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20/07/2021 | FRANCE | N°17NC03031

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 20 juillet 2021, 17NC03031


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société HDR Communications a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, de surseoir à statuer dans l'attente de la transmission du dossier pénal, d'autre part, d'annuler ou, subsidiairement, de résilier le marché conclu le 20 janvier 2015 entre la région Lorraine et la société Prodaction, en outre, de condamner la région Grand Est, venant aux droits de la région Lorraine, à lui verser une somme de 2 020 000 euros hors taxes (HT) en réparation de son manque à gagner, avec intérê

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société HDR Communications a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, de surseoir à statuer dans l'attente de la transmission du dossier pénal, d'autre part, d'annuler ou, subsidiairement, de résilier le marché conclu le 20 janvier 2015 entre la région Lorraine et la société Prodaction, en outre, de condamner la région Grand Est, venant aux droits de la région Lorraine, à lui verser une somme de 2 020 000 euros hors taxes (HT) en réparation de son manque à gagner, avec intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable du 16 mars 2017 ou subsidiairement, de condamner la région Grand Est à lui verser une somme de 18 984 euros en réparation des frais engagés pour présenter son offre, avec intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable du 16 mars 2017.

Par un jugement n° 1502374 du 18 octobre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt du 9 avril 2019, la cour a, avant dire droit, sur la requête de la société HDR Communications tendant, dans le dernier état de ses écritures, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 octobre 2017 et du marché conclu le 20 janvier 2015 entre la région Lorraine et la société Prodaction, ou subsidiairement à sa résiliation, à la condamnation de la région Grand Est à lui verser une somme de 2 020 000 euros hors taxes en réparation de son manque à gagner ou subsidiairement de la somme de 18 984 euros en réparation des frais engagés pour présenter son offre, avec intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable du 16 mars 2017 et la capitalisation des intérêts et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la région Grand Est sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ordonné un supplément d'instruction tendant à la production par la société HDR Communications et la région Grand Est de tous les éléments ou pièces susceptibles d'être versés au dossier dans le respect des exigences liées au secret garanti par la loi, et notamment le secret de l'instruction, et permettant d'établir matériellement que l'attribution de ce marché procéderait d'agissements traduisant une volonté délibérée de favoriser le candidat retenu, en méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les candidats.

Par des mémoires, enregistrés les 30 octobre 2019, 18 mars et 24 mai 2021, en réponse à ce supplément d'instruction, la société HDR Communications, représentée par Me B..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu'une somme de 7 500 euros soit mise à la charge de la région Grand Est au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et maintient le surplus de ses précédentes conclusions.

Elle soutient que :

- les nombreux échanges de courriels et les pièces du dossier pénal produits établissent que la candidature de la société Prodaction a été favorisée ;

- la région s'est constituée partie civile dans la procédure pénale, sans contester la matérialité des faits poursuivis ;

- l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction devant le tribunal correctionnel établit que le rapport d'analyse des offres a été modifié en vue de favoriser l'offre du précédent attributaire du marché par rapport à la sienne ;

- elle a été privée d'une chance sérieuse de remporter ce marché en raison de l'irrégularité de la procédure de passation ;

- il n'est pas nécessaire d'attendre l'issue de la procédure pénale pour statuer sur sa demande indemnitaire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 octobre 2019 et 31 mars 2021, en réponse à ce supplément d'instruction, la région Grand Est, venant aux droits de la région Lorraine, représentée par Me A..., maintient ses précédentes conclusions.

Elle soutient que :

- la cour ne saurait se fonder sur les motifs de l'ordonnance de renvoi pour estimer que le délit de favoritisme est établi tant qu'il n'y a pas de décision pénale revêtant l'autorité de chose jugée ;

- les courriels produits l'ont été dans le cadre d'un litige opposant la région et l'un de ses agents contractuels ;

- aucun des éléments produits n'établit que l'offre de la société HDR était techniquement meilleure que celle de la société Prodaction et que le rapport d'analyse des offres classant cette dernière en première position serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la société HDR ne pourrait, le cas échéant, être indemnisée que sur la période initiale d'exécution du contrat ;

- le taux de marge nette de 53% invoqué par la société HDR est manifestement surévalué et s'établit, en réalité, à 15,2% pour le marché litigieux.

