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23/11/2021 | FRANCE | N°19NC02674

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 23 novembre 2021, 19NC02674


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération de Forbach Porte de France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 87 609,28 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'acceptation par la comptable publique de l'option A du projet de règlement des dettes de la société " Elysée Cosmétiques ".

Par un jugement n° 1705313 du 26 juin 2019, le tribunal a

dministratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération de Forbach Porte de France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 87 609,28 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'acceptation par la comptable publique de l'option A du projet de règlement des dettes de la société " Elysée Cosmétiques ".

Par un jugement n° 1705313 du 26 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 août 2019, la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France, représentée par Me Gartner, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1705313 du tribunal administratif de Strasbourg du 26 juin 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 87 609,28 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice financier ;

3°)de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense et tirée de ce qu'elle n'aurait pas lié le contentieux en adressant à l'Etat une demande préalable d'indemnisation ;

- elle a entendu engager deux actions parallèles, une action en responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative et une action en responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public devant la chambre régionale des comptes ;

- son courrier du 2 juillet 2017, qui porte la mention " demande préalable en indemnisation ", a été rejeté le 22 août 2017 par le directeur départemental des finances publiques de la Moselle, agissant en qualité d'autorité de l'Etat ;

- en l'absence de mention, dans la décision du 22 août 2017, des voies et délais de recours, sa demande ne saurait être regardée comme tardive ;

- l'existence d'une action spécifique tendant à la mise en cause, devant la chambre régionale des comptes, de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ne constitue pas une voie de recours parallèle susceptible de rendre irrecevable l'action en responsabilité pour faute de l'Etat devant la juridiction administrative ;

-les agissements fautifs de la comptable publique dans le cadre de la procédure de recouvrement des créances qu'elle détenait sur la société " Elysée Cosmétiques " engagent la responsabilité de l'Etat pour faute simple ;

- la comptable publique n'avait pas compétence pour accorder une remise gracieuse de la dette ;

- la comptable publique a également manqué à son devoir de diligence en ne recouvrant qu'une partie de sa créance ;

- les fautes commises par la comptable publique constituent des fautes de service qui engagent la responsabilité de l'Etat ;

- ces fautes de service lui ont causé un préjudice financier de 87 609,28 euros ;

- elles l'ont privée d'une chance sérieuse de recouvrer l'intégralité de sa créance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête ou, à défaut, compte tenu de la faute de la victime, à ce que l'Etat soit exonéré de sa responsabilité totalement ou, à tout le moins, à hauteur de 80 %.

Il soutient, à titre principal, que, en l'absence de demande préalable d'indemnisation adressée à l'Etat, la demande présentée en première instance n'était pas recevable, à titre subsidiaire, que la créance de la requérante était prescrite et que ses prétentions indemnitaires ne sont pas fondées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Jeandon pour la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de sa politique de dynamisation de l'économie locale, la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France a facilité l'implantation de la société " Elysée Cosmétiques " dans la zone d'activité commerciale " Technopole " de Forbach Sud en concluant avec elle un contrat de location-achat d'un bâtiment industriel. Cette société ayant rencontré des difficultés financières importantes, une procédure de sauvegarde a été ouverte à son profit par un jugement du tribunal de grande instance de Sarreguemines du 24 mars 2009. A cette occasion, il a été déclaré et admis, pour le compte de la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France, une somme totale de 134 783,51 euros correspondant à deux créances de loyer de crédit-bail au titre des mois de mai et de juin 2008 et à une créance de taxe foncière due par l'établissement public de coopération intercommunale au titre de l'année 2008 et répercutée sur sa locataire. Aux termes du projet de règlement des dettes de la société, deux modalités de remboursement ont été proposées aux créanciers, à savoir, d'une part, l'option A permettant le paiement, dans le délai d'un mois à compter du jugement prononçant l'homologation du plan de sauvegarde, d'une somme de 35 % des créances déclarées et admises pour solde de tout compte, d'autre part, l'option B permettant le paiement à hauteur de 100 % des créances déclarées et admises, avec maintien des taux d'intérêt prévus aux contrats, sous la forme de dix échéances annuelles, dont les cinq premières étaient plafonnées à 5 % des sommes dues. Par un courrier du 26 février 2010 adressé au mandataire judiciaire, la comptable publique a déclaré accepter l'option A du projet de règlement des dettes. Le jugement d'homologation du plan de sauvegarde ayant été rendu le 4 mai 2010 par le tribunal de grande instance de Sarreguemines, un dividende unique de 35 % des créances, soit 47 174,23 euros, valant solde de tout compte, a été versé, le 3 juin 2010, à la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France par le mandataire judiciaire de la société " Elysée Cosmétiques. Par un courrier du 3 novembre 2015, ce même mandataire judiciaire a averti l'établissement public de la transaction ainsi opérée. Se plaignant de ce qu'elle n'a pas été préalablement consultée ou informée par la comptable publique au sujet du choix de l'option A et qu'elle a ainsi été privée d'une chance de récupérer l'intégralité de sa créance, la requérante, après avoir sollicité des explications le 14 décembre 2015, a adressé le 2 juillet 2017 à la trésorerie de Forbach Porte de France une demande préalable en indemnisation, qui a été rejetée, le 22 août 2017, par le directeur départemental des finances publiques de la Moselle. Le 2 novembre 2017, la communauté de communes de Forbach Porte de France a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 87 609,28 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'acceptation par la comptable publique de l'option A du projet de règlement des dettes de la société " Elysée Cosmétiques ". Elle relève appel du jugement n°1705313 du 26 juin 2019 qui rejette sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. ".

