La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/06/2021 | FRANCE | N°20NC00181

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 15 juin 2021, 20NC00181


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 14 décembre 2018 par lesquels le préfet de la Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1901735 et 1901737 du 23 août 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédures devant la cour :

I- Par une requê

te enregistrée le 22 janvier 2020 sous le n°20NC00181, Mme D..., représentée par Me A..., demande ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 14 décembre 2018 par lesquels le préfet de la Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1901735 et 1901737 du 23 août 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédures devant la cour :

I- Par une requête enregistrée le 22 janvier 2020 sous le n°20NC00181, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler, en ce qui la concerne, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 août 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 14 décembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement de première instance, qui a visé et qui s'est fondé sur un mémoire qui ne lui a pas été communiqué, est entaché d'irrégularité pour méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction ;

- sur la décision portant refus de titre de séjour :

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a entaché sa décision d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- le préfet a méconnu l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;

- la décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2020, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

II- Par une requête enregistrée le 22 janvier 2020 sous le n°20NC00182, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler, en ce qui le concerne, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 août 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 14 décembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " commerçant " ou à défaut " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement de première instance, qui a visé et s'est fondé sur un mémoire qui ne lui a pas été communiqué, est entaché d'irrégularité pour méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction ;

- l'autorité de la chose jugée a été méconnue car le jugement attaqué a considéré que sa demande de titre de séjour pouvait être rejetée sur le seul motif de l'absence de visa long séjour alors que les jugements définitifs du 30 mai 2017 et du 9 janvier 2018 ont jugé que sa demande de titre de séjour ne pouvait pas être rejetée sur ce seul motif, sans examen de sa possible régularisation ;

- sur la décision portant refus de titre de séjour :

- le préfet a méconnu l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision est entachée d'un défaut d'examen et d'erreur de droit, dans la mesure où le préfet s'est cru lié par l'absence de visa long séjour pour lui refuser la délivrance de son titre de séjour ;

- le préfet a méconnu les dispositions du 3° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a entaché sa décision d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- le préfet a méconnu l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;

- la décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2020, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de Mme E..., première conseillère ;

-et les observations de M. et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., ressortissants libanais, nés respectivement les 1er octobre 1975 et 23 mars 1976, sont entrés et ont séjourné en France du 4 juin 2016 au 10 juin 2016 avec un passeport revêtu d'un visa C à entrées multiples d'une durée de trente jours puis sont revenus pour s'y maintenir à compter du 7 juillet 2016 munis d'un passeport revêtu d'un visa C à entrées multiples d'une durée de 90 jours. M. D... a sollicité son admission au séjour en qualité de commerçant, le 30 août 2016, puis a complété sa demande en sollicitant également le 5 octobre 2016 un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 13 février 2017, le préfet de la Moselle lui a refusé le séjour et a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français. L'arrêté a été annulé par un jugement du 30 mai 2017 par le tribunal administratif de Strasbourg et il a été enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. D.... Il s'est alors vu opposer un nouveau refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français, le 21 septembre 2017 qui a également été annulé par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 janvier 2018, lequel a enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer la situation du requérant. Le 5 octobre 2016, Mme D... a, de son côté, sollicité la régularisation de son séjour. Par un arrêté du 13 février 2017, le préfet de la Moselle a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de son éloignement. Le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête de Mme D... tendant à l'annulation de cette décision par un jugement du 30 mai 2017. Par un arrêt du 29 mai 2018, la cour d'appel administrative de Nancy a annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté les demandes d'annulation en ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de la requérante. Enfin, par deux arrêtés du 14 décembre 2018, le préfet de la Moselle a rejeté les demandes de titre de séjour des intéressés, leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éloignement. Par deux requêtes enregistrées sous les nos 20NC00181 et 20NC00182, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, M. et Mme D... relèvent appel du jugement n° 1901735 et 1901737 du 23 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur les conclusions d'annulation des décisions du 14 décembre 2018 :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".

3. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de ces dispositions par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire "

4. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu laisser à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir. Dans ces conditions, il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'elle a portée sur l'un ou l'autre de ces points.

5. Il ressort des pièces du dossier que les requérants, ressortissants libanais, ont vécu vingt ans en Afrique, d'abord en Côte d'Ivoire puis au Cameroun à partir de 2011, qu'ils ont été contraints de quitter au regard de l'insécurité à laquelle étaient notamment exposés leurs enfants. M. D... a créé deux sociétés en Afrique " Dynamicam " au Cameroun et " D... construction " en Guinée équatoriale , de sorte qu'il dispose d'une expérience en tant que commerçant. Les pièces produites attestent que M. D... a acquis le 6 octobre 2016 un fonds de commerce " Auto 57 000 " dans le département de la Moselle d'un montant de 20 000 euros et qu'il a ouvert un compte bancaire pour cette nouvelle société baptisée " Dynamic auto " à la banque CIC Est à Strasbourg. Cette société a pour objet la préparation et l'entretien de tous types de véhicules et l'achat et vente de véhicules d'occasion. Par ailleurs, le gérant de sa société, qu'il a nommé, a déposé auprès de l'administration une demande d'autorisation de travail le 27 février 2018 pour lui permettre d'occuper le poste de responsable d'achat et de vente, pour lequel il n'est pas contesté que M. D... dispose d'une expérience professionnelle au vu des différentes sociétés qu'il a créées en Afrique. Par ailleurs, et comme cela ressort de l'acte notarié produit, M. et Mme D... ont acquis un appartement à Metz où ils vivent avec leurs deux enfants. Il ressort également des pièces du dossier que les enfants du couple, qui n'ont jamais vécus au Liban, ont toujours été scolarisés dans des établissements français en Afrique où ils ont acquis une culture française. Scolarisés désormais depuis 2016 en France, ils ont un parcours scolaire exemplaire, l'aîné à la faculté de médecine, le second au lycée. Les très nombreuses attestations circonstanciées produites émanant d'élus de la ville de Metz, d'associations, de professeurs, de voisins et d'amis démontrent une parfaite intégration au sein de la société française et la création de très nombreux liens personnels en France. Par suite, et dans les circonstances très particulières de l'espèce, au regard tant du parcours de la famille que de leur intégration rapide tant professionnelle, sociale que scolaire, les requérants, qui justifient de motifs exceptionnels, sont fondés à soutenir que le préfet de la Moselle a entaché ses décisions d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de leur délivrer les titres de séjour sollicités en application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'illégalité des refus de titre de séjour entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des décisions portant obligations de quitter le territoire et des décisions fixant le pays de destination.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des deux requêtes, que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administration : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

8. Eu égard au motif d'annulation des décisions du 14 décembre 2018 et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet délivre à M. et Mme D... un titre de séjour " vie privée et familiale ". Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer ce titre aux intéressés dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés aux instances :

9. M. et Mme D... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocate de M. et Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 23 août 2019 du tribunal administratif de Strasbourg et les décisions du préfet de la Moselle du 14 décembre 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. et Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ainsi, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et à Me A....

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Moselle.

3

N° 20NC00181, 20NC00182


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00181
Date de la décision : 15/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : DOLE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-06-15;20nc00181 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award