsi une grande partie de l'ouvrage depuis le centre du village. Leur visibilité est ainsi limitée aux abords des villages. Par ailleurs, ces mêmes circonstances ont ainsi permis de conclure à un impact très faible sur l'abbaye de Septfontaines pourtant monument historique le plus proche d'une éolienne et à un impact faible sur le château de Briaucourt, dont les photomontages produits ne font pas apparaitre d'altération significative de l'environnement de ces monuments et du paysage. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux méconnaît les dispositions combinées des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement en raison de l'atteinte portée aux paysages et au patrimoine culturel doit être écarté.

18. Par suite, l'arrêté contesté du 26 juillet 2019 du préfet de la Marne ne procède pas d'une appréciation erronée de l'incidence du parc éolien en cause sur le caractère et l'intérêt des lieux avoisinants, et ne méconnait donc pas les dispositions précitées.

S'agissant du moyen relatif à la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

19. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ". Si ces stipulations ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'une décision individuelle prise sur la base d'une telle réglementation, d'une part, de tenir compte de l'ensemble de ses effets juridiques, d'autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l'espèce, d'apprécier s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

20. En l'espèce, l'autorisation litigieuse a été délivrée conformément aux dispositions du code de l'environnement. La circonstance selon laquelle les éoliennes apporteraient des nuisances aux propriétaires riverains ou auraient pour effet de dévaloriser leurs propriétés, n'apparait pas, dans les circonstances de l'espèce, comme portant à leur droit de propriété une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, les consorts F... et Marie-Cécile E..., les consorts D... et Denise B... et Mme A... du Rivau ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 26 juillet 2019 du préfet de la Marne. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions de la société éoliennes des Limodores présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société éoliennes des Limodores présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, les consorts F... et Marie-Cécile E..., les consorts D... et Denise B... et Mme A... du Rivau est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société éoliennes des Limodores présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, à M. et Mme F... E..., à M. et Mme D... B..., à Mme A... du Rivau, à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société éoliennes des Limodores.

Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Marne.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- M. Rees, président-assesseur,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juin 2022.

La rapporteure,

Signé : M. C...La présidente,

Signé : S. Vidal

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 19NC03451


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03451
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: Mme Marion BARROIS
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : MENARD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-16;19nc03451 ?
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