La procédure a été communiquée à la société Prodaction, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de procédure pénale ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grenier, présidente assesseure,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour la société HDR Communications ainsi que celles de Me A... pour la région Grand Est.

Une note en délibéré, présentée pour la société HDR Communications, a été enregistrée le 30 juin 2021 et une autre, présentée pour la région Grand Est, a été enregistrée le 1er juillet 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Au mois d'octobre 2014, la région Lorraine a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution, pour une durée d'un an renouvelable trois fois, d'un marché public de services ayant pour objet " l'accompagnement et la réalisation d'outils internet " pour des prestations relatives, d'une part, à la gestion, l'évolution des contenus, l'hébergement et la maintenance du site participatif du conseil régional " mylorraine.fr " et, d'autre part, à l'hébergement, la gestion technique et la maintenance de la plate-forme " lorrainemedia.eu ". Le montant total du marché, prévu à prix forfaitaire, a été estimé à 4 400 000 euros hors taxes (HT) pour sa durée maximale de quatre ans, soit 1 100 000 euros HT par an. Par une ordonnance du 16 janvier 2015, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande d'annulation de cette procédure présentée par la société HDR Communications. Le marché a été signé, le 20 janvier 2015, avec la société Prodaction, précédent attributaire. Par un jugement du 18 octobre 2017, dont la société HDR Communications relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes en contestation de la validité du marché conclu entre la région Lorraine, aux droits de laquelle est venue la région Grand Est, et la société Prodaction et tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison de son éviction de ce marché.

2. Pour déterminer avec certitude la matérialité des faits avancés par les parties et se prononcer ainsi sur la validité du marché en litige, la cour a ordonné à la société HDR Communications et à la région Grand Est, par un arrêt avant-dire-droit du 9 avril 2019, de lui communiquer tous les éléments ou pièces susceptibles d'être versés au dossier dans le respect des exigences liées au secret garanti par la loi, et notamment le secret de l'instruction, et permettant d'établir matériellement que l'attribution de ce marché procéderait d'agissements traduisant une volonté délibérée de favoriser le candidat retenu, en méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les candidats.

3. En réponse à ce supplément d'instruction, la société HDR Communications a produit des extraits du dossier pénal ainsi que l'ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel du 28 janvier 2021 du juge d'instruction près le tribunal judiciaire de Metz. Cette ordonnance renvoie deux agents de la région Lorraine devant le tribunal correctionnel pour atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics en raison des faits commis du 7 juin 2014 au 20 janvier 2015. Elle énonce qu'il y a des charges suffisantes contre ces deux personnes pour avoir procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié, notamment en modifiant les rapport d'analyses des offres présentées par les candidats sur deux marchés publics, dont celui en litige, dans un sens favorable à la société Prodaction. En réponse au supplément d'instruction ordonné avant-dire-droit par la cour, la région Grand Est, qui s'est constituée partie civile dans cette procédure, a également produit des extraits du dossier pénal.

Sur la validité du marché :

4. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours de conclusions indemnitaires ainsi que d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

5. La région Lorraine a conclu avec la société Prodaction, en juillet 2010, un marché à prix global et forfaitaire relatif au site " mylorraine.fr " et aux outils de communication de la région. En juillet 2014, à l'expiration de la durée de ce contrat, la région Lorraine a engagé une première procédure de passation d'un marché relatif à l'" accompagnement et la réalisation d'outils internet " pour " mylorraine.fr ", " lorraine.eu " et " lorrainemedia.eu " pour une durée de douze mois reconductible dans la limite de quatre ans et un montant estimé de 4,4 millions d'euros. La société Prodaction, attributaire sortant et la société Orient Communications ont présenté une offre pour l'attribution de ce marché dont la procédure a été déclarée infructueuse, le 7 octobre 2014, en raison de la " nécessité de modifier les exigences techniques du cahier des charges afin de donner une meilleure lisibilité aux outils de communication web du conseil régional de Lorraine ". Une seconde procédure de passation a alors été engagée par la région Lorraine qui a scindé le marché précédent en deux. Une première procédure avait pour objet la passation d'un marché pour " l'accompagnement et la réalisation d'outils internet " pour le site " mylorraine.fr " et l'hébergement, la gestion technique et la maintenance de la plate-forme " lorrainemedia.eu " pour une durée d'un an renouvelable trois fois et un montant estimé de 4,4 millions d'euros. Une seconde procédure, engagée en même temps, portait sur la passation d'un marché pour l'attribution d'un accord-cadre multi-attributaire ayant pour objet la réalisation de vidéos pour le site " mylorraine.fr ". Les sociétés Prodaction, HDR Communications et Orient Communications ont chacune présenté une offre pour la première procédure. Ce marché, en litige dans la présente instance, a été attribué à la société Prodaction.

