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03/05/2022 | FRANCE | N°20NC03791

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 03 mai 2022, 20NC03791


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux demandes distinctes, Mme D... B... épouse C... et M. A... C... ont sollicité du tribunal administratif de Nancy l'annulation, d'une part, de l'arrêté du 9 novembre 2017 du préfet de Meurthe-et-Moselle les mettant en demeure de démolir un muret ainsi que de la décision rejetant leur recours gracieux, d'autre part, de l'arrêté du 28 mars 2019 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle les a rendus redevables d'une astreinte journalière d'un montant de 20 euros à compter de sa date de notification

et jusqu'à ce qu'ils satisfassent aux obligations résultant de la mise en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux demandes distinctes, Mme D... B... épouse C... et M. A... C... ont sollicité du tribunal administratif de Nancy l'annulation, d'une part, de l'arrêté du 9 novembre 2017 du préfet de Meurthe-et-Moselle les mettant en demeure de démolir un muret ainsi que de la décision rejetant leur recours gracieux, d'autre part, de l'arrêté du 28 mars 2019 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle les a rendus redevables d'une astreinte journalière d'un montant de 20 euros à compter de sa date de notification et jusqu'à ce qu'ils satisfassent aux obligations résultant de la mise en demeure du 9 novembre 2017.

Par un jugement nos 1801105, 1901461 du 30 octobre 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 décembre 2020 et 7 septembre 2021, Mme D... B... épouse C... et M. A... C..., représentés par Me Ponseele, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2017, la décision implicite rejetant leur recours gracieux et l'arrêté du 28 mars 2019 du préfet de la Meurthe-et-Moselle ;

3°) de les décharger des sommes qui seraient mises à leur charge par application de l'arrêté du 28 mars 2019 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le muret qu'ils ont fait édifier se trouvait dans le lit d'un ruisseau dès lors qu'il n'existe pas de cours d'eau ; le tribunal s'est fondé uniquement sur les pièces apportées par la préfecture, sans prendre en considération leurs propres productions ; en l'absence d'atteinte à un cours d'eau, la mise en demeure est illégale ; l'arrêté du 9 novembre 2017 les mettant en demeure de détruire un ouvrage dont un architecte avait estimé l'édification nécessaire et qui avait reçu l'autorisation d'urbanisme nécessaire est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'ils n'étaient pas recevables à exciper, après un délai raisonnable d'une année, de l'illégalité de l'arrêté du 29 novembre 2016 portant opposition aux travaux de réalisation du muret, en l'absence de preuve de la réception de cet acte, la connaissance acquise ne pouvant être retenue ; l'arrêté du 29 novembre 2016 est entaché d'erreur d'appréciation, s'agissant de l'existence d'une modification du profil du lit mineur d'un cours d'eau ; du fait de cette illégalité, l'arrêté du 9 novembre 2017 est lui-même illégal ;

- il y a lieu d'ordonner une expertise avant dire droit s'agissant de l'existence du ruisseau dit H..., c'est à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à leur demande ;

- l'arrêté du 28 mars 2019 méconnait les dispositions de l'article L. 171-8 du code de l'environnement et inflige une sanction disproportionnée, au regard des dimensions réduites de l'ouvrage en cause, dont le coût de démolition serait quasi nul, de la nécessité de recourir à une expertise pour caractériser l'existence d'un cours d'eau et en l'absence de justification d'un trouble causé à l'environnement ou, à le supposer avéré, de sa faible importance.

Par un mémoire enregistré le 15 juillet 2021, ainsi que par un mémoire enregistré le 8 octobre 2021 et non communiqué, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'elle s'en rapporte aux écritures de première instance du préfet de Meurthe-et-Moselle et que les moyens invoqués ne sont pas fondés, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise.

Par une ordonnance du 8 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 8 octobre 2021.

Par un courrier du 15 mars 2022, les parties ont été avisées que la cour était, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, susceptible de relever d'office la tardiveté des conclusions dirigées contre l'arrêté du 9 novembre 2017 et la décision rejetant le recours gracieux contre cet acte, si elle devait retenir que cette mise en demeure est purement confirmative de la précédente mesure en date du 16 septembre 2016, que les requérants doivent être regardés comme ayant reçu au plus tard le 14 novembre 2016, date d'enregistrement d'une déclaration de travaux au titre de la loi sur l'eau, dès lors que le tribunal administratif n'a pas été saisi dans le délai raisonnable d'un an suivant la réception de cette décision initiale, ainsi que l'impossibilité, pour le même motif, d'exciper de l'illégalité de la mise en demeure, devenue définitive, pour contester la sanction d'astreinte.

Par un mémoire enregistré le 22 mars 2022, M. et Mme C... ont présenté leurs observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Ponseele, pour les requérants.

Une note en délibéré, produite pour la ministre de la transition écologique, a été enregistrée le 31 mars 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... et M. C... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes dirigées contre, d'une part, l'arrêté du 9 novembre 2017 du préfet de Meurthe-et-Moselle les mettant en demeure de démolir un muret ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux, et, d'autre part, l'arrêté du 28 mars 2019 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle les a rendus redevables d'une astreinte journalière d'un montant de 20 euros.

Sur la légalité de la mise en demeure :

2. Aux termes de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement : " Constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année. / L'écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales ". Si la richesse biologique du milieu peut constituer un indice à l'appui de la qualification de cours d'eau, l'absence d'une vie piscicole ne fait pas, par elle-même, obstacle à cette qualification.

3. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que Mme B... et M. C... ont fait édifier un muret dans ce qui est présenté par l'administration comme étant le lit d'un ruisseau dit " G... ", qui constitue la limite de leur propriété, sur le territoire de la commune de F.... L'étude hydromorphologique, réalisée, à la demande des requérants, par un bureau d'études en environnement, pédologie et géologie et produite pour la première fois en appel, indique qu'aucune source n'est identifiée pour l'alimentation de ce chenal, les sources originelles ayant été déviées vers les réseaux d'assainissement et les écoulements existants provenant essentiellement de précipitations. Le procès-verbal de constatation d'infraction rédigé par l'Agence française pour la biodiversité en 2018 indique, pour sa part, qu'en dépit des travaux, il existe toujours de petits écoulements. Dans ces conditions, les différents documents produits par les parties ne permettent pas à la cour d'apprécier si l'écoulement qualifié de ruisseau " G... " doit être regardé comme un cours d'eau au sens de l'article L. 215-7-1 précité du code de l'environnement et en particulier s'il est alimenté, en amont de l'ouvrage litigieux, par une source. Il y a lieu, par suite, d'ordonner une expertise aux fins définies ci-après.

Sur la légalité de l'astreinte :

5. Aux termes du II de l'article L. 171-8 du code de l'environnement : " Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure, aux mesures d'urgence mentionnées à la dernière phrase du I du présent article ou aux mesures ordonnées sur le fondement du II de l'article L. 171-7, l'autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes : (...) 4° Ordonner le paiement d'une amende administrative au plus égale à 15 000 €, recouvrée comme en matière de créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine, et une astreinte journalière au plus égale à 1 500 € applicable à partir de la notification de la décision la fixant et jusqu'à satisfaction de la mise en demeure ou de la mesure ordonnée. Les deuxième et dernier alinéas du même 1° s'appliquent à l'astreinte. / Les amendes et les astreintes sont proportionnées à la gravité des manquements constatés et tiennent compte notamment de l'importance du trouble causé à l'environnement ".

6. Ainsi qu'il a été dit, il existe une incertitude tenant à l'existence même d'un cours d'eau au sens de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement. De plus, Mme B... et M. C... avaient obtenu une décision de non-opposition au titre du droit de l'urbanisme et avaient tenté de régulariser le projet en déposant une déclaration au titre de la loi sur l'eau. Dans ces circonstances, l'édiction d'une astreinte à l'encontre de Mme B... et M. C... est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions citées au point précédent. Les requérants sont donc fondés à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêté du 28 mars 2019 et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande dirigée contre cet acte.

Sur les conclusions à fin de décharge :

7. L'arrêté infligeant une astreinte n'a pas pour effet, par lui-même, de constituer Mme B... et M. C... débiteurs de sommes déterminées. Le présent arrêt, qui annule cette astreinte sans se prononcer sur les actes liquidant celle-ci, qui ne sont pas en litige dans la présente instance, n'implique donc pas nécessairement qu'il soit fait droit aux conclusions à fin de décharge des intéressés. Les requérants ne sont, par suite, pas fondés à se plaindre du rejet de leurs conclusions aux fins de décharge par les premiers juges, sans préjudice de l'obligation pour l'administration de s'abstenir de procéder à la liquidation de l'astreinte ou à l'exécution forcée d'éventuels actes émis sur son fondement, compte tenu de l'annulation de l'arrêté édictant cette astreinte, laquelle a fait disparaître la base légale de ces actes.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 28 mars 2019 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 octobre 2020 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... et M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 28 mars 2019.

Article 3 : Les conclusions de Mme B... et M. C... aux fins de décharge sont rejetées.

Article 4 : Une expertise est ordonnée. L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission ;

2°) convoquer et entendre contradictoirement les parties et tous sachants ;

3°) se rendre sur place sur le territoire de la commune de F..., notamment sur la I..., où est situé l'ouvrage litigieux ;

4°) apporter à la cour des éléments d'appréciation concernant le ruisseau " G... " pour la partie située au niveau du muret en litige et en amont de ce muret, sur les points suivants :

- alimentation par une source, à la date des opérations d'expertise, en tenant compte notamment des travaux qui ont été mis en œuvre pour raccorder une ou des sources ou fontaines existant dans le village au réseau public d'évacuation des eaux ou pour les déconnecter de ce réseau et en indiquant le ou les lieux précis où les eaux issues d'une ou de sources ou fontaines rejoindraient le ruisseau ;

- présence d'un écoulement présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année ;

- écoulement dans un lit naturel à l'origine.

L'expert pourra se référer à tout indice qu'il estime pertinent, notamment à la présence de berges et d'un lit au substrat spécifique, à la présence de flore ou de faune aquatiques et à la continuité d'écoulement de l'amont vers l'aval ;

5°) d'une manière générale, fournir à la cour toutes les précisions factuelles et techniques, ainsi que des documents cartographiques ou photographiques en relation avec sa mission et pouvant être utiles à la solution du litige.

Article 5 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme B... et M. C... d'une part et le préfet de Meurthe-et-Moselle d'autre part.

Article 6 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 7 : Tous droits et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à l'intervention de l'arrêt au fond.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse C..., à M. A... C... et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nancy.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2022.

La rapporteure,

A. E...Le président,

Ch. WURTZ

Le greffier,

F. LORRAIN La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

2

N° 20NC03791


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03791
Date de la décision : 03/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : PONSEELE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-05-03;20nc03791 ?
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