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05/05/2022 | FRANCE | N°20NC00660

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 05 mai 2022, 20NC00660


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A..., se disant M. F... N'Guetta a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision par laquelle le préfet du Bas-Rhin a rejeté implicitement sa demande du 18 mars 2017 tendant au renouvellement de sa carte nationale d'identité et de son passeport, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir, de condamner l'Etat à lui verser la so

mme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et de mettre à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A..., se disant M. F... N'Guetta a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision par laquelle le préfet du Bas-Rhin a rejeté implicitement sa demande du 18 mars 2017 tendant au renouvellement de sa carte nationale d'identité et de son passeport, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1703345, 1703935 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 mars 2020, sous le n° 20NC00660, M. A..., se disant N'Guetta, représenté par Me Toutain, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 janvier 2020 ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet du Bas-Rhin a rejeté implicitement sa demande du 18 mars 2017 tendant au renouvellement de sa carte nationale d'identité et de son passeport ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du préfet est insuffisamment motivée ;

- en l'absence de fraude de sa part, il n'existe aucun motif justifiant le refus de lui délivrer les titres demandés ;

- le préfet n'a pas déféré au jugement du 8 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que le refus de lui délivrer ces titres était entaché d'erreur de droit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. A compter de 2005, M. A..., se disant M. F... N'Guetta, a sollicité à plusieurs reprises du préfet du Bas-Rhin le renouvellement de la carte nationale d'identité et du passeport établis à ce nom. Le 19 décembre 2008, il a été informé que le ministre de l'intérieur avait demandé au préfet de surseoir à la délivrance de ces titres. Par un jugement du 8 décembre 2010, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision par laquelle le préfet du Bas-Rhin avait une nouvelle fois, implicitement, refusé de faire droit à sa demande de renouvellement des titres en cause et a enjoint au préfet de réexaminer cette demande. A la suite de ce réexamen, le préfet a réitéré son refus. Les 1er novembre 2016 et 18 mars 2017, M. A..., se disant N'Guetta, a formé de nouvelles demandes de renouvellement de carte d'identité et de passeport. Le silence gardé par le préfet sur la dernière de ces demandes a fait naître une décision implicite de rejet le 18 mai 2017. M. A... se disant N'Guetta relève appel du jugement du 16 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de la décision du 18 mai 2017 :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. M. A..., se disant N'Guetta reprend en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, ni critiquer la réponse des premiers juges, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision implicite du 18 mai 2017. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal.

En ce qui concerne la légalité interne :

3. Aux termes de l'article 2 du décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques : " Le passeport électronique est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande (...) ". Pour l'application de ces dispositions des décrets des 22 octobre 1955 et 30 décembre 2005, il appartient aux autorités administratives compétentes de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de passeport.

4. En premier lieu, par un jugement du 8 décembre 2010, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet du Bas-Rhin sur la demande formée par M. A..., se disant N'Guetta, le 26 août 2009 et tendant à un renouvellement de carte nationale d'identité et de passeport. Le motif d'annulation retenu par le tribunal est tiré de ce que le préfet n'établissait pas la fraude dont il se prévalait, en se bornant à faire valoir que l'intéressé avait déjà demandé à plusieurs reprises, dans des conditions suspectes, le renouvellement de tels titres à la suite de déclaration de vol et qu'une autre personne habitant Abidjan avait porté plainte pour usurpation de cette identité. Si l'autorité de chose jugée qui s'attache au dispositif d'un jugement d'annulation pour excès de pouvoir devenu définitif ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que l'autorité administrative, en l'absence de changement dans la situation de droit et de fait, reprenne la même décision sur la base du même motif que celui censuré par le jugement, il résulte des termes du jugement du 8 décembre 2010 que le tribunal administratif de Strasbourg a estimé, non que M. A..., se disant N'Guetta, était le véritable titulaire de l'identité figurant sur les carte d'identité et passeport établis au nom de M. F... N'Guetta, mais uniquement que les éléments avancés par le préfet ne permettaient pas à eux seuls de faire naître, sur l'identité de l'intéressé, un doute suffisant pour justifier le refus du renouvellement de carte nationale d'identité et de passeport que celui-ci avait demandé. Le tribunal n'a d'ailleurs pas enjoint au préfet de faire droit à la demande de renouvellement de titres formée par l'intéressé, mais uniquement de réexaminer sa demande. Dans ces conditions, l'autorité de chose jugée qui s'attachait à l'annulation de ce refus et au motif qui en constituait le support nécessaire ne faisait pas obstacle à ce que le préfet, éclairé par de nouveaux éléments de preuve, puisse réitérer son refus de renouvellement au regard du doute persistant sur l'identité de la personne, lequel devait être regardé, dans cette circonstance particulière où l'autorité administrative est appelée par nature à se prononcer sur la base d'un doute sérieux et non d'une certitude, comme une évolution de la situation de fait au regard de laquelle le tribunal s'était prononcé. Par suite, en rejetant implicitement la demande de M. A..., se disant N'Guetta à la suite du réexamen de sa demande, tel qu'exigé par le tribunal, et des réponses apportées par l'intéressé à ses demandes de justification, le préfet du Bas-Rhin n'a pas porté atteinte à l'autorité de chose jugée.

