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08/02/2022 | FRANCE | N°19NC02701

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 08 février 2022, 19NC02701


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... C... née B... et M. D... C... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser respectivement des sommes de 6 297 899,32 euros et de 125 000 euros sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Par un jugement n° 1700076 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Besançon a partiellement fait droit à l

eur demande en condamnant l'ONIAM à verser la somme de 241 320,56 euros à Mme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... C... née B... et M. D... C... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser respectivement des sommes de 6 297 899,32 euros et de 125 000 euros sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Par un jugement n° 1700076 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Besançon a partiellement fait droit à leur demande en condamnant l'ONIAM à verser la somme de 241 320,56 euros à Mme C..., ainsi qu'une rente.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 28 août 2019 sous le n° 19NC02701, ainsi que par un mémoire enregistré le 5 novembre 2020, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2019 ;

2°) de limiter à une somme ne pouvant excéder 16 492,50 euros les condamnations prononcées à son encontre au profit de Mme C... ;

3°) de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de M. C....

Il soutient que :

- les premiers juges ont déduit à juste titre, au regard des dispositions de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, les sommes versées par l'assureur de la victime, qui présentent un caractère indemnitaire, nonobstant le fait que leur paiement résulte d'un contrat ou que le GAN ne puisse exercer de recours subrogatoire ; c'est, en revanche, à tort qu'ils ont estimé que le montant de la réparation restant à sa charge était égal, pour chaque poste de préjudice, à la différence entre l'indemnisation de droit commun des préjudices subis par la victime et les sommes que celle-ci a reçues au titre de son contrat d'assurance ; l'absence de production du contrat ne permettait pas d'admettre qu'il existait un plafond d'indemnisation par l'assureur fixé à deux millions d'euros ; en l'absence de connaissance des conditions particulières du contrat et des modalités de calculs, il ne pouvait être tenu pour établi que l'indemnisation des préjudices par l'assureur n'avait pas été faite selon les règles du droit commun et qu'elle ne portait que sur une partie des préjudices ; dans ces conditions, aucune indemnisation n'est due au titre du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément, des frais d'adaptation du logement et/ou véhicule, de l'assistance par tierce personne, qui ont fait l'objet d'une indemnisation par l'assureur de la victime ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé, en statuant ultra petita, que la réparation des préjudices ne devait pas être limitée à 90 %, alors que la commission de conciliation et d'indemnisation et les experts avaient estimé que l'engagement de la solidarité nationale était limité à cette fraction, deux antécédents ayant concouru à la réalisation du dommage à hauteur de 10 %, et que les demandeurs avaient limité leurs prétentions indemnitaires en y appliquant le taux de 90 % ; les indemnisations accordées par les premiers juges, à hauteur de 13 000 euros pour le déficit fonctionnel temporaire, de 5 000 euros pour les préjudices sexuels et d'établissement et de 325 euros pour les frais divers, doivent en conséquence être ramenées à de plus justes proportions, sans dépasser respectivement les sommes de 11 700 euros, 4 500 euros et 292,50 euros.

Par des mémoires enregistrés les 18 février et 26 novembre 2020, Mme A... E... C..., représentée par la SCP Lorach avocats associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner l'ONIAM à lui verser une somme de 8 882 911,40 euros, assortie des intérêts à compter du 16 janvier 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé, contrairement aux conclusions du rapporteur public, qu'il y avait lieu de déduire les sommes versées par son assureur, le GAN, au titre d'un contrat relatif aux accidents de la vie, alors que l'assurance souscrite n'a pas de caractère indemnitaire, s'agissant d'une assurance volontaire et de sommes versées sur la base d'un contrat pour lequel des primes ont été versées, la cause de cette indemnisation étant distincte de celle incombant à l'ONIAM ; la circonstance que l'assureur ne bénéficie d'aucun recours confirme le caractère indépendant de la prestation qu'il verse ; l'office n'est pas fondé à soutenir que le plafond d'indemnisation de ce contrat ferait obstacle à ce qu'elle obtienne une indemnisation plus élevée, alors que le plafond de garantie ne peut permettre l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice ; le prononcé des conclusions du rapporteur public a été entaché d'une coquille caractérisant une incohérence dans le montant final qu'il a indiqué dans ses observations orales, à la différence du sens des conclusions ; contrairement à ce qu'il allègue, l'ONIAM a eu connaissance des modalités de calcul retenues par son assureur ;

