Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 11 janvier 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a confirmé la décision lui refusant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Cattenom et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1908064, du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Buchinger, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 juillet 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 11 janvier 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a confirmé la décision lui refusant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Cattenom ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière, en violation des droits de la défense ;
- la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'intervention du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire n'est nullement mentionnée ;
- l'absence d'explication de l'administration sur les motifs de la décision est de nature à porter un doute sérieux sur sa légalité ; il bénéficiait d'une autorisation d'accès jusque 2018 sans avoir fait l'objet du moindre reproche sur son comportement ou son professionnalisme ; la décision compromet son avenir professionnel ;
- l'absence de communication par l'administration des griefs qui lui sont reprochés constitue une illégalité qu'il appartient au juge administratif de sanctionner ;
- il est fort possible qu'il soit victime d'une discrimination fondée sur ses origines ethniques ;
- la décision est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur de qualification juridique des faits.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 janvier 2022, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 27 janvier 2022, M. A... conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens. Il n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picque, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., salarié de la société Electricité de France (EDF), est technicien " examens non destructifs " au sein du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Cattenom. Par une décision du 31 octobre 2018, son employeur a refusé de lui autoriser l'accès au site, à la suite d'un avis défavorable émis le 26 octobre 2018 par l'autorité administrative. Par une lettre du 22 novembre 2018, M. A... a formé un recours préalable obligatoire devant le ministre de la transition écologique et solidaire, qui l'a rejeté par une décision du 11 janvier 2019. Par un jugement du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cette décision. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir :
2. Contrairement à ce qui est soutenu, la requête de M. A..., qui ne se borne pas à reproduire exclusivement sa demande de première instance, met le juge d'appel en mesure de se prononcer sur les erreurs qu'aurait pu commettre le tribunal en écartant les moyens soulevés devant lui. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la ministre doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la ministre tirée de la tardiveté de la demande présentée devant le tribunal administratif :
3. Il ressort des pièces du dossier que le courrier notifiant à M. A... la décision du 11 janvier 2019 rejetant son recours administratif préalable obligatoire a été retourné au ministre de la transition écologique et solidaire, accompagné d'un avis de réception comportant la mention " pli avisé et non réclamé ". Toutefois, la date de vaine présentation n'a pas été indiquée par le facteur. Dans ces conditions, l'administration n'apportant pas la preuve qui lui incombe de la date de notification de la décision attaquée, la tardiveté de la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg ne peut être regardée comme établie. La fin de non-recevoir opposée par la ministre doit, en conséquence, être écartée.
En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :
4. D'une part, les centres nucléaires de production d'électricité constituent, selon les dispositions combinées des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense et L. 593-1 du code de l'environnement, des installations et ouvrages d'importance vitale dont l'accès est, en vertu des dispositions de l'article L. 1332-2-1 du code de la défense, soumis à une autorisation préalable de l'opérateur, délivrée dans les conditions et selon les modalités définies à l'article R. 1332-22-1 du même code. Aux termes de ces dispositions : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne à tout ou partie d'un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, l'opérateur d'importance vitale peut demander par écrit, selon le cas, l'avis : / 1° Du préfet du département dans le ressort duquel se situe le point d'importance vitale ; / 2° De l'autorité désignée par le ministre de l'intérieur pour les opérateurs d'importance vitale du sous-secteur nucléaire ou pour les opérateurs d'importance vitale exploitant les installations nucléaires intéressant la dissuasion ne relevant pas du ministre de la défense au sens de l'article R.* 1411-9 ; / 3° Du ministre de la défense pour les opérateurs d'importance vitale relevant de celui-ci. / Cette demande peut justifier que soit diligentée sous le contrôle de l'autorité concernée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé et pouvant donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. " Aux termes de l'article R. 1332-33 du même code : " Préalablement à l'introduction d'un recours contentieux contre tout acte administratif pris en application du présent chapitre, à l'exception de la décision mentionnée au II de l'article R. 1332-26 ou de toute décision mentionnée à la section 7 bis du présent chapitre, le requérant adresse un recours administratif au ministre coordonnateur du secteur d'activités dont il relève. Le ministre statue dans un délai de deux mois. En l'absence de décision à l'expiration de ce délai, le recours est réputé être rejeté (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.
A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 211-6 de ce code : " Les dispositions du présent chapitre ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret ". Enfin, l'article L. 311-5 du même code auquel renvoie le 7° de l'article L. 211-2 indique : " Ne sont pas communicables : / (...) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; / b) Au secret de la défense nationale ; / c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; / d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ; / e) A la monnaie et au crédit public ; / f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente (...) ".
6. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 4 et 5 que la décision par laquelle le ministre compétent, saisi sur le fondement de l'article R. 1332-33 du code de la défense refuse d'autoriser l'accès à un centre nucléaire de production d'électricité, constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et le rejet d'un recours administratif préalable obligatoire. Par suite, sauf à ce que la communication des motifs de cette décision soit de nature à divulguer des faits couverts par un secret protégé par la loi, et notamment à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a) au f) du 2° de l'article L. 311-5 du même code, une telle décision doit être motivée.
7. Il ressort des pièces du dossier que, pour prendre la décision attaquée, le ministre de la transition écologique et solidaire s'est fondé sur une enquête administrative diligentée par le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN), qui a émis un avis défavorable à l'autorisation au vu notamment des mentions du fichier " traitement des antécédents judiciaires " ( TAJ ). Selon cet avis, M. A... a été mis en cause en juillet 2014 dans une affaire de violence sur la voie publique, avec usage ou menace d'une arme et détention non autorisée de stupéfiants. La même année, M. A... a déclaré qu'il consommait du cannabis quotidiennement depuis ses 16 ans en y consacrant 20 % de son budget. Enfin, l'intéressé se serait également fait connaitre défavorablement de services de police pour des faits de rébellion, destruction, outrage et violence en 2005 et 2006.
8. Contrairement à ce que soutient la ministre, compte tenu de l'origine de ces informations et de leur contenu, la communication des éléments de faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour refuser l'autorisation d'accès de M. A... au CNPE de Cattenom ne saurait être regardée comme pouvant être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions précitées du d) du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. La décision en litige devait donc être motivée en application des 7° et 8° de l'article L. 211-2 du même code.
9. En se bornant à indiquer que " les éléments fournis à votre égard par le service enquêteur sont incompatibles avec votre présence sur un site nucléaire et avec le travail que vous êtes censé y effectuer " le ministre n'a pas suffisamment motivé sa décision.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. A..., que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision attaquée.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1908064 du 13 juillet 2021 du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 11 janvier 2019 du ministre de la transition écologique et solidaire sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
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N° 21NC02497