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28/09/2021 | FRANCE | N°21NC00080

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 28 septembre 2021, 21NC00080


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 13 décembre 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial en faveur de son époux.

Par un jugement n° 1902940 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 13 décembre 2018 et enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à l'époux de Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et fam

iliale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 13 décembre 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial en faveur de son époux.

Par un jugement n° 1902940 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 13 décembre 2018 et enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à l'époux de Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 12 janvier 2021 sous le n° 21NC00080, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 novembre 2020 et de rejeter la demande de Mme A... ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 novembre 2020 en tant qu'il lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à l'époux de Mme A... et de rejeter dans la même mesure la demande de Mme A....

Elle soutient que :

- son arrêté n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation de Mme A..., dès lors que celle-ci n'établit pas la réalité des liens avec son époux, ni la réalité des liens de son époux avec leur fille ;

- Mme A... ne dispose pas des conditions matérielles minimales requises pour pouvoir accueillir son époux ;

- l'annulation de son arrêté n'impliquait, en tout cas, pas qu'il lui soit enjoint de délivrer un titre de séjour à l'époux de Mme A....

Par un mémoire en défense enregistré le 5 mai 2021, Mme B... A..., représentée par Me Berry, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la préfète ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mars 2021.

II. Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2021 sous le n° 21NC00082, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour la suspension de l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 novembre 2020.

Elle présente les mêmes moyens que dans sa requête n° 21NC00080.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 mai 2021, Mme B... A..., représentée par Me Berry, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la préfète ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mars 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Marchal a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré, présentée pour Mme A..., a été enregistrée le 20 septembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante turque, est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle. Elle a déposé le 25 mai 2018 une demande de regroupement familial au bénéfice de son époux. Par une décision du 13 décembre 2018, le préfet du Bas-Rhin a refusé de faire droit à cette demande au motif que Mme A... ne disposait ni des ressources suffisantes, ni d'un logement normal pour accueillir son mari. Le tribunal administratif de Strasbourg a, par un jugement du 17 novembre 2020, annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer au conjoint de Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par une requête n° 21NC00080, la préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement du 17 novembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg. Par une seconde requête n° 21NC00082, elle demande, en outre, la suspension de l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes n° 21NC00080 et n° 21NC00082, présentées par la préfète du Bas-Rhin, tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur la requête n° 21NC00080 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

3. Pour annuler la décision portant rejet de la demande de regroupement familial présentée par Mme A..., le tribunal administratif de Strasbourg a estimé que le préfet du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de Mme A....

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France en 2002 alors qu'elle était encore mineure. Elle s'est ensuite mariée en Turquie le 15 octobre 2013 avec un compatriote, avec qui elle a eu un enfant en 2016. Il est cependant constant qu'elle a continué à résider en France avec leur enfant, tandis que son mari est resté en Turquie. Le couple n'a ainsi partagé aucune communauté de vie. Pour justifier néanmoins du maintien du lien avec son mari et de son intensité, Mme A... indique le contacter par voie d'appels vidéos et retourner régulièrement en Turquie lors de vacances. Pour autant, Mme A... ne verse au soutien de ses allégations qu'un billet d'avion pour la Turquie daté de 2016, quelques photographies non datées du couple avec leur fille et des captures d'écran également non datées démontrant qu'elle joint ponctuellement, en présence de sa fille, son mari par visio-conférence. Au regard de l'absence de toute communauté de vie, ces seuls éléments ne sauraient à eux seuls justifier de la réalité et de l'intensité du lien existant entre les époux ainsi qu'entre le mari de Mme A... et sa fille. Si Mme A... fait valoir devant la cour que sa fille serait de plus malade et aurait besoin de la présence de son père, il ressort des pièces du dossier que son enfant avait été, à la date de la décision, opéré avec succès d'une craniosynostose et ne faisait plus l'objet que d'un suivi médical. Dans ces conditions et compte tenu de la faculté pour Mme A... de faire état d'une modification de sa situation dans le cadre d'un nouvel examen de sa demande de regroupement familial au bénéfice de son époux, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de Mme A....

5. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé pour ce motif sa décision du 13 décembre 2018.

6. Il appartient toutefois à la cour saisie par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif de Strasbourg :

7. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors applicable à l'espèce : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code dans sa version alors applicable : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. (...) ; / 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".

8. Pour rejeter la demande de regroupement familial présentée par Mme A... au bénéfice de son époux, le préfet du Bas-Rhin s'est fondé sur les motif tirés de ce que celle-ci ne satisfait ni à la condition de ressources prévue au 1° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors applicable, ni à la condition de logement imposée par les dispositions alors applicables du 2° de l'article L. 411-5 du même code. Si le préfet du Bas-Rhin pouvait légalement se fonder sur ces motifs pour rejeter la demande de Mme A..., il ne se trouvait pas en situation de compétence liée et il lui appartenait de procéder à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des incidences de son refus sur la situation de Mme A... au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment des termes mêmes de la décision contestée que le préfet du Bas-Rhin n'a pas procédé à un examen de la situation de Mme A... et de son époux, mais s'est à tort estimée liée par l'insuffisance des ressources de l'intéressée et l'absence de logement normal pour la famille. Dans ces conditions, le préfet du Bas-Rhin a méconnu l'étendue de son pouvoir d'appréciation et a entaché sa décision d'une erreur de droit, qui doit entraîner son annulation.

9. Aucun autre moyen n'est de nature à conduire à l'annulation de la décision litigieuse du 13 décembre 2018.

10. Il résulte de tout de ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg, a annulé sa décision.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

11. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif de Strasbourg, uniquement lieu d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la demande de regroupement familial présentée par Mme A... dans un délai de deux mois. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

En ce qui concerne les frais liés à l'instance :

12. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Berry, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Berry de la somme de 1 200 euros.

Sur la requête n° 21NC00082 :

13. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 novembre 2020. La requête de la préfète du Bas-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues par suite sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... dans cette instance sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 novembre 2020 est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial présentée par Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Berry une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21NC00082.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

N°s 21NC00080 et 21NC00082 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00080
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : BERRY

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-09-28;21nc00080 ?
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