- elle a droit aux sommes suivantes, les sommes accordées par les premiers juges étant insuffisantes :

. 34 200 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, au titre de 38 mois de déficit total et sur la base d'un montant de 900 euros par mois ;

. 50 000 euros au titre des souffrances endurées, estimées à 6 sur une échelle de 7 par les experts ;

. 40 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, estimé à 6 sur une échelle de 7, et non à 5 ainsi que l'ont retenu les premiers juges ;

. 50 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, estimé à 5 sur une échelle de 7 dans l'avis rectificatif de la commission de conciliation et d'indemnisation ;

. 34 130,32 euros au titre des frais divers, les premiers juges ayant estimé à tort que l'intégralité du montant sollicité n'était pas justifié, en dépit des pièces produites ;

. 527 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, évalué à 85 %, sur la base d'un montant de 6 200 euros par point de déficit ;

. 40 000 euros au titre du préjudice d'agrément, toute activité de loisir lui étant interdite ;

. 50 000 euros au titre du préjudice sexuel, compte tenu de son jeune âge ;

. 50 000 euros au titre du préjudice d'établissement, alors qu'elle ne pourra avoir une famille et que son projet d'adoption, initié à compter d'août 2011, ne pourra prospérer ;

. par application du barème de la Gazette du Palais, publié le 15 septembre 2020, qui retient un coefficient de 54,880 pour son âge à la date de consolidation, elle a droit, sur la base d'une année de 412 jours, au titre de 8 heures quotidiennes d'assistance par tierce personne active au montant horaire de 18 euros, à 3 255 920 euros, et, au titre de 16 heures quotidiennes d'assistance par tierce personne passive au montant horaire de 13 euros, à 4 700 252 euros ;

. 41 796 euros au titre des frais de véhicule adapté, dès lors que le couple possédait un véhicule de petite taille (Citroën C4), dans lequel il n'était pas possible de l'installer avec son fauteuil roulant, des courses et des bagages, le surcoût lié à l'achat d'un véhicule plus grand (Peugeot 3008) représentant 5 000 euros, soit 1 000 euros par an sur la base d'une conservation d'un véhicule pendant 5 ans, à multiplier par 41,796 correspondant au coefficient d'euro de rente applicable, et alors qu'il n'est pas contestable qu'un renouvellement de véhicule intervient en moyenne tous les 5 ans ;

. 9 613,08 euros au titre des frais futurs liés à l'entretien annuel du monte-escalier, représentant 230 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait pas lieu de lui accorder une somme au titre des frais non compris dans les dépens.

II. Par une requête enregistrée le 30 août 2019 sous le n° 19NC02724, Mme A... E... C..., représentée par la SCP Lorach avocats associés, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2019 ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser une somme de 6 989 096,41 euros, assortie des intérêts à compter du 16 janvier 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé, contrairement aux conclusions du rapporteur public, qu'il y avait lieu de déduire les sommes versées par son assureur, le GAN, au titre d'un contrat relatif aux accidents de la vie, alors que l'assurance souscrite n'a pas de caractère indemnitaire, s'agissant d'une assurance volontaire et de sommes versées sur la base d'un contrat pour lequel des primes ont été versées, la cause de cette indemnisation étant distincte de celle incombant à l'ONIAM ; la circonstance que l'assureur ne bénéficie d'aucun recours confirme le caractère indépendant de la prestation qu'il verse ; l'office ne saurait prétendre que le plafond d'indemnisation de ce contrat ferait obstacle à ce qu'elle obtienne une indemnisation plus élevée, alors que le plafond de garantie ne peut permettre l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice ;

- elle a droit aux sommes suivantes, les sommes accordées par les premiers juges étant insuffisantes :

. 34 200 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, au titre de 38 mois de déficit total et sur la base d'un montant de 900 euros par mois ;

. 50 000 euros au titre des souffrances endurées, estimées à 6 sur une échelle de 7 par les experts ;

