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28/04/2022 | FRANCE | N°21NC01871

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 5ème chambre, 28 avril 2022, 21NC01871


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2021 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an.

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Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juin 2021, Mme B..., rep...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2021 par lequel le préfet de l'Yonne l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 2100091 du 21 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juin 2021, Mme B..., représentée par Me Willaume, demande à la cour :

1°) de transmettre une question préjudicielle au juge pour enfants, compétent pour statuer sur sa minorité et son isolement, et surseoir à statuer dans l'attente de cette décision ;

2°) d'annuler le jugement du 21 janvier 2021 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2021 ;

4°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent-cinquante euros par jour de retard ;

5°) d'enjoindre au préfet de la prendre en charge en tant que mineure via les services de l'aide sociale à l'enfance ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision ne lui a pas été notifiée dans une langue qu'elle comprend ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- la préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- son droit d'être entendue garanti par les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux a été méconnu dès lors qu'elle n'a pas été informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation au regard du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant car elle est mineure ;

- le préfet a commis une erreur de fait dans l'appréciation de son âge sans que sa situation ait été évaluée conformément au processus défini à l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles ;

- la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière en l'absence d'entretien avec l'équipe pluridisciplinaire ; elle a subi un examen pubertaire interdit par les dispositions de l'article 388 du code civil ;

- la décision porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision portant interdiction de retour :

- la décision doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- le préfet n'a pas motivé son choix de ne pas faire application des circonstances humanitaires ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation quant aux circonstances humanitaires.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 décembre 2021, le préfet de l'Yonne, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 20 décembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 21 mars 2022 à 12 heures.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 25 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laubriat,

- et les observations de Me Ioammidou, représentant le préfet de l'Yonne.

1. Mme B..., ressortissante ivoirienne, qui dit être née le 1er janvier 2003, serait, selon ses déclarations, entrée en France durant le mois de janvier 2021. Elle a été prise en charge par les services du conseil départemental de l'Yonne qui ont procédé le 8 janvier 2021 à l'évaluation de sa minorité. Le 12 janvier 2021, le conseil départemental a conclu à la majorité de l'intéressée. Par un arrêté du même jour, le préfet de l'Yonne a obligé la requérante à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Mme B... demande à la cour d'annuler le jugement du 21 janvier 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Dès notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. L'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1. Ces éléments lui sont alors communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend ".

3. Les conditions de notification d'une décision administrative sont par elles-mêmes sans incidence sur sa légalité. Par suite, Mme B... ne peut utilement se prévaloir de ce que la notification de l'arrêté contesté du 12 janvier aurait été effectuée dans une langue qu'elle ne comprend pas. Au demeurant, il ressort des termes de cet arrêté que la décision faisant obligation à la requérante de quitter le territoire français lui a été notifiée en français. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... ne comprendrait pas le français, ni qu'elle aurait fait part de son souhait d'être entendue dans une autre langue que le français. En tout état de cause, l'intéressée a signé chacune des pages de l'arrêté, laissant ainsi raisonnablement supposer qu'elle le comprenait.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...)".

5. La décision en litige, qui vise les dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que la requérante ne peut justifier d'une entrée régulière sur le territoire, que l'absence de document de voyage ou d'identité valable, le rapport d'évaluation du Conseil départemental de l'Yonne et les procès- verbaux d'audition et d'âge apparent constituent un faisceau d'indices concordants démontrant sa majorité, qu'elle a déclaré être entrée sur le territoire français en janvier 2021, qu'elle est célibataire et sans enfant, qu'elle n'établit pas avoir des attaches familiales sur le territoire français, enfin qu'elle n'entre dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour et que sa situation ne présente aucune circonstance exceptionnelle ou humanitaire permettant d'y déroger. La décision en litige comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, c'est à bon droit que le premier juge a écarté le moyen tiré du défaut de motivation. La motivation de cette décision témoigne par ailleurs de ce que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de Mme B....

6. En troisième lieu, le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

7. Il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement du procès-verbal d'audition par les forces de police du 12 janvier 2021, que Mme B... a été informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement et a été invitée à présenter ses observations sur cette éventualité. Par suite, c'est à juste titre que le premier juge a considéré qu'il n'a pas été porté atteinte à son droit d'être entendue.

8. En quatrième lieu, Mme B... se borne à reprendre en appel, sans apporter d'éléments nouveaux ni critiquer utilement les motifs de rejet qui lui ont été opposés en première instance, les moyens tirés de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance des dispositions du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus, à juste titre, par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy dans son jugement du 21 janvier 2021, et énoncés aux points 8 et 9 dudit jugement.

9. En cinquième lieu, compte tenu de ce qui précède, Mme B..., qui doit être regardée comme majeure, ne saurait utilement soutenir, pour contester la légalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, que, en tant que mineure isolée, sa situation aurait dû être évaluée conformément aux dispositions de l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction alors applicable. Par suite, c'est à bon droit que le premier juge a considéré qu'un tel moyen ainsi que, pour les mêmes motifs, celui tiré du vice de procédure, devaient être écartés comme inopérants.

10. En sixième lieu, si la requérante soutient qu'elle aurait subi un examen pubertaire interdit par l'article 388 du code civil, ses allégations ne sont assorties d'aucun élément de preuve. Au demeurant, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, notamment pas du procès-verbal de notification, d'exercice des droits et déroulement de garde à vue, qu'elle aurait subi un tel examen.

11. En septième et dernier lieu, si la requérante soutient que la décision en litige porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, elle n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, c'est à bon droit que le premier juge a écarté ce moyen.

Sur la décision fixant le pays de destination :

12. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

13. En second lieu, si la requérante fait valoir qu'un retour dans son pays d'origine l'exposerait à des risques de traitements inhumains et dégradants prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance desdites stipulations ne peut qu'être écarté.

Sur la décision portant interdiction de retour :

14. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

15. En second lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

16. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs.

17. La décision en litige, qui rappelle les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, mentionne que Mme B... est entrée récemment sur le territoire français, qu'elle ne possède pas de liens intenses et stables en France, ce que l'intéressée ne conteste pas, qu'elle n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, et que, dès lors, une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an est justifiée. Dans ces conditions, le préfet de l'Yonne, qui a pris soin d'examiner si des circonstances humanitaires pouvaient faire obstacle au prononcé d'une telle mesure, n'a pas entaché sa décision d'un défaut de motivation ni d'une erreur d'appréciation. Dès lors, ces moyens doivent être écartés.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er: La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 7 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Laubriat, président,

- M.Meisse, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022.

Le président,

signé

A. LAUBRIATL'assesseur le plus ancien,

signé

E. MEISSE

La greffière,

signé

C. JADELOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

signé

C. JADELOT

21NC01871

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01871
Date de la décision : 28/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAUBRIAT
Rapporteur ?: M. Alain LAUBRIAT
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : WILLAUME

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-04-28;21nc01871 ?
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