5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à compter de 2005, M. A..., se disant N'Guetta a sollicité à différentes reprises un renouvellement de carte nationale d'identité et de passeport établis en 1995 et 2000 au nom de M. F... N'Guetta, né le 20 décembre 1971 de parents nés eux-mêmes sur le territoire alors français de la Côte d'Ivoire. Il a produit à l'appui de ses demandes la copie d'un acte de naissance avec filiation et un certificat de nationalité établi le 15 mai 1991 par le tribunal d'instance du 5ème arrondissement de Paris.

6. Toutefois, il ressort des documents établis par l'administration, notamment d'un compte rendu d'audition du 30 juillet 2007, que les services du consulat général de France à Abidjan ont reçu, le 2 juillet 2007, une personne s'étant présentée, en vue d'un renouvellement de passeport, expiré depuis le 17 février 2003, comme se nommant également M. F... N'Guetta, né en France le 20 décembre 1971 de parents eux-mêmes nés en France, mesurant 1,74 mètre, résidant en Côte d'Ivoire depuis 1994 et s'étant vu délivrer à ce nom un passeport le 21 août 1991 et une carte nationale d'identité le 23 juillet 1993. Informée que des passeports à son nom avaient été délivrés à des tiers en 1999, 2003 et 2005, cette personne a porté plainte auprès des services du consulat pour usurpation d'identité et a présenté par écrit un récit précis de ses périodes de résidence en France et en Côte d'Ivoire. Les services du consulat ont obtenu la certification écrite de M. D... N'Guetta et de Mme G... C..., épouse N'Guetta, indiqués comme les parents de M. F... N'Guetta sur l'acte de naissance et le certificat de nationalité mentionnés précédemment, que cette personne était bien leur fils. Mlle B... E... N'Guetta, née en 1978, a également certifié qu'il s'agissait de son frère. En revanche, la plainte que M. A..., se disant N'Guetta avait quant à lui déposée en 2005 pour usurpation d'identité a été classée sans suite par le Procureur de la République le 6 août 2007. Par ailleurs, invité par le préfet, en 2011, à produire divers documents de nature à attester de son identité, tels qu'une attestation de service militaire, une copie du livret de famille de ses parents ou tout autre document ainsi qu'à inviter les membres de sa famille à se rendre au consulat général d'Abidjan pour témoigner en sa faveur, M. A..., se disant N'Guetta, s'est abstenu de ces démarches, en se bornant à faire état, sans en justifier de manière probante, du mauvais état de santé de sa mère et sans davantage préciser la composition et la situation de sa famille en Côte d'Ivoire. M. A..., se disant N'Guetta, porteur d'une carte d'identité établie en 1995 et d'un passeport établi en 2000, faisant d'ailleurs état respectivement d'une taille de 1,76 mètre et 1,78 mètre, n'apporte en outre aucun élément précis ni probant de nature à contredire les éléments nombreux et concordants rassemblés par les services du consulat général de France à Abidjan pour établir que la personne s'étant présentée à eux le 2 juillet 2007, était la personne véritablement titulaire de l'identité de M. F... N'Guetta. Eu égard aux doutes sérieux sur l'identité ou la nationalité de M. A..., se disant N'Guetta, le préfet du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur d'appréciation en rejetant sa demande de renouvellement de carte nationale d'identité et de passeport.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A..., se disant N'Guetta n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A..., se disant N'Guetta.

Sur les conclusions indemnitaires :

9. Le requérant n'étant pas fondé à invoquer l'illégalité de la décision implicite rejetant sa demande de renouvellement de carte nationale d'identité et de passeport, ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser 5 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le prononcé d'une amende pour recours abusif :

10. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". En l'espèce, la requête de M. A..., se disant N'Guetta présente un caractère abusif. Il y a lieu de condamner ce dernier à payer une amende de 100 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le montant des frais d'instance exposés par le requérant et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A..., se disant N'Guetta est rejetée.

Article 2 : M. A..., se disant N'Guetta est condamné à payer une amende pour recours abusif de 100 euros.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., se disant M. F... N'Guetta et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, à la préfète du Bas-Rhin et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Strasbourg.

Délibéré après l'audience du 31 mars 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Vidal, présidente de chambre,

M. Rees, président-assesseur,

M. Goujon-Fischer, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. Goujon-FischerLa présidente,

Signé : S. Vidal

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 20NC00660


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00660
Date de la décision : 05/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-04 Droits civils et individuels. - État des personnes. - Questions diverses relatives à l`état des personnes.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : TOUTAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-05-05;20nc00660 ?
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