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01/03/2022 | FRANCE | N°21NC00866

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 mars 2022, 21NC00866


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 8 mars 2021 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a fixé l'Algérie comme pays à destination duquel il pourra être reconduit.

Par une ordonnance n° 2101733 du 18 mars 2021, la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 mars et 13 octobre 2021, M. E..., représenté par Me Mengus, d

emande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance de la magistrate désignée du tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 8 mars 2021 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a fixé l'Algérie comme pays à destination duquel il pourra être reconduit.

Par une ordonnance n° 2101733 du 18 mars 2021, la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 mars et 13 octobre 2021, M. E..., représenté par Me Mengus, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance de la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg du 18 mars 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 8 mars 2021 prise à son encontre par le préfet du Haut-Rhin ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la magistrate désignée a commis une erreur de droit et a méconnu les stipulations de l'article 6§1 et de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en rejetant son recours par une ordonnance d'irrecevabilité pour expiration du délai de recours de 48 heures ;

- son éloignement vers l'Algérie est matériellement impossible ;

- la compétence du signataire de la décision n'est pas établie ;

- le préfet n'a pas procédé à l'examen individuel de sa situation ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- sa présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- il a sollicité la mainlevée de l'interdiction judiciaire du territoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2021 le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 22 novembre 2021, M. E... conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens. Il n'a pas été communiqué.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant algérien, né le 3 octobre 1992, est entré en France en 2016. Par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal correctionnel de Strasbourg l'a condamné à une peine d'emprisonnement de quatre mois, assortie d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire d'une durée de deux ans. Il fait appel de l'ordonnance du 18 mars 2021 par laquelle la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté, pour irrecevabilité manifeste, sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 mars 2021 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a fixé l'Algérie comme pays à destination duquel il pourra être reconduit en application de cette interdiction judiciaire du territoire français.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

3. Il ressort des pièces du dossier, alors même que la décision mentionnait un délai de recours de 48 heures, au demeurant erroné, que la notification de la décision fixant le pays de destination en litige mentionne la possibilité de présenter " dans le délai de deux mois (...) un recours contentieux devant la juridiction administrative territorialement compétente (...) ". Seul ce délai plus favorable était, par conséquent, opposable à l'intéressé. Par suite, la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 15 mars 2021, dirigée contre la décision du préfet du Haut-Rhin notifiée le 8 mars 2021 à M. E..., n'était pas tardive.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans besoin d'examiner l'autre moyen de régularité soulevé, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête comme manifestement irrecevable. Il s'ensuit que cette ordonnance est irrégulière et doit être annulée.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination attaquée :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige a été signée par M. D... C..., chef du service de l'immigration et de l'intégration. Par un arrêté du 24 août 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour, le préfet du Haut-Rhin a consenti à l'intéressé une délégation à l'effet de signer notamment, dans le cadre de ses fonctions, " les décisions fixant le pays de renvoi d'un étranger en situation irrégulière " en cas d'absence ou à l'empêchement de M. A... B..., directeur de la réglementation. M. E... n'établit pas, ni même n'allègue, que cette dernière condition n'était pas remplie en l'espèce. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen individuel de la situation personnelle de M. E....

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

9. L'éloignement de M. E... est la conséquence nécessaire de l'interdiction du territoire français prononcée le 13 décembre 2018 par le tribunal correctionnel de Strasbourg. L'intéressé ayant eu la possibilité de demander le relèvement de cette peine complémentaire devant le juge judiciaire, ce dont il a au demeurant fait usage, celui-ci ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant à l'encontre de la décision distincte fixant le pays à destination duquel il doit être renvoyé en application de cette mesure judiciaire. Ces moyens doivent donc être écartés comme inopérants.

10. En quatrième lieu, si le prononcé par le juge judiciaire de la mainlevée de l'interdiction du territoire français dont fait l'objet M. E... aurait pour effet de rendre inexécutable la décision fixant le pays de destination en litige, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision administrative qui s'apprécie à la date de son édiction.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

12. Il est constant que M. E... est de nationalité algérienne. Dès lors c'est légalement que le préfet du Haut-Rhin a pu, pour ce motif, fixer l'Algérie comme pays à destination duquel il doit être éloigné. En particulier, l'intéressé ne peut utilement se prévaloir, à l'appui de la contestation de la légalité de cette décision, de ce que son éloignement vers l'Algérie ne serait pas matériellement possible, ni de ce qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, tant au titre de la première instance que de l'instance d'appel, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2101733 du 18 mars 2021 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Strasbourg ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

2

N° 21NC00866


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00866
Date de la décision : 01/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : MENGUS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-03-01;21nc00866 ?
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