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17/05/2022 | FRANCE | N°21NC00361

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 17 mai 2022, 21NC00361


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par une ordonnance du 13 janvier 2021, le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis la requête au tribunal administratif de Nancy, en application des dispositions de

l'article R. 776-16 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2100098...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par une ordonnance du 13 janvier 2021, le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis la requête au tribunal administratif de Nancy, en application des dispositions de l'article R. 776-16 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2100098 du 18 janvier 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2021, M. D..., représenté par M. B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 18 janvier 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 janvier 2021 de la préfète du Bas-Rhin ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision méconnaît les dispositions du 2° et du 4° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est illégale dès lors qu'il doit bénéficier de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement du 1) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, mais aussi sur le fondement du 5) de l'article 6 de ce même accord et de l'article 7 bis de cet accord ;

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision du 14 novembre 2018 par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa vie privée et familiale.

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2022, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les observations de Me B... pour M. D....

1. M. A... D..., ressortissant algérien né le 12 avril 1962, est entré, selon ses déclarations, sur le territoire français en 1965. Il a bénéficié, à partir de 1984, de plusieurs certificats de résidence algériens, dont le dernier expirait le 25 août 2015. Il a présenté, le 15 juin 2018, une demande de renouvellement de son certificat de résidence. Par un arrêté du 14 novembre 2018, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Par un arrêté du 5 janvier 2021, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de 24 mois. M. D... fait appel du jugement du 18 janvier 2021 par lequel la magistrat désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 janvier 2021.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire. Dans ce cadre, les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence, pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.

3. M. D... est entré en France en 1965 à l'âge de 3 ans et a suivi, jusqu'à sa majorité en 1980, l'ensemble de sa scolarité en France. Pour autant, si le requérant a séjourné en prison à de multiples reprises et a disposé de cartes de résident de manière continue entre 1984 et 2004, ainsi que de certificats de résidence en 2010 et 2015, il ne justifie pas, par les éléments produits, qu'il résiderait habituellement en France depuis l'âge de ses treize ans. Le requérant n'apporte notamment aucun élément établissant sa présence en France entre sa majorité et la délivrance de sa carte de résident en 1984, ainsi que sa résidence habituelle sur le territoire national entre sa sortie de prison en 2015 et sa nouvelle entrée en prison en fin d'année 2017. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 2 ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; (...) ".

5. Si M. D... fait valoir que la préfecture du Bas-Rhin lui aurait délivré un certificat de résidence algérien valable de mai 2015 à mai 2025, mais qu'il n'est pas allé le récupérer, il n'apporte aucun élément étayant ces allégations. Le requérant, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il séjournait régulièrement en France depuis l'expiration de son dernier titre en 2015, n'est donc pas fondé à soutenir que la décision litigieuse méconnaît les dispositions du 4° du I de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : 1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans (...) ; 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus. (...) ". Aux termes de l'article 7 bis du même accord : " (...) Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a), au b), au c) et au g) : (...) / e) au ressortissant algérien qui justifie résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans (...) ".

7. Indépendamment de l'énumération faite par l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne peut légalement prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Les stipulations de l'accord franco algérien, qui prévoyant notamment l'octroi de plein de droit de certificats de résidences sous certaines conditions, ne privent pas pour autant l'autorité compétente du pouvoir qui lui appartient de refuser à un ressortissant algérien la délivrance du certificat de résidence lorsque sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.

