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23/11/2021 | FRANCE | N°21NC00365

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 23 novembre 2021, 21NC00365


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2020 du préfet du Nord portant obligation de quitter le territoire, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par une ordonnance du 4 janvier 2021, le premier vice-président du tribunal administratif de Lille a transmis cette demande au tribunal administratif de Strasbourg.

Par un jugement n° 2100096 du 13 janvier 2021,

le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2020 du préfet du Nord portant obligation de quitter le territoire, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par une ordonnance du 4 janvier 2021, le premier vice-président du tribunal administratif de Lille a transmis cette demande au tribunal administratif de Strasbourg.

Par un jugement n° 2100096 du 13 janvier 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du préfet du Nord du 17 décembre 2020, enjoint à cette autorité de réexaminer la situation de M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil du demandeur en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 février 2021, le préfet du Nord, représenté par Me Claisse, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 janvier 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. B....

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal administratif de Strasbourg n'était pas territorialement compétent ;

- le premier juge a fait droit à une demande irrecevable en raison de sa tardiveté ;

- c'est à tort qu'il a été retenu que M. B... résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans dès lors que les périodes passées en détention ne doivent pas être comptabilisées et que l'intéressé a été incarcéré entre le 23 décembre 2019 et le 29 décembre 2020 ;

- il est renvoyé, pour l'examen de la demande après annulation du jugement, dans le cadre de l'effet dévolutif, aux écritures produites devant le tribunal.

Par des mémoires enregistrés les 8 juillet 2021 et 11 octobre 2021, M. A... B..., représenté par Me Bottemer, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal n'était pas tenu de renvoyer l'affaire à la juridiction dont relève le centre de rétention ; l'erreur commise lors du transfert du dossier du tribunal administratif de Lille vers celui de Strasbourg ne saurait être imputée à cette dernière juridiction, dont le magistrat désigné a estimé qu'un second transfert était contraire à l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;

- la demande n'est pas tardive dès lors qu'elle a été déposée dans le délai de recours contentieux auprès des autorités pénitentiaires ;

- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que l'obligation de quitter le territoire français méconnaissait les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est présent en France depuis 2005, de sorte que, même après déduction de l'année passée en détention, il justifie résider régulièrement en France sur le territoire depuis quatorze ans ; le premier juge a relevé à juste titre qu'il avait sollicité le renouvellement de son titre de séjour ; le préfet de l'Hérault a reconnu qu'il avait bénéficié d'un titre de séjour dès 2005.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 25 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2016-1458 du 28 octobre 2016 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Samson-Dye a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 13 janvier 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 17 décembre 2020 obligeant M. A... B..., ressortissant marocain né le 16 octobre 1967, à quitter le territoire français sans délai, à compter de son élargissement de l'établissement pénitentiaire dans lequel il était incarcéré, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour d'une durée d'un an.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 351-6 du code de justice administrative : " Lorsque le président d'une juridiction administrative autre qu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif, à laquelle un dossier a été transmis en application du premier alinéa de l'article R. 351-3, estime que cette juridiction n'est pas compétente, il transmet le dossier, dans le délai de trois mois suivant la réception de celui-ci, au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l'affaire à la juridiction qu'il déclare compétente ". L'article R. 351-9 du même code dispose : " Lorsqu'une juridiction à laquelle une affaire a été transmise en application du premier alinéa de l'article R. 351-3 n'a pas eu recours aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 351-6 ou lorsqu'elle a été déclarée compétente par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sa compétence ne peut plus être remise en cause ni par elle-même, ni par les parties, ni d'office par le juge d'appel ou de cassation, sauf à soulever l'incompétence de la juridiction administrative ".

3. M. B... avait initialement présenté son recours auprès du tribunal administratif de Lille. Le premier vice-président de cette juridiction a transmis, par une ordonnance du 4 janvier 2021, cette demande au tribunal administratif de Strasbourg en application des dispositions du premier alinéa de l'article R. 351-3 du code de justice administrative. A défaut pour le tribunal administratif de Strasbourg d'avoir saisi le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat pour contester sa compétence territoriale, cette dernière ne peut plus être remise en cause, conformément aux dispositions de l'article R. 351-9 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Strasbourg n'était pas territorialement compétent pour statuer sur la demande de M. B..., alors retenu au centre de rétention administrative de Metz, est inopérant.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article R. 776-19 du code de justice administrative : " Si, au moment de la notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée, dans le délai de recours contentieux, auprès de ladite autorité administrative ". Il résulte des dispositions combinées des articles R. 776-29 et R. 776-31 du même code, issues du décret du 28 octobre 2016 pris pour l'application du titre II de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, que les étrangers ayant reçu notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1 du code alors qu'ils sont en détention ont la faculté de déposer leur requête, dans le délai de recours contentieux, auprès du chef de l'établissement pénitentiaire.

