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01/03/2022 | FRANCE | N°21NC00515

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 mars 2022, 21NC00515


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 9 septembre 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a confirmé la décision lui refusant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Chooz, d'enjoindre au ministre de lui autoriser l'accès au site et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1902596

, du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 9 septembre 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a confirmé la décision lui refusant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Chooz, d'enjoindre au ministre de lui autoriser l'accès au site et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1902596, du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé la décision attaquée, d'autre part, enjoint à la ministre de la transition écologique de statuer à nouveau sur la demande d'accès aux sites EDF présentée par l'employeur de M. B... et, enfin, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 février et 6 décembre 2021, la ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 18 décembre 2020 ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif.

Elle soutient que :

- les décisions refusant l'accès à un centre nucléaire de production d'électricité font partie des catégories de décisions qui, par nature, relèvent du d) du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration et qui, par conséquent, n'ont pas à être motivées;

- subsidiairement, la décision attaquée est suffisamment motivée ;

- la matérialité des faits sur lesquels la décision attaquée est fondée est établie ;

- elle n'est pas compétente pour statuer à nouveau sur la demande d'autorisation d'accès.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 octobre 2021, M. B..., représenté par la SCP Ledoux, Ferri, Riou-Jacques, Touchon, Mayolet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la ministre requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 19 janvier 2022, M. B... conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens. Il n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... est technicien dans le secteur du nucléaire. Alors qu'il intervenait sur le site de la centrale nucléaire de Chooz, en tant qu'intérimaire auprès de la société Manpower, il a fait l'objet d'un refus d'autorisation d'accès de la part de la société Electricité de France (EDF). Par une lettre du 26 juillet 2019, M. B... a formé un recours préalable obligatoire contre cette décision devant la ministre de la transition écologique et solidaire qui, par une décision du 9 septembre 2019, l'a rejeté. La ministre fait appel du jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cette décision, lui a enjoint de statuer à nouveau sur le cas de M. B... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. D'une part, les centres nucléaires de production d'électricité constituent, selon les dispositions combinées des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense et L. 593-1 du code de l'environnement, des installations et ouvrages d'importance vitale dont l'accès est, en vertu des dispositions de l'article L. 1332-2-1 du code de la défense, soumis à une autorisation préalable de l'opérateur, délivrée dans les conditions et selon les modalités définies à l'article R. 1332-22-1 du même code. Aux termes de ces dispositions : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne à tout ou partie d'un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, l'opérateur d'importance vitale peut demander par écrit, selon le cas, l'avis : / 1° Du préfet du département dans le ressort duquel se situe le point d'importance vitale ; / 2° De l'autorité désignée par le ministre de l'intérieur pour les opérateurs d'importance vitale du sous-secteur nucléaire ou pour les opérateurs d'importance vitale exploitant les installations nucléaires intéressant la dissuasion ne relevant pas du ministre de la défense au sens de l'article R.* 1411-9 ; / 3° Du ministre de la défense pour les opérateurs d'importance vitale relevant de celui-ci. / Cette demande peut justifier que soit diligentée sous le contrôle de l'autorité concernée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé et pouvant donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. " Aux termes de l'article R. 1332-33 du même code : " Préalablement à l'introduction d'un recours contentieux contre tout acte administratif pris en application du présent chapitre, à l'exception de la décision mentionnée au II de l'article R. 1332-26 ou de toute décision mentionnée à la section 7 bis du présent chapitre, le requérant adresse un recours administratif au ministre coordonnateur du secteur d'activités dont il relève. Le ministre statue dans un délai de deux mois. En l'absence de décision à l'expiration de ce délai, le recours est réputé être rejeté (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 211-6 de ce code : " Les dispositions du présent chapitre ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret ". Enfin, l'article L. 311-5 du même code auquel renvoie le 7° de l'article L. 211-2 indique : " Ne sont pas communicables : / (...) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; / b) Au secret de la défense nationale ; / c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; / d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ; / e) A la monnaie et au crédit public ; / f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente (...) ".

4. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 2 et 3 que la décision par laquelle le ministre compétent, saisi sur le fondement de l'article R. 1332-33 du code de la défense refuse d'autoriser l'accès à un centre nucléaire de production d'électricité, constitue un refus d'autorisation au sens du 7° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et le rejet d'un recours administratif préalable obligatoire. Par suite, sauf à ce que la communication des motifs de cette décision soit de nature à divulguer des faits couverts par un secret protégé par la loi, et notamment à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a) au f) du 2° de l'article L. 311-5 du même code, une telle décision doit être motivée.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour prendre la décision attaquée, la ministre de la transition écologique et solidaire s'est fondée sur une enquête administrative diligentée par le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN), qui a émis un avis défavorable à l'autorisation au vu notamment des mentions du bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. B..., d'une note du service central de renseignement territorial (SCRT) et des mentions du fichier " traitement des antécédents judiciaires " (TAJ). Selon cet avis, M. B... a été condamné à une peine de trois ans de suspension en Belgique en 2014 pour des faits de rébellion, outrage et menace envers une personne dépositaire de l'autorité publique après que la fouille de son véhicule ait révélé la présence d'un ouvrage sur le djihadisme, d'ouvrages sur les sports de combat ainsi que des données techniques concernant les installations nucléaires sans pour autant qu'un signe de radicalisation ne soit détecté. M. B... a également été condamné au mois de janvier 2017 par la cour d'appel de Liège à une peine de douze mois de prison avec sursis pour des faits de coups et blessures volontaires ayant entrainé une incapacité de travail. Enfin, il a fait l'objet d'une plainte pour des faits similaires le 13 février 2019 à la suite d'une altercation sur son lieu de travail.

6. Contrairement à ce que soutient la ministre, compte tenu de l'origine de ces informations et de leur contenu, la communication des éléments de faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour refuser l'autorisation d'accès de M. B... au CNPE de Chooz ne saurait être regardée comme pouvant être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions précitées du d) du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. La décision en litige devait donc être motivée en application des 7° et 8° de l'article L. 211-2 du même code.

7. En se bornant à indiquer que " les éléments fournis à votre égard par le service enquêteur sont incompatibles avec votre présence sur un site nucléaire et avec le travail que vous êtes censé y effectuer " le ministre n'a pas suffisamment motivé sa décision.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé, pour ce motif, sa décision du 9 septembre 2019 interdisant à M. B... l'accès au site nucléaire d'EDF.

Sur l'injonction prononcée par le tribunal :

9. L'annulation prononcée par le tribunal a nécessairement eu pour effet de saisir à nouveau la ministre du recours administratif préalable obligatoire de M. B..., laquelle était donc compétente, dans ce cadre, pour statuer à nouveau sur la demande d'autorisation d'accès présentée par l'employeur de l'intéressé. Il en résulte que la ministre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a enjoint à procéder à un tel réexamen.

Sur les frais de l'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la ministre de la transition écologique et solidaire est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et solidaire et à M. A... B....

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N° 21NC00515


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00515
Date de la décision : 01/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05 Police. - Polices spéciales.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : LEDOUX FERRI YAHIAOUI RIOU-JACQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-03-01;21nc00515 ?
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