8. D'une part, M. D... est entré en France en 1965 à l'âge de 3 ans. Si, ainsi qu'il a été indiqué au point 3 du présent arrêt, il n'est pas établi qu'il demeurerait depuis lors, de manière habituelle, sur le territoire français car il ne justifie pas de sa présence en France sur de multiples périodes de plusieurs années, il n'en demeure pas moins qu'il a passé une majeure partie de sa vie en France. Pour autant, le requérant est demeuré en prison pendant une très significative part de ses séjours sur le territoire français. Il ressort ainsi des pièces du dossier que M. D... a été condamné à onze reprises pour un total de 192 mois de détention entre 1985 et 2017 pour des faits de vol, recel, destruction ou détérioration grave d'un bien appartenant à autrui, conduite d'un véhicule sans permis, port ou transport sans motif légitime d'arme de sixième catégorie, violences volontaires avec ou sous la menace d'une arme, détention non-autorisée de stupéfiants, offre ou cession non-autorisée de stupéfiants, usage illicite de stupéfiants, contrebande de marchandises prohibée. Il a, de plus, été à nouveau condamné, le 15 septembre 2017 par le tribunal correctionnel de Mulhouse à 1 an et 6 mois d'emprisonnement pour vol aggravé par deux circonstances en récidive ainsi que pour violence commise en réunion suivie d'incapacité supérieure à 8 jours également en récidive. Ces faits, eu égard, à leur nature, à leur importance et à leur caractère récent, établissent que l'intéressé constitue une menace actuelle pour l'ordre public. Si le requérant se prévaut de la présence en France de ses deux enfants, ainsi que de ses frères et sœurs, il n'apporte aucun élément témoignant du maintien de liens avec ces derniers, alors notamment que ses enfants sont désormais majeurs. La seule présence en France de sa mère, qui s'est proposée de l'héberger à sa sortie de prison, ne saurait être appréciée comme un lien d'une intensité telle qu'il justifie le maintien de l'intéressé en France. Par suite, compte tenu des conditions du séjour en France et en dépit de sa durée, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il satisfait aux conditions posées par les dispositions du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien pour se voir délivrer de plein droit un certificat de résidence.

9. D'autre part, M. D... fait valoir qu'il doit bénéficier de plein droit d'un titre de séjour sur les fondements du 1) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ainsi que du e) de l'article 7 bis du même accord. Toutefois, tel qu'il a été indiqué au point 3 du présent arrêt, le requérant n'apporte notamment aucun élément justifiant de sa présence habituelle en France entre sa sortie de prison en 2015 et sa nouvelle entrée en prison en fin d'année 2017, de sorte qu'il ne satisfait pas aux exigences posées par ces articles pour se voir délivrer un certificat de résidence sur le fondement des dispositions précitées. En toutes hypothèses, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la menace à l'ordre public que présente M. D... est suffisamment grave pour faire obstacle à la délivrance d'un certificat de résidence algérien. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il satisfait aux conditions posées par les dispositions du 1) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ni à celles prévues par les dispositions du e) de l'article 7 bis du même accord pour se voir délivrer de plein droit un certificat de résidence.

10. En quatrième lieu, si M. D... soutient que la décision litigieuse est illégale en raison de l'illégalité de l'arrêté du 14 novembre 2018 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, il n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. A considérer qu'il ait entendu faire valoir que cet arrêté du 14 novembre 2018 méconnaissait les dispositions du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ainsi que celles du 1) de l'article 6 de cet accord et celles du e) de l'article 7 bis du même accord, ce moyen devrait être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 8 et 9.

11. En cinquième lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 8 du présent arrêt, le moyen tiré de ce que l'arrêté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

12. En premier lieu, le requérant n'établissant pas l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français serait illégale en raison de l'illégalité de cette mesure d'éloignement ne peut qu'être écarté.

13. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la rupture des liens dont M. D... dispose en France constitue une circonstance humanitaire, au sens des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, qui s'opposerait à l'adoption de la décision litigieuse. Il ne ressort pas plus des pièces du dossier que, eu égard à l'ensemble des éléments présentés au point 8 du présent arrêt, notamment aux conditions de son séjour en France, la préfète aurait, en l'espèce, commis une erreur d'appréciation en édictant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, dès lors notamment qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la mère du requérant ne pourrait, au besoin, se rendre ponctuellement en Algérie pour lui rendre visite.

14. En troisième lieu, au regard des considérations de faits exposées au point 8, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. C...La présidente,

Signé : A. SAMSON-DYELe greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

2

N° 21NC00361


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00361
Date de la décision : 17/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : LEHMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-05-17;21nc00361 ?
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