Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme AD... AK..., Mme AF... C..., M. AI... A..., M. G... K..., M. X... F..., Mme AJ... Y..., Mme I... H..., Mme AF... AN..., M. U... K..., Mme N... O..., M. AH... AN..., M. AL... W..., Mme E... Z..., M. M... T..., M. R... L..., M. AO... D..., M. AP..., M. AC... S..., M. B... AM... et Mme P... J... ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 5 août 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche Comté a homologué le plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Amy.
Par un jugement no 2001517 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 février 2021 et le 15 avril 2021, la SCP Pascal Leclerc, prise en la personne de Me AE... et Me AA..., en sa qualité de mandataire liquidateur de la société L'Amy, représentés par Me Q..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande tendant à l'annulation de la décision du 5 août 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche Comté a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Amy ;
3°) de mettre à la charge de Mme AK... et des dix-neuf autres salariés la somme de 250 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement a méconnu le principe du contradictoire en prenant en considération un mémoire produit le 23 novembre 2020 qui n'a pas été communiqué ;
- les catégories professionnelles n'ont pas été illégalement définies, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, mais l'ont été conformément à l'article L. 1233-24-4 du code du travail et aux principes dégagés par la jurisprudence du Conseil d'Etat selon une logique de compétences et non en fonction de critères inhérents à la personne des salariés prohibés par l'article L. 1233-3 du code du travail ou de l'organisation de l'entreprise ; le tribunal s'est écarté de la grille d'analyse déterminée par le Conseil d'Etat en ne recherchant pas la méthode globale de découpage des catégories professionnelles retenue par l'employeur et en procédant à une comparaison du nombre de catégories par rapport à l'effectif total de la société et du nombre de catégories ne comportant qu'un seul poste pour en déduire que l'employeur s'était fondé sur un critère étranger à la nature des fonctions ;
- les comités social et économique central et d'établissements ont été régulièrement informés du projet de licenciement économique collectif et des conséquences du projet en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail ;
- le dispositif de départ sur la base du volontariat ne prévoit aucune rupture d'un commun accord mais s'intègre dans le cadre du licenciement collectif et n'avait donc pas à figurer dans le document unique au titre d'un dispositif de départ volontaire ;
- le critère professionnel du licenciement n'a pas été neutralisé par le document unilatéral ; aucun entretien annuel, ni aucune évaluation n'ont été mis en place au sein de la société, ce qui permettait ainsi de prendre en compte d'autres critères, en particulier la présence au sein de l'entreprise ;
- le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi est conforme aux dispositions de l'article L. 1233-62 du code du travail dès lors qu'il est proportionné aux moyens de l'entreprise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2021, Mme AD... AK..., M. U... K..., Mme E... Z..., M. AP..., M. AO... D..., M. B... AM..., M. X... F..., Mme AJ... Y..., M. AH... AN..., M. AC... S..., M. G... K..., Mme AF... C..., Mme N... O..., M. AI... A..., M. M... T..., Mme I... H..., Mme P... J..., M. R... L..., Mme AF... AN... et M. AL... W..., représentés par Me AG..., concluent au rejet de la requête et demande que la somme de 400 euros soit mise à la charge de l'Etat pour chacun d'eux, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement n'est pas irrégulier dès lors que le mémoire qui n'a pas été communiqué ne comportait pas d'élément nouveau ;
- le comité social et économique n'a pas été régulièrement informé et consulté sur les conséquences des projets de licenciement envisagés en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ainsi que sur les mesures prises par l'employeur en vue d'évaluer et de limiter ces risques ;
- le document unilatéral ne comporte aucune précision sur le plan de départ volontaire ;
- le critère professionnel a été neutralisé ;
- les catégories professionnelles ont été définies trop restrictivement ;
- les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi sont insuffisantes pour permettre un reclassement effectif des salariés ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Besançon.
