Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de la Moselle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner solidairement le cabinet Jean-Pierre Lott et la société Sibéo Ingénierie, ou à défaut de cette dernière, le bureau d'études techniques Saunier et associés, à lui verser la somme de 88 861,35 euros augmentée des intérêts capitalisés et, à titre subsidiaire, de condamner solidairement le cabinet Lott, le bureau d'études techniques Saunier et associés et la société Fayat Bâtiment à lui verser cette même somme augmentée des intérêts capitalisés.
Par un jugement n° 1603364 du 6 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné solidairement les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie à verser au département de la Moselle la somme de 88 845,12 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2016 et de leur capitalisation à compter du 14 juin 2017. Le tribunal a, en outre, condamné la société Jean-Pierre Lott Architecte et la société Sibéo Ingénierie à se garantir mutuellement à hauteur de 50 % de cette condamnation.
Procédure devant la cour :
Avant cassation :
Par un arrêt n° 18NC02354 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Sibéo Ingénierie contre ce jugement.
Par une décision n° 433455 du 7 octobre 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur le montant de la somme que les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie ont été condamnées solidairement à verser au département de la Moselle, et il a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nancy.
Après cassation :
Par des mémoires, enregistrés les 11 décembre 2020 et 3 février 2021 sous le n° 20NC02976, la société Sibéo Ingénierie et la société Jean-Pierre Lott Architecte, représentées par Me Zine, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1603364 du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2018 en tant qu'il les a condamnées, solidairement, à verser au département de la Moselle la somme de 88 845,12 euros augmentée des intérêts de retard et de leur capitalisation ;
2°) de rejeter la demande du département de la Moselle dirigée contre elles ou, subsidiairement, de limiter à 50 % leur part de responsabilité vis-à-vis de ce dernier ;
3°) en cas de condamnation, de limiter le préjudice à réparer à la somme de 21 285,81 euros ;
4°) de mettre à la charge du département de la Moselle la somme de 4 000 euros à verser à chacune d'entre elles en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- en ne s'assurant pas, avant la réception des travaux, de la réalisation des essais et épreuves prévus conformément aux prescriptions des cahiers des clauses techniques particulières des lots " Plomberie - Sanitaire " et " Voirie et réseaux divers ", le maître d'ouvrage, dont l'un des agents assurait pourtant les missions de conducteur d'opération au sens de la loi du 12 juillet 1985, a commis une faute de nature à les exonérer totalement, ou à défaut à hauteur de 50 % au moins de leur responsabilité vis-à-vis de lui ;
- le préjudice à indemniser ne doit pas inclure la surconsommation d'eau antérieurement à la réception, dès lors que le désordre n'était pas apparent, et ne saurait ainsi excéder la somme de 21 285,81 euros correspondant à la surconsommation d'eau à compter de la date de réception.
Par des mémoires, enregistrés les 17 novembre 2020, 7 janvier et 19 mars 2021, le département de la Moselle, représenté par la SELARL Soler-Couteaux et associés, demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement attaqué ;
2°) de condamner solidairement les sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte à lui verser la somme de 88 861,35 euros, augmentée des intérêts de droit et de leur capitalisation à chaque date anniversaire ;
3°) de mettre solidairement à leur charge la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a commis aucune faute de nature à exonérer les sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte de leur responsabilité à son égard ;
- la cour ne saurait statuer à nouveau sur l'évaluation du préjudice, dès lors que le Conseil d'Etat en a expressément confirmé le bien-fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, président assesseur,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Erkel, pour le département de la Moselle.
Considérant ce qui suit :
1. Par un marché conclu le 27 mars 2008, le département de la Moselle a confié au groupement composé notamment de la société Jean-Pierre Lott Architecte et de la société Saunier et Associés, bureau d'études technique, la maîtrise d'œuvre de la reconstruction du collège de Sarralbe. A la suite de la réception des travaux, confiés à la société Cari SAS, aux droits de laquelle est venue la société Fayat Bâtiment, prononcée le 10 juin 2013, une augmentation sensible de la consommation d'eau du collège a été constatée, résultant d'une fuite d'eau localisée sur le réseau d'arrosage extérieur des espaces verts. Après que la société Fayat Bâtiment a remédié à ce désordre, le département de la Moselle a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une action en responsabilité dirigée, à titre principal, contre les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie, entretemps substituée dans les droits et obligations de la société Saunier et Associés. Par un jugement n° 1603364 du 6 juillet 2018, le tribunal a condamné solidairement ces deux sociétés à lui verser la somme de 88 845,12 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2016 et de leur capitalisation à compter du 14 juin 2017. Après avoir constaté que les maîtres d'œuvre n'ont pas vérifié, comme il leur incombait de le faire, que les épreuves de contrôle des pertes d'eau éventuelles sur une durée de vingt-quatre heures, auxquelles, conformément aux stipulations du CCTP " Plomberie Sanitaire ", il devait être procédé à la fin des travaux, et qui auraient permis à un maître d'œuvre normalement diligent de déceler aisément la fuite en cause en dépit de son caractère non apparent, avaient été réalisées, la cour administrative d'appel de Nancy a estimé, comme le tribunal, que les sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte ont manqué à leur devoir de conseil lors des opérations de réception, et par suite engagé leur responsabilité contractuelle vis-à-vis du département. En conséquence, par un arrêt n° 18NC02354 du 18 juin 2019, elle a rejeté l'appel formé par la société Sibéo Ingénierie contre le jugement du 6 juillet 2018.