6. D'une part, il résulte de l'instruction et en particulier des procès-verbaux d'audition de l'enquête pénale produits, lesquels ne sont pas couverts par le secret de l'instruction et ont été soumis au débat contradictoire des parties dans le cadre de la présente instance, qu'alors que, dans le cadre de la première procédure de passation du renouvellement du marché, les services de la région avaient fait valoir que l'offre de la société Orient Communications était meilleure que celle de la société Prodaction, la procédure a été déclarée infructueuse. Si la région a justifié l'abandon de la procédure par la nécessité de modifier les exigences techniques du cahier des charges, les constatations du juge de l'instruction révèlent que le marché a simplement été scindé en deux pour permettre l'organisation d'une première procédure tendant à la passation d'un marché relatif aux vidéos pour lequel le critère du prix était valorisé et d'une seconde pour la passation du marché relatif à la gestion du site internet, beaucoup plus important, d'un prix égal au marché initial, pour lequel le critère technique était valorisé. Il résulte des déclarations concordantes des agents de la région qu'une telle scission avait principalement pour but de permettre à l'offre de la société Prodaction, techniquement supérieure, de remporter ce second marché dès lors que la présentation d'une offre par un nouveau candidat, la société HDR Communications, n'avait pas été anticipée.

7. D'autre part, il résulte également de l'instruction que les offres de la société HDR Communications et de la société Prodaction étaient de qualité au moins comparable sur le plan technique, celle de la société HDR étant même regardée comme meilleure que celle du titulaire sortant par les services de la direction de la communication de la région Lorraine qui ont procédé à l'analyse des offres. A cet égard, il a notamment été relevé que la société Prodaction " se repose sur ses lauriers ". Il résulte en outre des procès-verbaux d'audition concordants de plusieurs agents ayant procédé à l'analyse des offres qui ont une valeur probante suffisante et ne sont pas sérieusement remis en cause par les déclarations contradictoires de la directrice de la communication et du directeur général des services de la région Lorraine, que la note du critère de la valeur technique de l'offre de la société Prodaction a été modifiée pour être portée à 4, note maximale, à la seule initiative de la directrice de la communication. Il résulte également de ces auditions que les atouts sur le plan technique de l'offre de la société Prodaction devaient être mis en avant dans le rapport d'analyse des offres, sans que les plus-values des autres offres ne soient autant valorisées, révélant une réelle volonté de favoriser le candidat sortant qui avait créé le site " mylorraine.fr ".

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal correctionnel statue sur le litige dont il est saisi, la qualification pénale des faits étant sans incidence sur l'appréciation de la régularité de la procédure de passation, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la volonté délibérée de favoriser l'offre de la société Prodaction est suffisamment établie et que le principe de l'égalité de traitement entre les candidats a, en conséquence, été méconnu dans l'attribution du marché litigieux.

Sur les conséquences de l'illégalité sur la validité du marché :

9. Saisi par un tiers, dans les conditions définies au point 4, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

10. Il résulte de l'instruction que la volonté délibérée de favoriser l'offre de la société Prodaction a gravement affecté la légalité du choix de l'attributaire. En raison de la particulière gravité de ce vice, pénalement répréhensible et en l'absence de régularisation possible, il implique que soit prononcée l'annulation du contrat litigieux. Il ne résulte pas de l'instruction que cette annulation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, la région Grand Est n'invoquant pas, en défense, un tel motif, alors au surplus que le contrat en litige n'a pas été renouvelé à l'issue de ses deux premières années d'exécution.

Sur l'indemnisation du préjudice subi par la société HDR :

11. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.

12. Il résulte de l'instruction et en particulier des déclarations des différents agents ayant procédé à l'analyse des offres dans le cadre de l'enquête pénale que la valeur technique des offres des sociétés HDR Communications et Prodaction était comparable et se tenait " dans un mouchoir de poche ". Il résulte ainsi de l'instruction que la société requérante, classée en deuxième position et qui présentait l'offre la moins chère, aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat si la valeur technique des offres avait été appréciée de manière objective et impartiale, sans volonté délibérée de favoriser une offre au détriment d'une autre.

