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21/10/2021 | FRANCE | N°19NC03523

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 octobre 2021, 19NC03523


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la délibération du 2 mai 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune de Luttange a approuvé, au profit de M. C..., l'échange de la parcelle section 34 n° 78 contre les parcelles section 42 n° 45/23 et section 37 n° 23, de constater l'inexistence de la délibération du 2 mai 2015 et de mettre à la charge de la commune de Luttange le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice admini

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Par un jugement n° 1803479 du 27 septembre 2019, le tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la délibération du 2 mai 2015 par laquelle le conseil municipal de la commune de Luttange a approuvé, au profit de M. C..., l'échange de la parcelle section 34 n° 78 contre les parcelles section 42 n° 45/23 et section 37 n° 23, de constater l'inexistence de la délibération du 2 mai 2015 et de mettre à la charge de la commune de Luttange le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1803479 du 27 septembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a déclaré la délibération du 2 mai 2015 nulle et de nul effet, a mis à la charge de la commune de Luttange le versement à Mme D... E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 décembre 2019, sous le n° 19NC03523, et un mémoire enregistré le 24 septembre 2021, M. A... C..., représenté par Me Houpert, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 septembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son appel est recevable ;

- le recours de Mme D... était tardif, comme ayant été formé plus de deux mois après la publication de la délibération contestée dans les registres de la commune ; en outre, Mme D... a eu connaissance de la délibération litigieuse dès le 10 mars 2017 ; cette délibération, au demeurant, n'avait pas le caractère d'une décision individuelle ;

- aucun des textes visés par la requérante en première instance n'est sanctionné par la nullité de l'acte ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'échange ne pouvait pas être décidé sans enquête publique préalable et sans procédure de déclassement du chemin communal objet du litige ;

- Mme D... n'a pas justifié d'un préjudice ;

- la voie communale avait fait l'objet d'un déclassement ;

- le droit de passage des riverains étant préservé, l'échange était légal, sans qu'il y ait lieu de faire procéder à une enquête préalable ;

- cet échange était légal, comme étant lié à l'exercice d'un service public ;

- les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Strasbourg ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 mars 2020, Mme D..., représentée par Me Jung, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête, formée après l'expiration du délai d'appel et sans être assortie de moyens d'appel, est irrecevable ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 14 avril 2020, la commune de Luttange, représentée par Me Merll, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle indique s'en remettre à la décision des premiers juges.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- les observations de Me Poidevin, pour M. C...,

- et les observations de Me Géhin substituant Me Jung, pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 2 mai 2015, le conseil municipal de la commune de Luttange a approuvé l'échange de la parcelle n° 78 section 34, appartenant à M. A... C..., avec les parcelles n° 23 section 37 et n° 45 section 42, correspondant, respectivement, à un chemin rural et à une voie communale bitumée et a autorisé le maire de la commune à signer l'acte d'échange. M. C... relève appel du jugement du 27 septembre 2019, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a déclaré cette délibération nulle et de nul effet.

Sur les fins de non-recevoir opposées par Mme D... :

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance ". M. C..., bénéficiaire de l'échange autorisé par la délibération du 2 mai 2015 et aux droits de qui la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Strasbourg, tendant à l'annulation de cette délibération, était susceptible de préjudicier avait la qualité de partie à l'instance. Il avait par suite qualité pour faire appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 septembre 2019 ayant fait droit à cette demande d'annulation.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 ". Il ressort du dossier de la procédure conduite devant le tribunal administratif de Strasbourg que M. C... a reçu notification du jugement attaqué le 7 octobre 2019. Dès lors, le délai d'appel courrait jusqu'au lundi 9 décembre 2019 à minuit. L'appel de M. C..., enregistré le 3 décembre 2019, a donc été formé avant l'expiration du délai d'appel de deux mois prévu par les dispositions citées ci-dessus.

4. En dernier lieu, contrairement à ce que soutient Mme D..., la requête d'appel comporte l'énoncé de moyens d'appel à l'encontre du jugement attaqué et ne se borne pas à reproduire la demande formulée devant les juges de première instance. Par suite, elle répond à l'exigence de motivation posée par l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

5. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par Mme D... doivent être écartées.

Sur les conclusions de Mme D... dirigées contre la délibération du 2 mai 2015 :

En ce qui concerne les conclusions tendant à constater l'inexistence de la délibération du 2 mai 2015 :

6. Le principe d'inaliénabilité du domaine public communal, rappelé par les articles L. 1311-1 du code général des collectivités territoriales et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, fait obstacle au transfert à une personne privée, sans désaffectation ni déclassement préalables, de la propriété de dépendances de ce domaine. Si ce principe implique la nullité de tout contrat ayant pour objet ou pour effet le transfert de propriété d'une telle dépendance, sa méconnaissance ne constitue pas pour autant une cause d'inexistence de l'acte détachable, qui ne crée au demeurant aucun droit à la réalisation de ce transfert, par lequel un conseil municipal autorise ou approuve la conclusion d'un tel contrat. La délibération du 2 mai 2015, par laquelle le conseil municipal de Luttange a autorisé l'échange entre la parcelle n° 45 section 42, servant d'assiette à une voie communale, dépendance du domaine public routier de la commune, et la parcelle n° 78 section 34, propriété de M. A... C..., ne saurait, dès lors, être regardée comme un acte nul et de nul effet susceptible d'être déféré au juge sans condition de délai.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a déclaré cette délibération nulle et de nul effet. Il y a lieu, dans cette mesure, d'annuler le jugement attaqué.

