La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/09/2021 | FRANCE | N°19NC02292

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 30 septembre 2021, 19NC02292


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 19 mai 2017 par laquelle il a autorisé la société Suez Eau France à le licencier, la décision implicite de rejet née le 22 novembre 2017 ainsi que la décision de rejet de son recours hiérarchique prise par le ministre du travail le 5 avril 2018.

Par un jugement n° 1800191 et n° 1801519 du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.

Procédure devant la c

our :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2019, M. E..., représenté par Me Welzer...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 19 mai 2017 par laquelle il a autorisé la société Suez Eau France à le licencier, la décision implicite de rejet née le 22 novembre 2017 ainsi que la décision de rejet de son recours hiérarchique prise par le ministre du travail le 5 avril 2018.

Par un jugement n° 1800191 et n° 1801519 du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2019, M. E..., représenté par Me Welzer, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 21 mai 2019 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 19 mai 2017 par laquelle il a autorisé la société Suez Eau France à le licencier, la décision implicite de rejet née le 22 novembre 2017 ainsi que la décision de rejet de son recours hiérarchique prise par le ministre du travail le 5 avril 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'inspecteur du travail n'est pas compétent territorialement pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement de la société Suez Eau France ;

- la décision de l'inspecteur du travail et celle du ministre du travail ont été prises en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- la matérialité des faits sur lesquels se sont fondés l'inspecteur du travail et le ministre du travail n'est pas établie.

Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2019, la société Suez Eau France représentée par Me Pelan, conclut au rejet de la requête.

Par un mémoire en défense du 1er octobre 2020, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Barrois, conseillère,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Pelan, pour la société Suez Eau France.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., salarié de la société Suez Eau France depuis le 1er mars 1980, a occupé en dernier lieu les fonctions de responsable de l'agence de gestion clientèle à Epinal et détenait les mandats de délégué syndical, représentant syndical au comité d'établissement, représentant syndical au CHSCT jusqu'à ce qu'il soit révoqué par son syndicat le 10 novembre 2016. A la suite d'un courrier d'une des salariées de l'agence du 13 octobre 2016, la société a mandaté le cabinet Axiom et le CHSCT a nommé une délégation aux fins de diligenter une enquête interne. Au regard des conclusions de l'enquête, la société a décidé de notifier à M. E... une mise à pied conservatoire avec effet immédiat. Le 28 février 2017, le conseil de discipline a décidé d'infliger la sanction de licenciement pour faute grave dont M. E... a fait appel, rejeté par une décision du 20 mars 2017. Le 27 mars 2017, le comité d'établissement a rendu un avis défavorable à son licenciement. Le 3 avril 2017, la société a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier. Par une décision du 19 mai 2017, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. E..., que ce dernier a contesté par un recours hiérarchique du 19 juillet 2017, notifié le 21 juillet suivant. En l'absence de réponse du ministre du travail, une décision implicite de rejet est née le 22 novembre suivant. Par une décision du 5 avril 2018, le ministre du travail a confirmé sa décision implicite de rejet. Par la présente requête, M. E... demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nancy du 21 mai 2019 rejetant ses demandes d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail, de la décision implicite de rejet du 22 novembre 2017 du ministre du travail et de la décision de rejet du 5 avril 2018 du ministre du travail.

Sur l'étendue du litige :

2. Aux termes de l'article R. 2422-1 du même code précise que, " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet ".

3. Lorsqu'un requérant conteste, dans les délais de recours, une décision implicite de rejet et une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, ses conclusions doivent être regardées comme dirigées uniquement contre la seconde décision, qui s'est substituée à la première. Il en résulte que la décision du ministre du travail du 5 avril 2018 s'étant substituée à sa décision implicite de rejet, les conclusions dirigées contre la décision implicite de la ministre du travail doivent être regardées comme dirigées uniquement contre la décision expresse du 5 avril 2018.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2411-3 du code du travail : " Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. ". Aux termes de l'article L. 2411-8 de même code : " Le licenciement d'un membre élu du comité d'entreprise, titulaire ou suppléant, ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail dans sa version en vigueur au 19 mai 2017 : " (...) La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. " et aux termes de l'article L. 2327-1 du même code : " Des comités d'établissement et un comité central d'entreprise sont constitués dans les entreprises comportant des établissements distincts ".

6. Il ressort des pièces du dossier et notamment du point 3.3 du procès-verbal du comité d'établissement du centre régional lorraine du 25 juin 2015, que le comité d'établissement lorraine a depuis le 1er septembre 2015 son siège à l'agence lorraine sud à Epinal. Le fait que le point 4.2 de ce même procès-verbal mentionne que le comité d'établissement serait basé à Creutzwald en raison de la présence sur place du secrétaire et du trésorier est sans incidence sur la localisation du siège du comité d'établissement à la date de la décision attaquée. Par ailleurs, il ressort des pièces produites pour la première fois en appel par le ministre du travail et notamment l'arrêté du 19 décembre 2014 et la décision du 30 janvier 2017 publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture des Vosges n°7 du 31 janvier 2017 que l'établissement de la société Suez Eau France localisé rue Léo Valentin à Epinal relève de la section 2 de l'unité de contrôle 88-1 pour laquelle M. A... B..., inspecteur du travail, est désigné en qualité d'autorité administrative indépendante. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence territoriale de l'inspecteur du travail ayant pris la décision attaquée du 19 mai 2017 est écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat (...) ". Le caractère contradictoire de l'enquête impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