2. Par une décision n° 433455 du 7 octobre 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur le montant de la somme que les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie ont été condamnées solidairement à verser au département de la Moselle, au motif que la cour n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le département de la Moselle aurait commis une faute d'imprudence lors des opérations de réception des travaux susceptible de conduire à un partage de responsabilité. Le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nancy.
Sur les conclusions des sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte :
En ce qui concerne la faute du département :
3. Il est constant que le département de la Moselle a, par le truchement de l'un de ses agents, désigné à l'article 1.3 du cahier des clauses techniques particulières du marché de maîtrise d'œuvre, assuré la conduite d'opération, au sens des dispositions de l'article 6 de la loi du 12 juillet 1985 susvisée, des travaux en litige. En vertu de ces dispositions, le conducteur d'opération a pour mission d'apporter au maître d'ouvrage une assistance générale à caractère administratif, financier et technique. Eu égard à la nature de ces missions qui, indépendamment des missions par ailleurs dévolues aux maîtres d'œuvre, lui imposaient, dès lors qu'il avait choisi de les assumer lui-même, de suivre lui aussi avec une particulière vigilance l'exécution des différents marchés relatifs à l'opération de travaux en litige, le département, en ne s'assurant pas de la réalisation des épreuves de contrôle des pertes d'eau éventuelles sur une durée de vingt-quatre heures, lesquelles, ainsi qu'il a été dit au point 1, auraient permis de déceler la fuite à l'origine du dommage dont il demande la réparation, a commis une faute de nature à exonérer les sociétés Jean-Pierre Lott Architecte et Sibéo Ingénierie de leur responsabilité.
4. A cet égard, le département ne peut pas utilement faire valoir que seul un conducteur d'opération était amené à suivre le chantier pour son compte, et non l'ensemble de ses services techniques, qui intervenaient sur d'autres missions, dès lors qu'il lui appartenait de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour assumer la mission de conduite d'opération. Le département ne peut pas non plus utilement se prévaloir de ce que l'agent désigné ne pouvait pas déceler la fuite, localisée dans une canalisation enterrée, dès lors que la faute relevée au point précédent ne réside pas dans cette incapacité, mais dans le défaut de vérification de la réalisation des épreuves de contrôle. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la circonstance que cette vérification incombait aux maîtres d'œuvre ne dispensait nullement le département d'y être attentif dans le cadre de sa propre mission de conduite d'opération.
5. Néanmoins, dès lors que cette vérification incombait, au premier chef, aux maîtres d'œuvre, il sera fait une juste appréciation de leur part de responsabilité en la fixant à deux tiers, et en laissant ainsi un tiers des conséquences préjudiciables du dommage en litige à la charge du département.
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
6. Ainsi que le fait valoir le département de la Moselle, l'évaluation du préjudice, dont le Conseil d'Etat a, du reste, expressément confirmé le bien-fondé, excède les limites du renvoi de l'affaire à la cour. Cette dernière ne pouvant pas statuer une nouvelle fois sur cette question irrévocablement tranchée, les sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte ne sont, par suite, pas recevables à la soulever à nouveau devant elle.
7. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu du partage de responsabilités fixé au point 5, les sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte sont seulement fondées à soutenir que le montant de la condamnation prononcée par le tribunal doit être ramené à la somme de 59 230,08 euros. Par suite, les conclusions d'appel incident du département, tendant à ce que la condamnation prononcée par le tribunal soit portée de 88 845,12 à 88 861,35 euros, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de l'une ou l'autre des parties en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 88 845,12 euros que les sociétés Sibéo Ingénierie et Jean-Pierre Lott Architecte ont été condamnées à verser au département de la Moselle par le jugement n° 1603364 du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2018 est ramenée à 59 230,08 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1603364 du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 :Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Sibéo Ingénierie, Jean-Pierre Lott Architecte, Fayat bâtiment et au département de la Moselle.
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