En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 2 mai 2015 :

8. En vertu des dispositions des articles L. 1311-1 du code général des collectivités territoriales et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens appartenant au domaine public des collectivités territoriales sont inaliénables et imprescriptibles. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime prévoit que " Lorsqu'un chemin rural cesse d'être affecté à l'usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal, à moins que les intéressés groupés en association syndicale conformément à l'article L. 161-11 n'aient demandé à se charger de l'entretien dans les deux mois qui suivent l'ouverture de l'enquête. / Lorsque l'aliénation est ordonnée, les propriétaires riverains sont mis en demeure d'acquérir les terrains attenant à leurs propriétés. / Si, dans le délai d'un mois à dater de l'avertissement, les propriétaires riverains n'ont pas déposé leur soumission ou si leurs offres sont insuffisantes, il est procédé à l'aliénation des terrains selon les règles suivies pour la vente des propriétés communales ".

9. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles cadastrées n° 23 section 37 et n° 45 section 42, objet de l'échange approuvé par la délibération du 2 mai 2015, constituent l'assiette, respectivement, d'une voie communale appartenant au domaine public routier de la commune de Luttange et d'un chemin rural. Contrairement à ce que soutient M. C... dans le dernier état de ses écritures, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la première de ces parcelles aurait fait préalablement l'objet d'un déclassement du domaine public. La délibération du 2 mai 2015 présentait par ailleurs le caractère d'une décision administrative individuelle, sans qu'y fasse obstacle la circonstance alléguée par M. C..., que son adoption avait pour but de permettre à la commune de devenir propriétaire d'une parcelle forestière destinée à compenser la coupe d'une autre parcelle réalisée à tort en 1995 pour la création de terrains de sport. S'il ressort des mentions portées sur la délibération en cause que celle-ci a fait l'objet d'une publication en date du 4 mai 2015 et porte le tampon d'une transmission au préfet le 5 mai 2015, le délai de recours contentieux contre cette délibération ne pouvait courir, à l'égard de Mme D..., usagère de la voie communale et propriétaire riveraine du chemin rural en cause, directement concernée par la mesure contenue dans cette délibération, qu'à compter de la date à laquelle celle-ci lui était notifiée. Il est constant que Mme D... n'a pas reçu notification de cette délibération. Ni la commune de Luttange, ni M. C... n'apportent d'élément de nature à établir la date à laquelle celle-ci aurait eu communication intégrale de cette même délibération. A cet égard, ni la circonstance que, dans un courrier du 10 mars 2017, l'avocat de Mme D... ait sollicité de la commune la communication des actes d'échange litigieux, notamment celui du 25 juin 2015, faisant mention de cette délibération du 2 mai 2015, ni le fait que cet avocat ait fait inscrire une mention sur le Livre Foncier le 28 avril 2017, démontrant la volonté de Mme D..., dès cette date, de contester la validité de l'échange ne sont de nature à la faire regarder comme ayant connaissance de cette décision et à avoir fait courir le délai de recours contentieux contre la délibération en cause. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Strasbourg doit être écartée.

10. D'une part, le principe d'inaliénabilité du domaine public faisait obstacle, en l'absence de désaffectation et de déclassement préalables, à ce que le conseil municipal de la commune de Luttange puisse légalement approuver le transfert de propriété à M. C... E... la parcelle n° 23 section 37, peu important que l'échange réalisé l'ait été, comme le prétend le requérant, dans le but de compenser la coupe d'une autre parcelle en 1995 pour la création de terrains de sport.et aurait eu, de ce fait, un intérêt public. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime que le législateur n'a pas entendu ouvrir aux communes, pour l'aliénation des chemins ruraux, d'autres procédures que celle de la vente dans les conditions précisées à cet article. Le conseil municipal ne pouvait dès lors, sans méconnaître ces dispositions, autoriser l'échange de la parcelle n° 45 section 42, support d'un chemin rural.

11. Enfin, le requérant soutient que Mme D... n'a pas justifié d'un préjudice et conteste l'assertion selon laquelle l'échange de parcelles ne pouvait pas être décidé sans enquête publique préalable et sans procédure de déclassement du chemin communal objet du litige. Toutefois, ces considérations sont sans incidence sur la légalité de la délibération en cause.

12. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer l'annulation de la délibération du conseil municipal de Luttange du 2 mai 2015.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. C... au titre des frais non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C..., au titre de ces dispositions, le versement à Mme D..., d'une part, et à la commune de Luttange, d'autre part, de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 septembre 2019 est annulé en tant qu'il déclare nulle et de nul effet la délibération du conseil municipal de Luttange du 2 mai 2015.

Article 2 : La délibération du conseil municipal de Luttange du 2 mai 2015 est annulée.

Article 3 : M. C... versera à Mme D... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : M. C... versera à la commune de Luttange la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Mme B... D... et à la commune de Luttange.

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N° 19NC03523


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03523
Date de la décision : 21/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Actes inexistants.

Domaine - Domaine public.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : HOUPERT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-10-21;19nc03523 ?
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