Elle soutient que la détermination des catégories professionnelles est justifiée par la diversité des fonctions au sein de la société L'Amy et qu'elle ne repose pas sur une intention de l'employeur de cibler ou de discriminer les salariés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. AB...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteure publique,
- et les observations de Me AG... pour Mme AK... et autres et de Mme V... pour la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
1. La société L'Amy, ayant son siège dans le Jura, spécialisée dans le design, la création, la production et la commercialisation de lunettes de soleil et de montures optiques, et appartenant au groupe ILG via la holding ILG of Switzerland, a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier du 2 juin 2020. Compte tenu de difficultés économiques, un plan de sauvegarde de l'emploi a été présenté aux instances représentatives du personnel à compter du 3 juillet 2020. A l'issue des réunions avec le comité social et économique central et des établissements de Morez et Paris, le juge commissaire a autorisé, par une ordonnance du 18 août 2020, les licenciements projetés dans le cadre de ce plan. Par un jugement du 4 décembre 2020, le tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier a prononcé la liquidation de la société L'Amy et désigné la SCP Pascal Leclerc en qualité de liquidateur.
2. Mme AD... AK... et dix-neuf autres salariés, licenciés pour motif économique le 8 septembre 2020, ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 5 août 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche Comté a homologué le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Amy. Par un jugement du 22 décembre 2020, dont la SCP Pascal Leclerc, prise en la personne de Me AE... et Me AA..., en sa qualité de mandataire liquidateur de la société L'Amy, fait appel, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
3. Il résulte de l'article L. 1233-58 du code du travail que l'administrateur doit mettre en oeuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4 du code du travail.
4. Aux termes de l'article L. 1233-24-2 du code du travail : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 123363. / Il peut également porter sur : (...) / 4° Le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées ; (...) ". L'article L. 1233573 du même code prévoit qu'en l'absence d'accord collectif : " (...) l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2 (...) ".
5. Il appartient à l'administration, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document qui fixe les catégories professionnelles mentionnées au 4° de l'article L. 123324-2 du code du travail, de s'assurer, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, notamment des échanges avec les représentants du personnel au cours de la procédure d'information et de consultation ainsi que des justifications qu'il appartient à l'employeur de fournir, que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Au terme de cet examen, l'administration refuse l'homologation demandée s'il apparaît que les catégories professionnelles concernées par le licenciement ont été déterminées par l'employeur en se fondant sur des considérations, telles que l'organisation de l'entreprise ou l'ancienneté des intéressés, qui sont étrangères à celles qui permettent de regrouper, compte tenu des acquis de l'expérience professionnelle, les salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, ou s'il apparaît qu'une ou plusieurs catégories ont été définies dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou en raison de leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée.
6. Il ressort des pièces du dossier que la société L'Amy s'est fondée, pour définir les catégories professionnelles concernées par le plan de sauvegarde de l'emploi, sur des considérations liées à la nature des fonctions exercées par les salariés au sein de ses établissements de Morez et de Paris. Ainsi, si pour l'établissement de Morez, comportant 73 salariés, la société L'Amy a défini 36 catégories professionnelles, dont 27 n'ont qu'un seul salarié, en distinguant notamment les postes d'employé comptable et de comptable général qui, selon les intimés, impliquent l'exercice de fonctions similaires, il ressort des éléments produits par la requérante que le poste de comptable général nécessite notamment des compétences en matière fiscale et comptable ainsi qu'une maîtrise de l'anglais alors que le poste d'employé comptable, chargé de tâches essentiellement d'exécution, ne nécessite qu'une connaissance de la comptabilité clients. Si le document unilatéral distingue également les catégories de vente à l'export de celle de conseiller des ventes en France, il ressort des justifications apportées par l'employeur, notamment de la fiche de poste de conseiller des ventes, que ces derniers, dont les fonctions sont sédentaires, doivent traiter et saisir les commandes des clients et des représentants en réassorts ou en service après-vente et traiter les appels sortants en appui de la force commerciale. A cet effet, ils doivent notamment connaitre les principaux termes techniques liés aux produits de l'optique, les relations clients/fournisseurs au téléphone, les notions de base du traitement de texte et du tableur, des techniques de vente et de prise de rendez-vous alors qu'à l'inverse, le poste de vente à l'export implique la prospection de nouveaux clients, le développement des actions commerciales et marketing auprès des partenaires existants ou futurs, la participation active aux salons et évènements en lien avec les collections de la marque, impliquant, ainsi que le fait valoir sans être utilement contredit l'employeur, des déplacements à l'étranger et la maîtrise de plusieurs langues, compétences qui ne peuvent être acquises par une simple formation d'adaptation.
