Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... B..., Mme F... B..., M. E... B... et M. H... B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à leur verser une indemnité totale de 279 000 euros en raison des préjudices liés au décès de Mme A... B....
Par un jugement n°s 1802451, 1803591 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 mai 2019, M. G... B..., Mme F... B..., agissant en leur nom propre et en qualité d'ayants droit de Mme A... B..., ainsi que M. E... B... et M. H... B..., représentés par Me Schweitzer, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser à M. G... B... et à Mme F... B..., en leur qualité d'ayants droit de Mme A... B..., la somme globale de 105 000 euros ;
3°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser à Mme F... B... et à M. G... B..., en leur nom personnel, la somme de 50 000 euros chacun ;
4°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser à MM. Vincent et Philippe B... la somme de 37 000 euros chacun ;
5°) de mettre à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg la somme de 10 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg doit être engagée dès lors que, dès l'arrivée de Mme A... B... au service de psychiatrie, il aurait dû, au vu de son état, être réalisé une prise de sang ;
- les Hôpitaux universitaires de Strasbourg doivent également voir leur responsabilité engagée du fait du retard entre la prescription du bilan sanguin et sa réalisation ; le docteur C..., chef du service psychiatrie, aurait dû veiller à ce que cette prise de sang soit réalisée rapidement ;
- les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ont également commis une erreur de diagnostic et une erreur dans les soins administrés en retenant une suspicion de conversion hystérique et en se bornant à réaliser trois séances d'hypnose ; dès l'arrivée de Mme A... B... au sein du service de psychiatrie, il aurait dû être recherché une éventuelle cause organique à ses maux ;
- il a été porté atteinte à la dignité de Mme A... B... en filmant l'une des séances d'hypnose, alors que la patiente n'était, compte tenu de son état, pas en mesure d'y consentir librement ;
- l'interdiction faite à la patiente de recevoir la visite de sa famille et le comportement du docteur C... témoignent d'un comportement inhumain et dégradant de ce dernier ;
- en raison de l'ensemble de ces fautes, ils sont fondés à demander à ce que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg versent à M. G... B... et à Mme F... B..., en leur qualité d'ayants droit de Mme A... B..., la somme de 30 000 euros au titre de son pretium doloris, ainsi que la somme de 60 000 euros au titre de son préjudice moral et enfin la somme de 15 000 euros en raison de ses pertes de chance de survie ;
- les Hôpitaux universitaires de Strasbourg devront également verser à M. G... B... et à Mme F... B... la somme de 50 000 euros chacun en raison de leurs propres préjudices ;
- les Hôpitaux universitaires de Strasbourg devront verser à MM. Vincent et Philippe B... la somme de 37 000 euros chacun en raison de leurs préjudices.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 décembre 2019, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête.
Ils font valoir que :
- il n'a été commis aucune faute lors de la prise en charge de Mme A... B... au sein du service psychiatrique ;
- les différents experts ont confirmé que le diagnostic posé était légitime ;
- le régime d'hospitalisation libre, accepté par Mme B..., n'imposait pas la réalisation d'une prise de sang à son arrivée dans le service ; cette prise de sang n'aurait d'ailleurs pas permis de révéler la pathologie de la patiente ;
- le délai entre la prescription du professeur C... et la réalisation du bilan sanguin n'était pas excessif et, en tout cas, n'était pas fautif ;
- l'hypnose médicale pratiquée était une technique reconnue et adaptée pour le traitement des troubles de la conversion ; le consentement de Mme B... a été recueilli en amont de la prise en charge et elle avait accepté le captage d'une des séances en toute connaissance de cause comme l'ont retenu les experts et les juges pénaux ;
- il n'est nullement établi que Mme B... se serait vu interdire la possibilité de recevoir la visite de sa famille ; Mme B... était en régime d'hospitalisation libre et pouvait y mettre fin à tout moment ; la limitation des visites participait à l'élaboration du diagnostic, en permettant à Mme B... de s'extraire de son environnement familial ;
- le comportement inhumain et dégradant du docteur C... n'est nullement établi ;
- les requérants, tant en leur qualité d'ayants droit de Mme A... B... que de victimes indirectes, ont déjà reçu, en exécution du jugement rendu le 22 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Strasbourg, une indemnisation au titre des préjudices pour lesquels ils demandent réparation ;
- à titre subsidiaire, leurs prétentions indemnitaires sont non fondées ou à tout le moins excessives.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marchal,
- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... a commencé à souffrir au mois de décembre 2002 de vives douleurs au genou droit. Elle a alors consulté à de multiples reprises son médecin traitant. Elle a également été examinée par des médecins spécialisés en orthopédie, sans qu'aucun praticien ne trouve une origine physique à ses douleurs. Mme A... B... a finalement été orientée vers un médecin psychiatre, qui lui a conseillé, en accord avec son médecin traitant, de se rendre en consultation au service psychiatrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. A son arrivée dans ce service, le 12 juin 2003, Mme A... B... a fait l'objet d'une première consultation, qui a abouti à un diagnostic de soupçon de conversion hystérique, ainsi que d'anorexie psychogène. Au regard de ce diagnostic, Mme A... B... a accepté d'être hospitalisée au sein de ce service. Après l'échec d'un traitement par séances d'hypnose, il a été prescrit à Mme A... B... un bilan sanguin, qui a révélé, le 26 juin 2003, une hyper-calcémie marquée. La patiente a alors été transférée au service de médecine interne le jour même. Après plusieurs examens, un cancer généralisé a été diagnostiqué et Mme A... B... a été transférée au service d'oncologie à compter du 4 juillet 2003. Elle y est