. 40 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, estimé à 6 sur une échelle de 7, et non à 5 ainsi que l'ont retenu les premiers juges ;

. 50 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, estimé à 5 sur une échelle de 7 dans l'avis rectificatif de la commission de conciliation et d'indemnisation ;

. 34 130,32 euros au titre des frais divers, les premiers juges ayant estimé à tort que l'intégralité du montant sollicité n'était pas justifié, en dépit des pièces produites ;

. 527 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, évalué à 85 %, sur la base d'un montant de 6 200 euros par point de déficit ;

. 40 000 euros au titre du préjudice d'agrément, toute activité de loisir lui étant interdite ;

. 50 000 euros au titre du préjudice sexuel, compte tenu de son jeune âge ;

. 50 000 euros au titre du préjudice d'établissement, alors qu'elle ne pourra avoir une famille et que son projet d'adoption, initié à compter d'août 2011, ne pourra prospérer ;

. par application du barème de la Gazette du Palais actualisé en 2013, qui retient un coefficient de 41,796 pour son âge à la date de consolidation, elle a droit, sur la base d'une année de 412 jours, au titre de 8 heures quotidiennes d'assistance par tierce personne active au montant horaire de 18 euros, à 2 479 673, et, au titre de 16 heures quotidiennes d'assistance par tierce personne passive au montant horaire de 13 euros, à 3 581 750 euros ;

. 41 796 euros au titre des frais de véhicule adapté, dès lors que le couple possédait un véhicule de petite taille (Citroën C4), dans lequel il n'était pas possible de l'installer avec son fauteuil roulant, des courses et des bagages, le surcoût lié à l'achat d'un véhicule plus grand (Peugeot 3008) représentant 5 000 euros, soit 1 000 euros par an sur la base d'une conservation d'un véhicule pendant 5 ans, à multiplier par 41,796 correspondant au coefficient d'euro de rente applicable, et alors qu'il n'est pas contestable qu'un renouvellement de véhicule intervient en moyenne tous les 5 ans ;

. 9 613,08 euros au titre des frais futurs liés à l'entretien annuel du monte-escalier, représentant 230 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait pas lieu de lui accorder une somme au titre des frais non compris dans les dépens.

Par un mémoire enregistré le 21 février 2020, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme C... ;

2°) de réformer le jugement litigieux et de limiter à une somme ne pouvant excéder 16 492,50 euros les condamnations prononcées à son encontre au profit de Mme C....

Il soutient que :

- il ne conteste pas l'engagement de la solidarité nationale au titre d'un accident médical non fautif ;

- les premiers juges ont déduit à juste titre, au regard des dispositions de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, les sommes versées par l'assureur de la victime, qui présentent un caractère indemnitaire ; c'est en revanche à tort qu'ils ont estimé que le montant de la réparation restant à sa charge était égal, pour chaque poste de préjudice, à la différence entre l'indemnisation de droit commun des préjudices subis par la victime et les sommes que celle-ci a reçues au titre de son contrat d'assurance ; l'absence de production du contrat ne permettait pas d'admettre qu'il existait un plafond d'indemnisation par l'assureur fixé à deux millions d'euros ; en l'absence de connaissance des conditions particulières du contrat et des modalités de calculs, il ne pouvait être tenu pour établi que l'indemnisation des préjudices par l'assureur n'avait pas été faite selon les règles du droit commun et qu'elle ne portait que sur une partie des préjudices ; dans ces conditions, aucune indemnisation n'est due au titre du déficit fonctionnel permanent, des souffrances endurées, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément, des frais d'adaptation du logement et/ou véhicule, de l'assistance par tierce personne, qui ont fait l'objet d'une indemnisation par l'assureur de la victime ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la réparation des préjudices ne devait pas être limitée à 90 %, alors que la commission de conciliation et d'indemnisation et les experts avaient estimé que l'engagement de la solidarité nationale était limité à cette fraction, deux antécédents ayant concouru à la réalisation du dommage à hauteur de 10 %, et que les demandeurs avaient limité devant les premiers juges leurs prétentions indemnitaires en y appliquant le taux de 90 % et que Mme C... ne demande une réparation intégrale qu'en appel ; les indemnisations accordées par les premiers juges, à hauteur de 13 000 euros pour le déficit fonctionnel temporaire, de 5 000 euros pour les préjudices sexuels et d'établissement et de 325 euros pour les frais divers, doivent en conséquence être ramenées à de plus justes proportions, sans dépasser respectivement les sommes de 11 700 euros, 4 500 euros et 292,50 euros.