3. Il résulte de l'instruction, spécialement des termes du courrier du président de la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France du 2 juillet 2017, qui porte la mention " demande préalable en indemnisation " et qui est adressé à l'inspectrice principale de la trésorerie de Forbach Porte de France en sa qualité de responsable du service de l'Etat ainsi mis en cause, que la requérante, après avoir rappelé que le choix de l'ancienne comptable publique pour l'option A du projet de règlement des dettes de la société " Elysée Cosmétiques ", sans consultation, ni information préalable de l'ordonnateur, lui a causé un préjudice financier de 87 609,28 euros, fait valoir qu'elle est fondée " à vous solliciter pour une indemnisation à hauteur de [ce] préjudice " et avertit que, en l'absence de réponse dans un délai de deux mois ou en cas de réponse négative, elle saisira " le tribunal administratif de Strasbourg pour une action de plein contentieux ". Il est constant que l'établissement public de coopération intercommunale a également, par un autre courrier du même jour, sollicité auprès de la chambre régionale des comptes du Grand Est la mise en cause, sur le fondement de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963, de la responsabilité personnelle et pécuniaire de la comptable publique, nommément désignée, considérée comme étant à l'origine de son préjudice financier, ainsi qu'il lui était loisible de le faire. Dans ces conditions, la demande d'indemnisation adressée à l'inspectrice principale de la trésorerie de Forbach Porte de France, qui, du reste, a été formellement rejetée par le directeur départemental des finances publiques de la Moselle le 22 août 2017, doit être regardée comme une demande préalable d'indemnisation dirigée contre l'Etat, au sens des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, sans qu'y fassent obstacle l'absence de mention du terme " Etat " dans le courrier du 2 juillet 2017 ou l'éventuelle incompétence de l'autorité étatique saisie. Par suite, la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre de l'action et des comptes publics et à demander, pour ce motif, l'annulation pour irrégularité du jugement de première instance.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la collectivité devant le tribunal administratif de Strasbourg.

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

5. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement. Cependant, tel n'est pas le cas des créances non fiscales recouvrées par le comptable public de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale au nom et pour le compte de cette collectivité territoriale ou de cet établissement public. Les éventuelles fautes commises par ce comptable à l'occasion du recouvrement de ces créances ne sauraient engager la responsabilité de l'Etat.

6. Il résulte de l'instruction que les deux créances de loyer de crédit-bail de 32 637,24 et de 38 159,31 euros, ainsi que la créance de 63 986,96 euros, correspondant au montant de taxe foncière acquitté par la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France au titre de l'année 2008 et répercuté sur la société " Elysée Cosmétiques ", présentent le caractère de créances non fiscales. Dans ces conditions, la comptable publique, en procédant au recouvrement partiel de telles créances, doit être regardée comme ayant agi au nom et pour le compte de l'établissement public de coopération intercommunale. Par suite, à supposer même qu'une faute ait été commise à l'occasion de cette opération, celle-ci ne saurait engager la responsabilité de l'Etat.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription quadriennale opposée en défense, que les conclusions à fin d'indemnisation de la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France ne peuvent qu'être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1705313 du tribunal administratif de Strasbourg du 26 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée en première instance par la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération de Forbach Porte de France et au ministre délégué chargé des comptes publics.

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