7. Si les requérants évoquent un grand nombre de catégories et un ciblage des salariés, ils n'apportent aucune précision à l'appui de leur moyen alors que le comité social et économique central, même s'il a relevé l'importance des catégories professionnelles, n'a remis en cause, pour l'établissement de Paris, que la distinction entre la catégorie responsable développement clients France et celle de délégué commercial, que l'employeur a réunies, à la suite de cette observation, dans la même catégorie professionnelle. Si l'employeur n'apporte pas de justifications pour chacune des catégories professionnelles, il ne ressort pas des pièces du dossier que les distinctions opérées par la société L'Amy pour les déterminer auraient été établies dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou en raison de leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression était recherchée alors que dans l'établissement de Morez, sur les 27 catégories professionnelles ne comportant qu'un poste, 16 seulement sont concernées par les licenciements.
8. Enfin, si l'employeur a défini pour l'établissement de Paris 6 catégories professionnelles, dont 5 ne comportent qu'un seul salarié, cette circonstance n'est pas davantage de nature à révéler que leur détermination reposerait sur d'autres considérations que la nature des fonctions exercées alors qu'il ressort de la dernière version du livre 2 du plan de sauvegarde de l'emploi que tous les postes sont supprimés.
9. Il s'ensuit que la société L'Amy est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision d'homologation en litige, les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de l'illégalité des catégories professionnelles concernées par le plan de sauvegarde de l'emploi. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les intimés tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par les intimés :
S'agissant de la consultation du comité social et économique en matière d'incidence du projet sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés :
10. Aux termes de l'article L. 2312-8 du code du travail : " Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production./ Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur : / 1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ; / 2° La modification de son organisation économique ou juridique ; / 3° Les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ; / 4° L'introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; (...) ".
11. Aux termes de l'article L. 1233-30 du même code, auquel renvoie l'article L. 1233-58 en cas de redressement : " I.- Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité social et économique sur : / (...)/ les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-31 du même code : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. / Il indique : / 7° Le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail ".
12. Dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée. Lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si l'employeur a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et si la consultation du comité social et économique (CSE) sur ce point a été régulière.
13. Les requérants soutiennent que les membres du CSE central et des CSE des établissements de Morez et de Paris n'ont pas pu se prononcer en connaissance de cause en l'absence notamment d'une étude d'impact du projet sur les conséquences du projet de restructuration sur la sécurité, la santé et les conditions de travail des salariés. Ils font également valoir que l'employeur n'a pas mis à jour le document unique d'évaluation des risques prévu par l'article R. 4121-2 du code du travail et qu'il n'a ni suffisamment évalué l'incidence du projet de réorganisation sur la santé et les conditions de travail des salariés, ni pris les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger leur santé physique, en vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail.
14. Il n'est pas contesté que le projet de réorganisation, qui porte sur l'ensemble des services des établissements de Morez et de Paris et qui implique la suppression de plus de de la moitié des effectifs de la société L'Amy, est de nature à avoir une incidence sur les conditions de travail et la santé des salariés, nécessitant ainsi la consultation du comité social et économique en application de l'article L. 2312-8 du code du travail.
15. Si les membres des CSE locaux, en particulier ceux du CSE de l'établissement de Paris, ont estimé ne pas avoir reçu une information suffisante pour pouvoir rendre un avis éclairé sur les conséquences du projet de réorganisation, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'ils ont reçu un document intitulé " note économique à destination des membres des CSE " correspondant au projet de réorganisation et à ses conséquences (livre 2) leur présentant l'organisation actuelle de la société et son évolution future en faisant apparaître par services les attributions et les effectifs. Ils ont également eu la communication du projet de licenciement économique (livre 1) qui comporte une partie 10 relative aux incidences éventuelles du projet de réorganisation sur les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité et les actions de prévention des risques psycho-sociaux qui énonce les mesures mises en place par l'employeur au titre de son obligation de sécurité pour préserver la santé et la sécurité des salariés, à savoir la possibilité d'obtenir un entretien avec la direction, la mise en place d'une cellule d'appui psychologique et l'information de la médecine du travail susceptible d'être sollicitée par les salariés.