Par un mémoire enregistré le 2 mars 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône indique qu'elle n'entend pas intervenir à l'instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux requêtes présentant à juger des questions communes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et Mme C... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2019, en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires de cette dernière, sur le fondement de la solidarité nationale.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ". Le rapporteur public qui, après avoir communiqué le sens de ses conclusions en application de ces dispositions, envisage de modifier sa position doit, à peine d'irrégularité de la décision, mettre les parties à même de connaître ce changement.

3. Il ressort des éléments produits par Mme C... que, si les conclusions prononcées par le rapporteur public, dont elle a produit une copie, concluaient à ce que l'ONIAM soit condamné à lui verser une somme qui n'était pas identique à celle mentionnée dans le sens des conclusions indiqué dans l'application Sagace, la différence entre les deux montants résultait de l'omission d'un chiffre dans la somme totale mentionnée à la fin des conclusions. Cette erreur, purement matérielle, n'a toutefois pas préjudicié à l'information des parties puisque les conclusions mentionnaient les sommes que le rapporteur public proposait à la formation de jugement d'octroyer pour les différents chefs de préjudice, de sorte que le chiffre manquant pouvait aisément être reconstitué. Cette erreur de plume, qui ne saurait, dans ces conditions, être assimilée à un changement de position du rapporteur public, est donc sans incidence sur la régularité du jugement litigieux. A supposer que Mme C... ait entendu se prévaloir à cet égard d'une irrégularité du jugement, ce moyen ne pourrait qu'être écarté, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.

Sur l'étendue de l'engagement de la solidarité nationale :

4. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport réalisé par les experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation, que Mme C... a subi, le 23 septembre 2011, une ponction dans le sternum visant à réaliser un myélogramme et qui a occasionné une lésion de l'aorte ascendante ayant conduit à une anoxie cérébrale. Il n'est pas contesté qu'ainsi que l'ont estimé les premiers juges, les troubles neurologiques dont elle a ainsi été atteinte ne sont pas imputables à un manquement et remplissent les conditions d'anormalité et de gravité fixées au II de l'article L. 1 142-1 du code de la santé publique.

5. Dès lors que l'imputabilité directe à un acte médical est établie et que les conditions d'anormalité et de gravité sont remplies, le préjudice indemnisable doit être réparé en totalité. L'ONIAM ne saurait donc soutenir que, compte tenu de l'état de santé initial de la patiente, ce droit à réparation devrait être limité à une fraction seulement du dommage. La circonstance que l'avis de la commission de conciliation et d'indemnisation, en cohérence sur ce point avec le rapport des experts, a retenu un taux de 90 % et que ce taux a été repris tant par l'office que par Mme C... dans leurs écritures de première instance ne saurait avoir pour effet d'imposer au juge de limiter la réparation à cette fraction du dommage.

6. Par ailleurs, le jugement attaqué n'a pas accordé à Mme C... une indemnisation supérieure à celle qu'elle avait sollicitée dans ses écritures devant le tribunal, de sorte que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont statué ultra petita en refusant d'appliquer le taux de 90 %.

Sur les préjudices indemnisables :

7. Aux termes de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale estime que le dommage est indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. / Cette offre indique l'évaluation retenue, le cas échéant à titre provisionnel, pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime, ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 précitée, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice (...) ". En application de ces dispositions, le juge, saisi d'un litige relatif à l'indemnisation d'un dommage au titre de la solidarité nationale, s'il est conduit à évaluer le montant des indemnités qui reviennent à la victime ou à ses ayants droit, doit y procéder en déduisant du montant du préjudice total les prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, et, plus généralement, les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice.