décédée, le 3 août 2003, des suites de son cancer. Les parents et les deux frères de la victime ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à les indemniser des préjudices subis par Mme A... B..., ainsi que de leurs préjudices propres. M. G... B..., Mme F... B..., M. E... B... et M. H... B... font appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Sur la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'arrivée de Mme A... B... au service psychiatrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, le 12 juin 2003, les psychiatres alors en service ont émis un diagnostic de soupçon de conversion hystérique, ainsi que d'anorexie psychogène. Un tel diagnostic n'a ainsi pas identifié le cancer dont souffrait Mme A... B.... Toutefois, il résulte également de l'instruction que Mme A... B... s'est présentée au service psychiatrique après avoir consulté à plusieurs reprises différents médecins, dont deux médecins orthopédistes, pour des douleurs au genou droit provoquées indirectement par la métastase osseuse, située à la hanche droite, du cancer dont elle souffrait. Ces différents professionnels n'ont cependant pas diagnostiqué ce cancer, dont les différentes expertises soulignent au demeurant le caractère atypique et difficilement décelable pour des praticiens non oncologues, et ils ont, de plus, fini par exclure toute cause physique aux douleurs de Mme A... B..., Au regard des conclusions communiquées par leurs prédécesseurs quant à l'absence d'origine organique des douleurs et aux premiers échanges avec la patiente, dont il est retenu par l'expertise des docteurs Chaussard, Fremont, Reverberi et Solet, ainsi que par l'expertise du docteur D..., qu'elle souffrait effectivement de troubles névrotiques en parallèle à son cancer, les médecins du service psychiatrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg n'avaient aucune raison de soupçonner l'existence de causes physiques aux douleurs de Mme A... B.... Ils n'ont donc pas commis de faute en proposant un diagnostic de soupçon de conversion hystérique et d'anorexie psychogène et en ne procédant pas, lors de l'arrivée de la patiente à des investigations complémentaires, notamment par un bilan sanguin, visant à remettre en cause l'absence l'origine physique des troubles de Mme A... B.... Au vu du diagnostic ainsi légitimement posé sur les sources des douleurs de la patiente, le choix de lui proposer une hospitalisation afin de la mettre à l'écart temporaire de sa famille, dont les relations avec certains membres apparaissaient alors être l'une des causes des troubles, ainsi que de réaliser des séances d'hypnose, dont l'efficacité est reconnue par la communauté scientifique, était pertinent. Enfin, ce diagnostic a été remis en cause dès le constat de l'inefficacité du traitement par hypnose et des examens complémentaires pertinents ont alors été sollicités dans un délai raisonnable pour rechercher une origine somatique aux douleurs. Le délai de six jours entre la date à laquelle le médecin du service psychiatrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg a retenu l'intérêt de la réalisation d'un bilan sanguin et la date de l'obtention des résultats de ce bilan n'est pas fautif, dès lors que les informations à la disposition de ce service ne permettaient alors pas de suspecter la gravité de l'état de Mme B.... Ainsi, le service psychiatrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg n'a commis de faute ni dans l'établissement du diagnostic, ni dans les soins apportés à Mme A... B....
4. En deuxième lieu, si l'une des trois séances d'hypnose de Mme A... B... a été filmée à des fins pédagogiques, aucun élément au dossier ne permet de considérer que la patiente n'avait pas donné son consentement éclairé à la réalisation des séances d'hypnose et à la captation de l'une d'entre elles. Il ne résulte, à ce titre, pas de l'instruction que l'état de santé de Mme A... B..., en dépit de l'état d'avancement de son cancer, faisait obstacle à ce qu'elle donne son consentement éclairé à la réalisation de séances d'hypnose et à la captation réalisée de l'une de ces séances. Les docteurs Chaussard, Fremont, Reverberi et Solet, qui ont pu visionner le captage, relèvent d'ailleurs dans leur expertise que la séance filmée s'est déroulée sans aucune marque d'opposition de Mme A... B..., alors que le procédé de l'hypnose ne peut, pour pouvoir être pratiqué, être réalisé contre le gré du patient. Par suite, ni les séances d'hypnose ni le captage de l'une d'elles ne sont constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
5. En troisième lieu, les requérants soutiennent que la visite de proches de Mme A... B... a été interdite pendant son hospitalisation en service psychiatrique et que l'intéressée a ainsi été privée de leur soutien à quelques semaines de son décès. Il résulte toutefois de l'instruction et des différents rapports d'expertise que Mme A... B... avait accepté une hospitalisation visant notamment à la mettre temporairement à l'écart de sa famille, dont les relations avec certains membres apparaissaient alors constituer l'une des causes de ses troubles. Ainsi et alors que la gravité de l'état de santé de la patiente et les causes de ses troubles n'étaient pas connues, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la mise à l'écart temporaire de Mme A... B... est constitutive d'une faute.
6. En quatrième et dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le docteur C..., chef du service de psychiatrie, qui s'est borné à appliquer le protocole établi dans le cadre de l'hospitalisation de la patiente et ne lui a pas imposé un traitement non préalablement consenti, aurait eu un comportement inhumain ou dégradant. Les propos qui lui sont prêtés par les requérants ne sont pas établis. Dans ces conditions, le comportement de ce praticien ne peut être regardé comme fautif.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes indemnitaires.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent aux consorts B... la somme que ceux-ci réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des consorts B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B... en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.
Le rapporteur,
Signé : S. MARCHALLe président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 19NC01704 2