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10/02/2022 | FRANCE | N°19NC03407

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 10 février 2022, 19NC03407


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 5 août 2019 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités espagnoles et prononcé son assignation à résidence, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros p

ar jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 5 août 2019 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités espagnoles et prononcé son assignation à résidence, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1906274 du 5 septembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC03407 le 24 novembre 2019, et un mémoire enregistré le 6 décembre 2019, Mme A..., représentée par Me Gaudron demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 septembre 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 5 août 2019 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités espagnoles et prononcé son assignation à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

s'agissant de la décision portant transfert :

- l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne lui a pas été donnée ;

- elle n'a pas bénéficié d'un entretien individuel conforme à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- la décision de transfert méconnaît l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- elle méconnaît l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- elle méconnaît l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

s'agissant de la décision portant assignation à résidence :

- cette décision est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité affectant la décision portant transfert ;

- le préfet n'établit pas son caractère proportionné.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Par une lettre du 24 juillet 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de la décision de transfert, le transfert de celle-ci ne pouvant plus être légalement exécuté compte tenu de l'expiration du délai de transfert prévu à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par deux mémoires en réponse au moyen d'ordre public, enregistrés les 31 juillet 2020 et 9 avril 2021, la préfète du Bas-Rhin a informé la cour de ce que la requérante avait été déclarée en fuite, ce qui a eu pour effet de prolonger le délai de transfert jusqu'au 4 mars 2021, puis a indiqué que le transfert n'ayant pas eu lieu à cette date, cette mesure ne pouvait plus être exécutée.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 17 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante mauritanienne, entrée irrégulièrement en France, y a déposé une demande d'asile le 3 juillet 2019. Le 22 juillet 2019, les autorités espagnoles, sollicitées en ce sens par le préfet du Bas-Rhin, ont fait connaître leur accord à la prise en charge de l'intéressée. Par deux arrêtés du 5 août 2019, le préfet du Bas-Rhin a décidé le transfert de Mme A... aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence. Mme A... relève appel du jugement du 5 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la décision de transfert aux autorités espagnoles :

2. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matérielle possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". D'autre part, aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. Le premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, dispose : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 alors applicable du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 alors applicable du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal ait statué, s'il a été saisi. ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni un sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 5 août 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a ordonné le transfert de Mme A... aux autorités espagnoles est intervenu moins de six mois après l'accord de ces autorités pour sa prise en charge, soit dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Toutefois, ce délai a été interrompu par l'introduction du recours que Mme A... a introduit devant le tribunal administratif de Besançon sur le fondement des dispositions, alors applicables, de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter de la notification le 6 septembre 2019 à la préfecture du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le recours de Mme A.... Il ressort des pièces du dossier que ce délai a été prolongé, en application du paragraphe 2 du règlement du 26 juin 2013, la préfète du Bas-Rhin ayant informé la cour, dans son mémoire du 30 juillet 2020 en réponse au moyen d'ordre public qui lui avait été communiqué, que Mme A... avait été déclarée en fuite. L'arrêté de transfert du 5 août 2019 n'ayant pas été exécuté dans le délai de dix-huit mois à compter de la notification à la préfecture du jugement du tribunal administratif de Strasbourg, qui expirait le 6 mars 2021, la France est devenue, à cette date, responsable de la demande de protection internationale de Mme A.... Il s'ensuit qu'à cette date la décision de transfert en litige est devenue caduque et ne pouvait plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de la requête d'appel, les conclusions de la requête de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert du 5 août 2019 sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.

Sur l'assignation à résidence :

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la décision de transfert :

6. En premier lieu, Mme A... reprend en appel, sans les assortir d'éléments nouveaux, ni critiquer utilement les motifs de rejet qui leur ont été opposés par le tribunal administratif de Strasbourg, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 4, 5 et 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus, à bon droit, par le premier juge.

7. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La clause dérogatoire, prévue à l'article 17 précité, laisse la faculté discrétionnaire à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement.

8. Mme A... produit le certificat médical d'un psychiatre, qui indique la suivre régulièrement, dont il ressort qu'elle souffre de troubles anxio-phobiques et dépressifs sévères liés à sa situation actuelle, et en particulier à sa séparation d'avec ses enfants, troubles pour lesquels l'intéressée indique suivre un traitement à base de psychotropes anxiolytiques, antidépresseurs et hypnotiques. Si ce certificat précise qu'un retour de l'intéressée dans son pays d'origine sans son mari, ou son maintien en France sans ses enfants pourraient avoir des effets néfastes sur son état de santé du fait de sa vulnérabilité, accompagnée d'une " décompensation dépressive gravissime avec désacralisation et menaces suicidaires ", il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment à la date de l'entrée en France de l'intéressée et à l'absence d'éléments probants sur la réalité des liens entretenus avec son mari, qui a quitté la Mauritanie en 2005 et est titulaire en France du statut de réfugié depuis 2008, qu'un transfert aux autorités espagnoles aurait des conséquences significatives sur son état de santé et qu'elle ne pourrait bénéficier en Espagne d'une prise en charge médicale adaptée. Dans ces conditions, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

En ce qui concerne les autres moyens :

9. En premier lieu, l'arrêté du 5 août 2019, ordonnant l'assignation à résidence de Mme A... énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfait dès lors à l'obligation de motivation.

10. En deuxième lieu, l'arrêté ordonnant le transfert de Mme A... aux autorités espagnoles n'étant pas illégal, celle-ci n'est pas fondée à se prévaloir, par la voie de l'exception, de cette illégalité à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision ordonnant son assignation à résidence.

11. En dernier lieu, en se bornant à soutenir que le préfet n'établit pas le caractère proportionné de la décision ordonnant son assignation à résidence au regard de la possibilité qu'il avait de lui octroyer un délai de départ volontaire, sans faire état de particularités liées à sa situation personnelle ou familiale qu'elle estime incompatibles avec le principe de son assignation à résidence, la durée de cette mesure ou les mesures dont elle est assortie, Mme A... n'établit pas que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions dirigées contre son assignation à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

13. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A....

Sur les frais liés à l'instance :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme A... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... aux fins d'annulation de la décision du 5 août 2019 portant transfert auprès des autorités espagnoles.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

2

N° 19NC03407


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03407
Date de la décision : 10/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : GAUDRON

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-02-10;19nc03407 ?
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