8. Il résulte de l'instruction que les sommes versées par le GAN, assureur de Mme C..., sur le fondement du contrat de garantie des accidents de la vie qu'elle avait souscrit avec son conjoint, ont été déterminées en tenant compte du niveau de gravité des séquelles liées à l'accident médical et présentent un caractère indemnitaire et non forfaitaire. Dès lors, ces sommes doivent être déduites du préjudice indemnisable mis à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, alors même que le GAN ne disposerait pas d'un recours subrogatoire et que les sommes ainsi perçues sont la contrepartie de primes versées par l'assuré sur la base d'un contrat que ce dernier a conclu de sa propre initiative. Mme C... n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont déduit du montant auquel elle a droit sur le fondement du II de l'article L. 1 142-1 du code de la santé publique les sommes versées par son assureur, lesquelles concernent l'assistance par tierce personne, les frais de véhicule et de logement adaptés, le déficit fonctionnel permanent, les souffrances endurées, le préjudice esthétique permanent et le préjudice d'agrément.

9. En revanche, Mme C... ayant droit à la réparation intégrale du dommage au titre de la solidarité nationale, la déduction des sommes ainsi versées par son assureur ne saurait s'opérer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. L'ONIAM n'est, dès lors, pas fondé à reprocher aux premiers juges, qui n'avaient pas besoin de disposer de l'ensemble des documents constitutifs du contrat liant le GAN à Mme C..., d'avoir accordé à cette dernière des indemnités correspondant à la différence entre le montant du préjudice imputable à l'accident médical, tel qu'ils l'ont évalué, et les sommes versées par l'assureur.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

10. En premier lieu, la somme de 5 800 euros accordée par le tribunal au titre de dépenses de santé et d'équipements futurs, mentionnée au point 29 du jugement attaqué, n'est critiquée par aucune des parties.

11. En deuxième lieu, il est constant que l'accident médical non fautif implique, pour Mme C..., un besoin constant d'assistance par une tierce personne, se décomposant en huit heures d'aide active et seize heures d'aide passive par jour. La victime demande à être indemnisée de ce chef de préjudice à compter de la consolidation, fixée par les experts à la date non contestée du 15 décembre 2014. Au regard des besoins de l'intéressée et des dépenses nécessaires pour y pourvoir, il sera fait une juste appréciation en fixant l'indemnisation à laquelle elle a droit à un montant journalier de 400 euros pour les vingt-quatre heures d'assistance, intégrant la majoration liée à un calcul effectué sur la base d'une année de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, le montant retenu par les premiers juges s'avérant insuffisant. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... aurait, depuis cette date, fait l'objet d'hospitalisations ou de prises en charge dans d'autres institutions dans des conditions justifiant que les périodes considérées soient soustraites de celles ouvrant droit à indemnisation. Le préjudice susceptible d'être indemnisé s'établit donc, pour la période entre le 15 décembre 2014 et la date du présent arrêt, soit 2 613 jours, à 1 045 200 euros, cette somme étant inférieure à celle versée par l'assureur de Mme C... en indemnisation de ce chef de préjudice, qui s'établit à 1 746 997,86 euros, de sorte qu'il n'y a pas lieu de condamner l'ONIAM à verser une indemnité à ce titre s'agissant des frais échus.

12. Pour l'avenir, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de procéder à une réparation par l'octroi d'une rente, contrairement à ce que soutient Mme C.... L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit être condamné à verser une rente à Mme C..., à compter de la date à laquelle le montant du préjudice subi, déterminé sur la base d'un besoin de 400 euros par jour, excèdera la somme de 1 746 997,86 euros, et dans la limite mentionnée au point 24. Cette rente, calculée sur la base de 400 euros par jour, correspond à 146 000 euros par an soit 36 500 euros par trimestre, sera payable par trimestre échu et revalorisée en application des dispositions de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Elle sera versée sous déduction, le cas échéant, de la somme que l'intéressée percevrait, au cours de chaque trimestre, au titre de la prestation de compensation du handicap, de la majoration pour tierce personne ou de toute autre prestation ayant le même objet, qui devra être portée à la connaissance de l'ONIAM par l'intéressée. Le cas échéant, le montant de cette rente pourra être corrigé en fonction du temps effectivement passé au domicile, et réduit en cas d'hospitalisation ou d'institutionnalisation, dont il appartiendra également à Mme C... d'informer l'ONIAM.