13. D'une part, lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions.

14. Il résulte de l'instruction et notamment du cahier des clauses particulières et de l'avis d'appel à la concurrence que le marché avait une durée de douze mois avec reconduction tacite de douze mois dans la limite de 48 mois. La période d'exécution initiale du contrat était ainsi de douze mois. Pour obtenir une indemnisation de son manque à gagner pour une période supérieure à une année, la société HDR Communications ne peut utilement faire valoir que le marché attribué à la société Prodaction a été reconduit pour une année supplémentaire, dès lors que le préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché ne revêt un caractère certain que pour la période initiale d'exécution du marché d'une année.

15. D'autre part, le manque à gagner est déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. La société HDR Communications fait valoir, en produisant une attestation du 15 mars 2017 de son expert-comptable, que le taux de marge nette pour le marché litigieux s'établit à 52,8%. Si les parties se prévalent des taux de marge constatés dans des secteurs similaires, aucun, à l'exception du secteur " information et communication ", ne correspond réellement aux prestations en litige qui incluent, outre la réalisation de vidéos, de reportages et d'articles, la refonte, l'hébergement et la maintenance du site " mylorraine.fr " ainsi que des actions de promotion de ce site. Il résulte de l'instruction et notamment du taux de marge observé par la société HDR Communications sur cinq marchés dont elle était attributaire et en particulier sur les trois comportant une prestation d'hébergement web, comme le prévoit également le marché litigieux, que son taux moyen de marge nette pour ces trois marchés s'établit à 33,8%, ce qui est proche du taux de 33% constaté dans le secteur " information et communication " en 2013. Il résulte en outre de l'instruction et en particulier de l'analyse non sérieusement contestée réalisée par la région Grand Est à partir de l'analyse de l'expert-comptable de la société HDR, que cette dernière a sous-estimé la masse salariale, dès lors que son offre reposait sur une équipe dédiée à la gestion du contenu et à la promotion du site " mylorraine.fr " comprenant 13 personnes et non 8 salariés seulement. Par suite, il y a lieu de retenir un taux de marge nette de 33% et non de 15,2% comme l'oppose la région Grand Est en faisant valoir, sans toutefois l'établir, que l'expert-comptable de la société HDR Communications aurait délibérément sous-évalué les charges indirectes du marché.

16. Il résulte de ce qui précède qu'avec un chiffre d'affaires de 957 800 euros HT par an et un taux de marge nette de 33%, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société HDR Communications résultant de son éviction irrégulière du marché en l'évaluant à la somme arrondie de 316 000 euros HT. Il y a lieu, par suite, de condamner la région Grand Est à lui verser cette somme.

17. Il résulte de tout de ce qui précède que la société HDR est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du contrat conclu entre la région Lorraine et la société Prodaction et à l'indemnisation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière du marché.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

18. La société HDR Communications a droit aux intérêts de la somme de 316 000 euros HT à compter du 16 mars 2017, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par la région Grand Est.

19. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 15 décembre 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 16 mars 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés aux instances :

En ce qui concerne les frais de première instance :

20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la région Grand Est le versement à la société HDR Communications de la somme de 1 500 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens devant le tribunal administratif de Strasbourg en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

En ce qui concerne les frais liés à l'instance d'appel :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société HDR Communications, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la région Grand Est au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

22. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Grand Est une somme de 3 000 euros à verser à la société HDR Communications au titre de l'instance d'appel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 18 octobre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : Le contrat conclu entre la région Lorraine et la société Prodaction le 20 janvier 2015 est annulé.

Article 3 : La région Grand Est est condamnée à verser à la société HDR Communications la somme de 316 000 euros hors taxes avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017. Les intérêts échus à la date du 16 mars 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : La région Grand Est versera à la société HDR Communications une somme de 1 500 euros en ce qui concerne les frais de première instance et de 3 000 euros en ce qui concerne les frais d'appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions indemnitaires présentées par la société HDR Communications et les conclusions présentées par la région Grand Est au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société HDR Communications, à la région Grand Est et à la société Prodaction.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz.

2

N° 17NC03031


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NC03031
Date de la décision : 20/07/2021
Type d'affaire : Administrative

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ADVEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-07-20;17nc03031 ?
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