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06/07/2021 | FRANCE | N°19NC01253

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 06 juillet 2021, 19NC01253


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 février 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier spécialisé de Lorquin lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1801321 du 26 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrées les 25 avril et 17 octobre 2019

, le centre hospitalier spécialisé de Lorquin, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°)...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 février 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier spécialisé de Lorquin lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1801321 du 26 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrées les 25 avril et 17 octobre 2019, le centre hospitalier spécialisé de Lorquin, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801321 du tribunal administratif de Strasbourg du 26 février 2019 et de rejeter la demande présentée par Mme E... ;

2°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 1 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé la sanction en litige alors que les faits reprochés à Mme E... sont établis, qu'ils constituent des agissements de harcèlement moral vis-à-vis de ses subordonnés et qu'ils sont de nature à justifier cette sanction ;

- les faits ne sont pas partiellement prescrits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2019, Mme D... E..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros à lui verser soit mise à la charge du centre hospitalier spécialisé de Lorquin en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les faits qui lui sont reprochés sont partiellement prescrits ;

- aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteure publique,

- et les observations de Me F... pour le centre hospitalier de Lorquin et de Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., cadre de santé titulaire de la fonction publique hospitalière, exerce ses fonctions au sein du service de réhabilitation du centre hospitalier de Lorquin. Le 21 février 2018, le directeur du centre hospitalier de Lorquin l'a sanctionnée, à titre disciplinaire, d'une exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de deux ans, prenant effet à l'issue de la période de disponibilité pour raison de santé ou de toute autre position statutaire dans laquelle elle viendrait à être placée pour ce même motif.

2. Le centre hospitalier de Lorquin relève appel du jugement du 26 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". Le fait pour un fonctionnaire de faire subir des agissements répétés de cette nature aux personnes placées sous son autorité constitue une faute de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.

4. La sanction contestée a été prise au motif que le comportement de Mme E... vis-à-vis d'un certain nombre des agents placés sous son autorité est de nature à relever de la qualification de harcèlement moral au sens des dispositions précitées. Le centre hospitalier spécialisé de Lorquin soutient que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision contestée au motif que les faits reprochés à l'intéressée ne présentent pas un tel caractère et ne sont pas de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour estimer que les faits reprochés à Mme E... étaient constitutifs de harcèlement moral, le centre hospitalier spécialisé de Lorquin s'est fondé sur les entretiens réalisés par sa direction entre le 9 et le 23 novembre 2016 avec trente subordonnés ou anciens subordonnés de l'intéressée et avec son ancienne supérieure, sur des témoignages écrits de cinq de ces subordonnés et d'un médecin chef de pôle et sur le signalement effectué par une organisation syndicale le 27 septembre 2016.

6. Il ressort de ces éléments que six infirmières et une aide-soignante se plaignent d'avoir subi, de la part de Mme E..., des agissements humiliants ou vexatoires. Toutefois, les différents faits relatés dans ces plaintes sont catégoriquement réfutés par l'intéressée et ils ne sont corroborés par aucune autre pièce du dossier, notamment pas les autres témoignages produits, alors même que certains de ces faits se seraient produits en public. Il est vrai que quelques-uns des agents entendus indiquent, en substance, ne pas être surpris par ces accusations, mais ces opinions ne suffisent pas les étayer et, d'ailleurs, d'autres agents, plus nombreux, expriment un sentiment contraire. S'il ressort de la grande majorité de ces témoignages que Mme E..., décrite comme possédant un fort caractère et comme étant particulièrement exigeante et rigoureuse voire rigide, pratique des méthodes d'encadrement parfois inappropriées ou discutables dans la forme, ces traits de comportement ne sauraient, par eux-mêmes, suffire à caractériser des agissements de harcèlement moral à l'égard de ses subordonnés. Du reste, les plaintes pénales déposées par quatre des agents se disant victimes de harcèlement de la part de Mme E... ont été classées sans suite le 11 juin 2019.

7. Par ailleurs, alors que les agissements reprochés à Mme E... remontent, pour certains, à 2011, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils auraient fait l'objet de plaintes avant l'engagement de la procédure disciplinaire, ni que le service de santé au travail ou le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en auraient été alertés. Le comportement de l'intéressée n'a pas non plus été signalé lors de l'enquête sur les risques psychosociaux réalisée en 2014.

8. Quant au courrier que la section du syndicat CFTC du centre hospitalier a adressé à la direction de l'établissement le 27 septembre 2016, où l'auteur indique avoir attiré, depuis de nombreux mois, l'attention de cette dernière sur les méthodes de management employées à l'unité de réhabilitation et semble insinuer que Mme E... pourrait avoir une part de responsabilité dans le suicide d'un infirmier survenu en novembre 2014, son contenu apparaît douteux compte tenu du contraste singulier entre, d'une part, la gravité des faits dénoncés et la connaissance que ce syndicat déclare en avoir eu de longue date et, d'autre part, le comportement de ses représentants jusqu'alors. Ainsi, lors de la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 28 novembre 2014, où le suicide de l'agent et ses possibles causes ont été évoqués, aucun des membres présents, notamment pas les deux représentants de ce syndicat, n'a mentionné les méthodes d'encadrement de Mme E.... En outre, alors que les deux représentants du syndicat au comité ont, en avril 2015, mené une enquête auprès des différents services du centre hospitalier, ils ont ignoré celui de Mme E.... Il ne ressort d'ailleurs pas des pièces du dossier qu'à un quelconque moment, avant le 27 septembre 2016, et bien qu'il déclare en avoir eu connaissance auparavant, le syndicat ait émis la moindre alerte au sujet comportement qu'il prête à Mme E....

9. Dans ces conditions, compte tenu de l'insuffisance des éléments sur lesquels ils s'est fondé, en l'absence au dossier de tout autre élément permettant d'établir que Mme E... se serait livrée aux agissements de harcèlement moral qui lui sont reprochés ou même qu'elle aurait excédé les limites de l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique, et alors que le conseil de discipline s'est prononcé à l'unanimité contre toute sanction disciplinaire après avoir, lui aussi, relevé de nombreuses incohérences et contradictions dans les éléments qu'il lui a présentés, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que les faits qu'il a retenus ne sont pas de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription soulevée par Mme E..., que les conclusions à fin d'annulation présentée par le requérant ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le centre hospitalier spécialisé de Lorquin demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé de Lorquin à la somme de 1 500 euros à verser à Mme E... au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1 : La requête du centre hospitalier spécialisé de Lorquin est rejetée.

Article 2 : Le centre hospitalier spécialisé de Lorquin versera à Mme E... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier spécialisé de Lorquin et à Mme D... E....

N° 19NC01253 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01253
Date de la décision : 06/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-03 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : CM.AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-07-06;19nc01253 ?
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