13. En troisième lieu, pour solliciter une indemnisation supérieure à celle octroyée par le tribunal s'agissant des frais divers, Mme C... sollicite, d'une part, une somme au titre des frais liés à l'entretien du monte-escalier dont l'acquisition a été rendue nécessaire par les conséquences de l'accident médical non fautif. Si le montant initial de 230 euros versé en 2015 a été indemnisé par le tribunal et figure parmi les 3 733 euros correspondant au montant du préjudice indemnisable au titre des frais divers retenus par les premiers juges, Mme C... a également droit à être indemnisée pour les périodes ultérieures, étant précisé qu'elle établit que cet entretien est pratiqué annuellement. Elle justifie donc d'un préjudice indemnisable supplémentaire, qui doit être fixé au montant annuel de 230 euros qu'elle sollicite, soit une somme de 1 380 euros au titre de l'année 2016 à l'année 2021 incluse. A compter du présent arrêt, Mme C..., née en décembre 1989, a vocation à percevoir, sous réserve des indemnités devant être déduites, et en faisant application du coefficient de 53,383 mentionné par le barème de la Gazette du Palais de 2020 s'agissant d'une femme âgée de 32 ans, une somme de 12 278,09 euros. D'autre part, s'agissant du surplus des frais divers, Mme C... se borne à renvoyer à ses pièces jointes, sans critique circonstanciée des motifs pour lesquels les premiers juges ont limité à 3 733 euros le montant de son préjudice susceptible d'être indemnisé. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que son préjudice s'établit à un montant supérieur, sous réserve de ce qui a été dit s'agissant des frais liés au monte-escalier.

14. En quatrième lieu, l'accident médical, qui nécessite le recours à un fauteuil roulant, a impliqué que Mme C... acquière un véhicule plus grand que celui dont elle disposait initialement. Elle a droit, par suite et sous réserve des sommes à déduire, à être indemnisée du surcoût qu'implique ce changement de véhicule, qui doit être évalué à 5 000 euros pour l'achat d'une nouvelle automobile selon sa propre évaluation. L'ONIAM doit donc lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'acquisition initiale, réalisée en 2015. Dans la mesure où il ne résulte pas de l'instruction qu'elle avait vocation, de manière suffisamment certaine, à acquérir, indépendamment de son handicap, un véhicule de taille supérieure à celui qu'elle possédait avant l'accident survenu le 23 septembre 2011, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'indemniser le coût lié au renouvellement de ce véhicule. La périodicité de ce renouvellement devant être fixée à 7 ans, Mme C... a droit, à compter de 2022, et en faisant application du coefficient de 53,383 mentionné par le barème de la Gazette du Palais de 2020 s'agissant d'une femme âgée de 32 ans, à 38 130,71 euros au titre de ce renouvellement, sous réserve des déductions à opérer.

15. En cinquième lieu, il résulte l'instruction qu'il y a lieu de déduire de la somme des indemnités mentionnées aux points 13 et 14 un montant de 4 211,51 euros, correspondant à l'indemnité versée par l'assureur de la victime au titre des frais d'adaptation de véhicule et de logement.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

16. En premier lieu, il n'est pas contesté qu'ainsi que l'ont estimé les experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation, Mme C... a subi un déficit fonctionnel temporaire total imputable à l'accident médical du 23 septembre 2011 au 15 décembre 2014. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par l'intéressée en l'évaluant à environ 20 euros par jour de déficit total, de sorte que la somme que l'ONIAM est condamné à lui verser à ce titre doit être portée à 23 600 euros.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les souffrances imputables à l'accident médical et endurées par Mme C... avant la date de consolidation, fixée au 15 décembre 2014, doivent être évaluées à 6 sur une échelle de 7 ainsi que l'ont retenu les experts. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 27 000 euros. Après déduction de l'indemnité de 19 358,35 euros versée par l'assureur de Mme C..., cette dernière a droit à ce titre à une somme de 7 641,65 euros.