16. Il ressort également des pièces du dossier que le CSE central a bénéficié de l'assistance d'un cabinet d'expertise. Ce cabinet, dont il n'est pas soutenu qu'il n'aurait pas eu accès à tout document nécessaire à l'accomplissement de sa mission, a procédé à un examen du projet de réorganisation et mentionné, dans son rapport présenté aux membres du CSE central le 27 juillet 2020, les principaux risques de l'opération projetée pour les salariés, en particulier sur les conditions de travail de ceux maintenus au sein de la société L'Amy. Les échanges entre la direction de la société L'Amy et les membres des CSE, central et locaux, établissent que les représentants du personnel ont été en mesure, sur la base des éléments qui leur ont été communiqués, d'appréhender l'importance du projet, notamment au plan organisationnel, les risques pour les salariés et les mesures mises en oeuvre par l'employeur.
17. Il ressort aussi des comptes rendus de réunions, dont l'administration, à laquelle ils sont transmis, a nécessairement eu connaissance qu'en réponse aux observations des membres des différents CSE, l'employeur a décidé notamment de recourir à une entreprise extérieure avec un psychologue chargé d'intervenir 24h/24 et 7j/7 par téléphone et, si besoin, sur site et de mettre en place des groupes de travail portant sur la question de la charge de travail, satisfaisant ainsi à ses obligations résultant de l'article L. 4121-1 du code du travail, même si la mise en place de cette dernière mesure est prévue postérieurement à l'homologation du document unilatéral.
18. Si, comme le soulignent les intimés, le document unique d'évaluation des risques professionnels n'a pas été actualisé depuis 2018, cette circonstance n'est pas de nature, par elle-même, à établir que l'information des représentants du personnel aurait été insuffisante pour qu'ils se prononcent en connaissance de cause dès lors que les autres éléments portés à leur connaissance, ainsi qu'il a été indiqué précédemment, ont été de nature à les éclairer sur le projet et ses conséquences sur la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés et les mesures de prévention prises par l'employeur.
19. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les membres du CSE central et des CSE d'établissement n'ont pas été régulièrement informés et consultés, notamment en raison de l'absence d'évaluation des risques et de l'insuffisance des mesures de prévention, et que, par suite, c'est à tort que l'administration a homologué le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi litigieux.
S'agissant de l'absence de plan de départ volontaire soumis au contrôle de l'administration :
20. Si la société L'Amy ne conteste pas avoir convenu, avec les membres du CSE central et du CSE de l'établissement de Morez, qu'un appel au volontariat serait organisé pour déterminer, dans les catégories professionnelles concernées par les licenciements, les salariés souhaitant être licenciés, il ne ressort ni du document unilatéral établi par l'employeur, ni d'aucune autre pièce du dossier que le contrat des salariés, qui se manifesteront, sera rompu d'un commun accord. Ainsi, le plan de sauvegarde de l'emploi ne prévoyant pas d'autre mode de rupture du contrat qu'un licenciement pour motif économique, lequel implique que tous les salariés licenciés bénéficieront des mesures du plan, les intimés ne sont pas fondés à soutenir que la société L'Amy aurait dû intégrer dans les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi un plan de départ volontaire soumis à l'homologation de la DIRECCTE.
S'agissant du moyen tiré de la neutralisation du critère de la qualification professionnelle :
21. Aux termes de l'article 1233-5 du code du travail : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. / L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. (...) ".
22. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ne saurait légalement fixer des critères d'ordre des licenciements qui omettraient l'un de ces quatre critères d'appréciation ou neutraliseraient ses effets. Il n'en va autrement que s'il est établi, de manière certaine, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, que, dans la situation particulière de l'entreprise et pour l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation en question ne pourra être matériellement mise en oeuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.
23. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'en l'absence de système annuel d'évaluation ou d'entretien professionnel, la société L'Amy a retenu au titre du critère relatif à la qualité professionnelle deux indicateurs, l'un concernant le nombre de jours d'absences injustifiées, l'autre concernant la détention du certificat de sauveteur secouriste du travail (en cours de validité au 1er janvier 2020). Si les requérants soutiennent que l'indicateur relatif à l'absentéisme injustifié est de nature à neutraliser ce critère, dès lors que la direction de la société L'Amy a déclaré lors des réunions des CSE qu'à son avis aucun salarié n'était concerné, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet indicateur ne s'appliquera effectivement à aucun salarié. Par ailleurs, en l'absence de tout autre indicateur plus pertinent, celui relatif à la possession du certificat de sauveteur secouriste au travail, qui constitue un complément de formation, n'est pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualification professionnelle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
En ce qui concerne le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi :
24. Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du code du travail : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié (...) le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : /1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; /2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; /3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-62 du code du travail : " Le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures telles que : / 1° Des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national, des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent ou, sous réserve de l'accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure; / 1° bis Des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements ; / 2° Des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ; / 3° Des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi ; / 4° Des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ; /5° Des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ; (...) ".
25. Selon les dispositions de l'article L.1233-58 du même code : " En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en oeuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. (...) II. (...) / Par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise. (...) ".
26. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. A ce titre elle doit, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe.
27. D'une part, compte tenu des dispositions précitées de l'article L. 1233-58 du code du travail, le caractère proportionné des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécie uniquement au regard des moyens de la société L'Amy, en raison de son placement en redressement judiciaire à la date de la décision en litige, et non du groupe auquel elle appartient.
28. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le document unilatéral soumis au contrôle de l'administration comporte des mesures de reclassement interne à la société L'Amy, notamment sur des postes d'ingénieurs commerciaux nouvellement créés ainsi qu'au sein des sociétés du groupe, et des mesures de reclassement externe. En vue du reclassement externe, le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit la recherche de postes dans des sociétés exerçant une activité connexe ou similaire, des aides à la création ou à la reprise d'entreprise de 2 000 euros portées à 3 000 euros pour les salariés en difficultés, des aides à la formation de 2 000 euros portées à 2 400 euros pour les salariés en difficulté, avec une possibilité de dépassement de ce plafond, sur décision de la commission de suivi. Contrairement à ce que font valoir Mme AK... et les autres salariés, eu égard à la situation économique de la société L'Amy, dont les comptes de résultats étaient négatifs en 2020 et dont le redressement a été converti en liquidation judiciaire en décembre 2020, les mesures financières, qui au demeurant ont bénéficié d'un abondement du groupe, ne sont pas insuffisantes au regard des moyens de la société. Si l'annexe 2 relative aux sociétés à interroger pour le reclassement externe a été transmise vierge à l'administration, il ne saurait être déduit de cette seule circonstance que les mesures prévues au titre du reclassement externe seraient insuffisantes alors que le plan recense les mesures que l'employeur s'engage à mettre en oeuvre. Dans ces conditions, en homologuant ce plan, l'administration n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du travail.
29. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen d'irrégularité du jugement soulevé par la société L'Amy, que cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 5 août 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Bourgogne-Franche-Comté a homologué le document unilatéral valant plan de sauvegarde de l'emploi de la société.
Sur les frais liés à l'instance :
30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par Mme AK... et autres et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que présente la société L'Amy sur le même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 22 décembre 2020, est annulé.
Article 2 : La demande de Mme AK... et autres est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées, d'une part, par la société L'Amy et, d'autre part, par Mme AK... et autres sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me Q... pour la SCP Pascal Leclerc, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société L'Amy, en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, à Me AG... pour Mme AD... AK... en application des dispositions des articles R. 751-3 du code de justice administrative et 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
N° 21NC00477 11