Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et de suspendre l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Mme E... F... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le préfet des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination et de suspendre l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un jugement commun no 2002340, 2002341 du 3 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 8 septembre 2020 fixant le pays de destination et rejeté le surplus des conclusions des requêtes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 23 novembre 2020 et 25 janvier 2021, le préfet des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 3 novembre 2020 ;
2°) de rejeter les requêtes tendant à l'annulation des décisions du 8 septembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de M. B... et de Mme B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen retenu par le tribunal de l'absence d'examen particulier de la situation personnelle des requérants au regard du pays de destination n'est pas fondé, aucun élément n'ayant été produit pour établir le risque en cas de retour dans leur pays d'origine ;
- les moyens de défaut de motivation et d'absence d'examen particulier de leur situation au regard de la décision les obligeant à quitter le territoire français ne sont pas fondés ;
- les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés ;
- la requête a été introduite par télé-recours et la décision attaquée y était jointe ;
- Mme A... C..., signataire de l'acte attaqué disposait d'une délégation de signature en application de l'arrêté du 15 octobre 2020 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture des Vosges pour signer les obligations de quitter le territoire et fixant le pays de destination.
Par des mémoires en défense enregistrés les 15 et 29 janvier 2021, et un mémoire du 9 septembre 2021, ce dernier non communiqué, M. et Mme B..., représentés par Me Delilaj, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent à titre principal que la requête en appel est irrecevable pour défaut de signature et de production de l'exemplaire signé de manière manuscrite de la requête, pour défaut de production du jugement attaqué ainsi que pour défaut de compétence du signataire de la requête en appel et à titre subsidiaire, à ce que le jugement du tribunal administratif de Nancy soit confirmé, d'une part, car le préfet s'est abstenu d'examiner leur situation personnelle et s'étant cru lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA et d'autre part, car l'arrêté est entaché d'incompétence. Enfin, ils demandent que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que leur avocat renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nancy du 15 avril 2021 admettant M. D... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nancy du 15 avril 2021 admettant Mme E... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Barrois, conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B... et Mme E... F... épouse B..., de nationalité albanaise, entrés en France le 23 décembre 2019 selon leurs déclarations, ont sollicité l'asile le 27 janvier 2020 qui leur a été refusé par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 26 mars 2021 confirmées par un arrêt de la cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 18 janvier 2021. Par des arrêtés du 8 septembre 2020, le préfet des Vosges les a obligés à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être éloignés d'office. Par un jugement du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé ces arrêtés en tant qu'ils fixaient le pays de destination. Par la présente requête, le préfet des Vosges demande l'annulation de ce jugement en tant seulement qu'il annule ses décisions fixant le pays de destination.
Sur les fins de non-recevoir soulevées par les consorts B... :
2. En premier lieu, conformément aux dispositions de l'article R. 414-1 du code de justice administrative, lorsqu'une administration de l'Etat est inscrite dans l'application informatique " Télérecours " et qu'elle adresse un mémoire, son identification vaut signature. En outre, il ressort des pièces du dossier que la requête en appel a été signée par Mme A... C..., cheffe de la cellule juridique - mission contentieux, qui, par arrêté du 15 octobre 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture des Vosges le même jour, avait compétence pour signer tous actes, décisions, pièces et correspondances dans le cadre de ses attributions. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire de la décision en litige manque en fait et il ne peut, dès lors qu'être écarté. Par suite, les fins de non-recevoir tirée de l'absence de signature de la requête en appel du préfet des Vosges et du défaut de compétence de son signataire doivent être écartées.
3. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué n° 2002340 du 3 novembre 2020 était bien joint à la requête en appel du préfet des Vosges du 23 novembre 2020. Par suite, cette fin de non-recevoir doit également être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le jugement :
4. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. Il résulte des termes du jugement attaqué que le magistrat désigné par le président du tribunal a considéré que le préfet n'avait pas procédé à l'appréciation qui lui incombait quant à la réalité et à la matérialité des risques invoqués par les consorts B... au regard de l'application de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celui-ci se bornant dans son arrêté attaqué à affirmer que M. D... B... n'avait allégué aucun risque à titre personnel. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce seul terme ainsi employé soit suffisant pour démontrer que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier et complet de la situation de M. B... alors même qu'il vise la décision de l'office français de protection des réfugiés et des apatrides du 26 mars 2020. Dès lors, le préfet des Vosges est fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait commis une erreur d'appréciation en annulant sa décision sur ce moyen.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Vosges est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nancy du 3 novembre 2020 en tant qu'il annule les décisions du 8 septembre 2020 fixant le pays de destination.
En ce qui concerne les autres moyens :
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les décisions en litige ont été signées, " pour le préfet et par délégation ", par M. Julien Le Goff, secrétaire général de la préfecture des Vosges. Or, par un arrêté du 22 juillet 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture des Vosges le 24 juillet 2019, le préfet des Vosges a consenti à l'intéressé une délégation de signature à l'effet notamment de signer, à compter du 27 août 2018, tous actes, arrêtés ou décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département, y compris en matière de police des étrangers, à l'exception des réquisitions du comptable et de la force armée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire de la décision en litige manque en fait et il ne peut, dès lors qu'être écarté.
8. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 5, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet des Vosges n'aurait pas procédé à un examen particulier et complet de la situation de M. B..., ni qu'il se serait senti lié par la décision de l'OFPRA. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen sérieux doit être écarté.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2002340 et 2002341 du 3 novembre 2020 est annulé en tant qu'il annule la décision fixant le pays de destination du préfet des Vosges du 8 septembre 2020.
Article 2 : Les conclusions des consorts B... tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination du préfet des Vosges du 8 septembre 2020 ainsi que leurs conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D... B... et à Mme E... B....
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
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N°20NC03400