18. En troisième lieu, le préjudice esthétique avant consolidation doit être évalué à 6 sur une échelle de 7, ainsi que l'ont retenu les experts, en l'absence d'éléments amenant à retenir une autre évaluation, et non à 5 sur cette même échelle comme l'avaient estimé les premiers juges. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 10 000 euros.

19. En quatrième lieu, le préjudice esthétique après consolidation devant être estimé à 5 sur une échelle de 7, il y a lieu de l'évaluer à 15 000 euros, de sorte que l'ONIAM doit être condamné à verser à Mme C... une somme de 2 094,43 euros, compte tenu de la déduction des 12 905,57 euros versés par le GAN.

20. En cinquième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la somme allouée par le tribunal pour indemniser le déficit fonctionnel permanent imputable à la ponction mentionnée au point 4, dont il est constant qu'il s'établit à 85 %, serait insuffisante. Mme C... n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'ONIAM à lui verser à ce titre une somme de 200 680,71 euros, correspondant à la différence entre le préjudice indemnisable de 400 000 euros et les 199 319,29 euros payés par l'assureur.

21. En sixième lieu, le tribunal a évalué le préjudice d'agrément subi par Mme C... à 20 000 euros, avant de déduire l'indemnité versée par le GAN, soit 17 207,42 euros, pour fixer la somme due par l'ONIAM à ce titre à 2 792,58 euros. Au regard des éléments versés au dossier quant aux activités sportives ou de loisir pratiquées par la victime avant l'accident médical, la somme allouée n'est pas insuffisante.

22. En septième lieu, il résulte de l'instruction que l'accident médical a généré pour la victime un préjudice sexuel, compte tenu de son impact sur ses capacités physiques et psychiques, et qu'il a également mis un terme au projet d'adoption qu'elle avait engagé au cours des mois précédents avec son conjoint, le couple n'ayant pas d'enfant, générant ainsi un préjudice d'établissement. Il sera fait une juste appréciation de ces deux chefs de préjudices en condamnant l'ONIAM à verser à Mme C... une indemnité globale de 20 000 euros, la somme accordée par les premiers juges étant insuffisante.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'appel de l'ONIAM, qui contestait uniquement le défaut d'application du taux de 90 % et l'octroi de sommes pour des chefs de préjudice indemnisés par l'assureur, doivent être rejetées. Mme C..., quant à elle, est seulement fondée à demander que la somme que l'ONIAM est condamné à lui verser soit portée à 328 919,66 euros.

24. En l'absence d'aggravation de l'état de santé de Mme C... postérieurement au jugement attaqué, l'indemnité que l'ONIAM doit être condamné à verser ne peut dépasser le montant qui avait été demandé par l'intéressée devant le tribunal. Dans ces conditions, le montant total susceptible d'être versé par l'ONIAM au titre de la rente mentionnée au point 12 ne saurait excéder la somme de 5 968 979,66 euros, correspondant à la différence entre le montant de 6 297 899,32 euros que Mme C... avait demandé devant les premiers juges et la somme de 328 919,66 euros que l'ONIAM est condamné à verser à Mme C... aux termes du présent arrêt.

Sur les conclusions accessoires :

25. En premier lieu, en application de l'article 1231-6 du code civil, Mme C... a droit, ainsi qu'elle le demande pour la première fois en appel, aux intérêts au taux légal sur la somme de 328 919,66 euros à compter du 16 janvier 2017, date d'enregistrement de sa demande de première instance.

26. En second lieu, au regard des circonstances de l'espèce, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont refusé de lui accorder une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à demander l'annulation du jugement sur ce point. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM, partie perdante, la somme globale de 2 000 euros à verser à Mme C..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la première instance et de l'appel.

D E C I D E :

Article 1er : La somme que le tribunal administratif de Besançon a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser à Mme C... est portée à 328 919,66 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 16 janvier 2017.

Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme C... une rente dans les conditions définies aux points 12 et 24 du présent arrêt.

Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme C... la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la première instance et de l'appel.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

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Nos 19NC02701 et 19NC02724


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02701
Date de la décision : 08/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : UGGC AVOCATS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-02-08;19nc02701 ?
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