5. Pour rendre opposable le délai de recours contentieux, l'administration est tenue, en application de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de faire figurer dans la notification de ses décisions la mention des délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais des recours administratifs préalables obligatoires. Elle n'est en principe pas tenue d'ajouter d'autres indications, notamment les délais de distance, la possibilité de former des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs ou la possibilité de former une demande d'aide juridictionnelle. Si des indications supplémentaires sont toutefois ajoutées, ces dernières ne doivent pas faire naître d'ambiguïtés de nature à induire en erreur les destinataires des décisions dans des conditions telles qu'ils pourraient se trouver privés du droit à un recours effectif.

6. En cas de rétention ou de détention, lorsque l'étranger entend contester une décision prise sur le fondement du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour laquelle celui-ci a prévu un délai de recours bref, notamment lorsqu'il entend contester une décision portant obligation de quitter le territoire sans délai, la circonstance que sa requête ait été adressée, dans le délai de recours, à l'administration chargée de la rétention ou au chef d'établissement pénitentiaire fait obstacle à ce qu'elle soit regardée comme tardive, alors même qu'elle ne parviendrait au greffe du tribunal administratif qu'après l'expiration de ce délai de recours.

7. Depuis l'entrée en vigueur des dispositions du décret du 28 octobre 2016 précédemment mentionnées, il incombe à l'administration de faire figurer, dans la notification d'une obligation de quitter le territoire français sans délai un étranger retenu ou détenu, la possibilité de déposer sa requête dans le délai de recours contentieux auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la notification de l'arrêté litigieux, adressée à M. B... le 21 décembre 2020 alors qu'il était détenu, postérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 28 octobre 2016, mentionnait la possibilité de déposer son recours contentieux auprès de la direction de l'établissement pénitentiaire, de sorte que le délai de recours contentieux était inopposable à M. B.... Dès lors, le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que le premier juge a fait droit à une demande irrecevable. Au demeurant, le recours contentieux de l'intéressé ayant été déposé auprès des autorités pénitentiaires le 22 décembre 2020, il ne saurait, contrairement à ce que fait valoir l'appelant, être regardé comme présenté au-delà du délai de quarante-huit heures suivant la notification de l'arrêté litigieux, alors même que ce pli n'a été effectivement reçu par la juridiction administrative que le 30 décembre 2020.

En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

9. Le 4° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté litigieux, prévoit que l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant ". Les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence régulière en France depuis plus de dix ans.

10. Le préfet du Nord soutient que M. B... ne pouvait être regardé comme résidant habituellement en France depuis plus de dix ans, au sens des dispositions précédemment mentionnées, dès lors que l'intéressé avait été incarcéré entre le 23 décembre 2019 et le 29 décembre 2020. Toutefois, si cette période ne pouvait être prise en compte dans le calcul de la durée de résidence de dix ans, cet emprisonnement n'a pas eu pour effet, par lui-même, de remettre en cause la continuité de la résidence régulière en France de M. B.... Il n'est pas contesté qu'ainsi que l'indique l'arrêté litigieux, M. B... a bénéficié de titres de séjour de manière continue entre le 22 juillet 2005 et le 21 juillet 2020, sans qu'il soit allégué que l'intéressé aurait, au cours de cette période, cessé d'avoir sa résidence sur le territoire français, de sorte que sa durée de résidence demeure supérieure à dix ans après neutralisation de la période de détention mentionnée par le préfet. Il n'est pas davantage contesté qu'ainsi que l'a précisé le premier juge, M. B... avait sollicité le renouvellement de sa carte de résident. Dans ces conditions, M. B... relève des dispositions du 4° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui font obstacle à son éloignement, ainsi que l'a retenu à bon droit le premier juge. Le préfet n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'obligation de quitter le territoire français litigieuse. Sa requête doit donc être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. B... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

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N° 21NC00365


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00365
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-11-23;21nc00365 ?
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