8. D'une part, il est constant qu'étaient joints à la convocation du 6 avril 2017 à l'enquête contradictoire du 4 mai 2017, produite pour la première fois en appel par le ministre du travail, la demande d'autorisation de licenciement, le rapport d'enquête interne de la délégation du 10 janvier 2017, le procès-verbal du comité d'établissement, que la convocation précisait que M. E... avait un droit d'accès et de communication à tout document déterminant éventuellement produit par l'employeur et que l'ensemble de ces éléments lui a permis de contester utilement la décision. Au surplus, M. E... a été informé de manière précise de l'ensemble des griefs qui lui étaient reprochés par le rapport des faits joint à la convocation au conseil de discipline du 28 février 2017 ainsi que par le compte-rendu du conseil de discipline annexé à la convocation au comité d'établissement du 27 mars 2017. Ainsi, le fait que les attestations des salariés, produites en première instance et dont il n'est pas établi qu'elles auraient été transmises à l'inspecteur du travail, n'aient pas été communiquées à M. E... dans le cadre de la procédure administrative est sans incidence sur le respect du contradictoire dès lors que l'identité des personnes ayant témoigné à son encontre était indiquée dans les documents joints à la convocation du 6 avril 2017 et lui a par conséquent été communiquée. Au demeurant, compte-tenu du caractère très circonstancié des documents joints à la convocation, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inspecteur du travail aurait dû demander communication des attestations.

9. D'autre part, aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que : " Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires ". Ainsi, le salarié protégé en raison de son mandat, soumis à une procédure d'autorisation de licenciement, peut bénéficier de l'assistance d'un avocat, à moins que cette assistance ne soit expressément exclue par les textes régissant cette procédure ou ne soit pas compatible avec le fonctionnement de l'autorité administrative saisie de la demande. Il résulte des dispositions précitées au point 7 qui impliquent, pour le salarié dont le licenciement est envisagé, le droit d'être entendu personnellement et individuellement par l'inspecteur du travail, qu'aucune règle n'exclue de manière expresse qu'un salarié protégé soit assisté par un avocat au cours de l'enquête contradictoire et que cette assistance d'un avocat n'est pas non plus incompatible avec le caractère contradictoire de l'enquête conduite par l'inspecteur du travail ainsi que par la contre-enquête menée par le ministre du travail sur recours hiérarchique. Toutefois, il ne résulte pas de ces dispositions l'obligation pour l'autorité administrative compétente de préciser cette possibilité dans la convocation. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense est écarté.

10. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

11. Il ressort des pièces du dossier que la société Suez Eau France a été informée par un courrier d'une salariée le 13 octobre 2016 des difficultés qu'elle rencontrait avec son supérieur hiérarchique, M. E... et du comportement qu'il adoptait à son égard qui pourrait être qualifié de harcèlement moral. La société a donc diligenté le 25 octobre 2016 une enquête interne confiée à une délégation composée de représentants des organisations syndicale, du président du CHSCT et de la responsable des ressources humaines avec l'appui d'un cabinet extérieur qui a lui-même établi un rapport sur la situation d'altération des rapports sociaux dans l'agence d'Epinal en date du 10 décembre 2016. Les conclusions du rapport de la délégation après audition de 22 salariés dont M. E... et ayant travaillé avec lui depuis 2009, ont été présentées au CHSCT du 19 janvier 2017. La demande d'autorisation de licenciement adressée le 3 avril 2017 à l'inspecteur mentionnait deux griefs issus des conclusions de la délégation, la mise en œuvre de techniques de management inappropriés en particulier à l'égard de Mme D... et des propos déplacés envers les salariées. L'enquête interne diligentée par la société et les témoignages qui en ont découlés, versés au dossier, ainsi que l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail ont confirmé le comportement vexatoire, désobligeant et stigmatisant de M. E... à l'encontre de Mme D... et ont permis également de révéler un comportement plus général de management par la peur, d'intrusion dans la vie privée et de remarques sexistes, déplacées et à connotation sexuelle à l'égard de l'ensemble des salariées. Même si M. E... minimise les faits en soutenant qu'il s'agit d'une forme d'humour et produit à cet effet une seule attestation d'une ancienne salariée en contrat à durée déterminée et justifie ses techniques managériales par la propre pression qu'il subit pour atteindre les objectifs fixés par la société, ces éléments sont insuffisants pour remettre en cause les attestations circonstanciées et concordantes de salariées travaillant sur le même site que M. E... qui établissent la matérialité de faits d'autant plus graves qu'ils émanent du responsable d'agence. Par ailleurs, le fait que le comité d'établissement ait rendu un avis défavorable à son licenciement et qu'aucune procédure pénale n'ait été engagée en l'absence de dépôt de plainte sont sans incidence sur la matérialité des faits établie par les pièces du dossier. Dans ces conditions, eu égard aux faits reprochés à l'intéressé et révélateurs d'un comportement déplacé sur le lieu de travail, l'inspecteur du travail et le ministre du travail ont pu estimer sans commettre d'erreur d'appréciation que les fautes commises par M. E... étaient établies et d'une gravité suffisante pour autoriser son licenciement. Dès lors, le moyen doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. E... aux fins d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail du 19 mai 2017 et du ministre du travail du 5 avril 2018 ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à la société Suez Eau France, à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

5

N° 19NC02292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02292
Date de la décision : 30/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: Mme Marion BARROIS
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : LUSIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-09-30;19nc02292 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award