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04/05/2021 | FRANCE | N°18NC01162

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 mai 2021, 18NC01162


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un déféré, le préfet de la Moselle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le protocole transactionnel conclu le 10 juillet 2015 entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société NC Numéricable ainsi que ses annexes.

Par un jugement n° 1505433 du 7 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 avril 2018, 1er octobre 2020, 16 février e

t 9 mars 2021, la société SFR Fibre, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un déféré, le préfet de la Moselle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le protocole transactionnel conclu le 10 juillet 2015 entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société NC Numéricable ainsi que ses annexes.

Par un jugement n° 1505433 du 7 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 avril 2018, 1er octobre 2020, 16 février et 9 mars 2021, la société SFR Fibre, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 7 février 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) à titre principal, de constater l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître du présent litige ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande présentée par le préfet de la Moselle devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

4°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître du présent litige ;

- le déféré préfectoral est irrecevable en ce qui concerne la convention d'usage annexée au protocole transactionnel ;

- le prix de cession des câbles et accessoires n'est pas constitutif d'une libéralité de la part de la commune, dès lors que le recours à la valeur nette comptable constituait une méthode d'évaluation des biens cédés, que la valeur des biens cédés n'avait pas à tenir compte de leur éventuelle modernisation ultérieure, le réseau litigieux étant d'ailleurs obsolète et non modernisé et que la valorisation du réseau retenue par le jugement attaqué est erronée ;

- le prix de cession du réseau de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes est celui qui résulte du jeu normal de l'offre et de la demande ;

- la valorisation proposée par les services de l'Etat est erronée quant aux paramètres retenus.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2018, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaître du présent litige ;

- il demandait expressément l'annulation du protocole transactionnel et de ses annexes, dont la convention d'usage, au tribunal administratif ;

- la valeur nette comptable ne correspond pas à la valeur de marché ;

- l'opérateur peut faire des économies de coût de modernisation du réseau en réutilisant les terminaisons coaxiales existantes et dispose ainsi d'un avantage économique par rapport à ses concurrents ;

- la valorisation des biens cédés doit tenir compte du potentiel de réutilisation du réseau existant ;

- l'obsolescence du réseau actuel n'est pas établie ;

- la valeur de cession du réseau a été délibérément sous-évaluée ;

- la transaction méconnaît l'intérêt général.

La procédure a été communiquée à la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grenier, présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour la société SFR Fibre.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société Lorraine-Citévision ont signé, le 14 décembre 1988, une convention d'une durée de trente ans en vue de la réalisation et de l'exploitation d'un réseau câblé de distribution de services de télévision sur le territoire de la commune. Face aux difficultés de commercialisation de ce réseau, la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société NC Numéricable, venue aux droits de la société Lorraine-Citévision, ont décidé de résilier cette convention de manière anticipée à compter du 1er mai 2015 par un protocole transactionnel conclu le 10 juillet 2015. Le préfet de la Moselle a demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation de ce protocole transactionnel. Par un jugement du 7 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le protocole transactionnel du 10 juillet 2015, y compris ses annexes. La société SFR Fibre, qui vient aux droits de la société NC Numéricable, demande l'annulation de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La transaction conclue par une personne morale de droit public, est, en principe, un contrat de nature civile, sauf si elle met en oeuvre des prérogatives de puissance publique ou aboutit à la participation du cocontractant à une mission de service public. Sous cette réserve, l'homologation de la transaction et les litiges nés de son exécution relèvent de la compétence du juge judiciaire, hormis le cas où il est manifeste que les différends qui s'y trouvent compris ressortissent principalement à la compétence du juge administratif. La convention de transaction ayant pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente est en effet un contrat administratif.

3. La convention de délégation de service public conclue le 14 décembre 1988 entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société Lorraine-Citévision, qui avait pour objet la réalisation et l'exploitation du réseau câblé de distribution sur le territoire de la commune, constituait un contrat administratif. Le protocole transactionnel du 10 juillet 2015, qui a pour objet de définir les conditions de la résiliation anticipée de ce contrat, relève, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative.

4. La convention d'usage, annexée au protocole transactionnel, qui autorise l'occupation du domaine public, ressortit également à la compétence de la juridiction administrative.

5. Il résulte de ce qui précède que l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée à titre principal par la société SFR Fibre doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :

6. Selon l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Aux termes de l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Ainsi que le prévoit l'article 2044 du code civil et sous réserve qu'elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l'administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit ".

7. Pour déterminer si l'acte par lequel une collectivité publique cède à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur est, pour ce motif, entaché d'illégalité, il incombe au juge de vérifier s'il est justifié par des motifs d'intérêt général. Si tel est le cas, il lui appartient ensuite d'identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c'est-à-dire les avantages que, eu égard à l'ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s'assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité. Il doit, enfin, par une appréciation souveraine, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé.

8. L'article 3 du protocole transactionnel du 10 juillet 2015 prévoit la cession à la société NC Numéricable de l'ensemble des biens et équipements constituant le réseau câblé de la commune, à l'exception des ouvrages de génie civil constitués par les chambres de tirage et les fourreaux. Ces équipements - câbles, connecteurs, coffrets et autres accessoires - énumérés à l'annexe n° 2 à ce protocole sont cédés à la société NC Numéricable à leur valeur nette comptable, soit 32 424 euros. Pour annuler ce protocole transactionnel, le jugement attaqué relève que la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes a ainsi cédé à la société NC Numéricable des équipements de son réseau câblé à un prix inférieur à leur valeur sans qu'aucun motif d'intérêt général ne le justifie, cette cession constituant, en conséquence, une libéralité.

9. En cas de contestation relative à la valeur d'un bien faisant l'objet d'une cession, l'appréciation de cette valeur s'opère, soit au regard des transactions intervenues dans des conditions équivalentes (méthode dite " des comparables "), soit en utilisant les méthodes d'évaluation qui permettent d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné, à la date de la cession, le jeu normal de l'offre et de la demande. Une telle évaluation ne saurait exclure, par principe, que le bien soit évalué à sa valeur nette comptable, par comparaison avec d'autres cessions similaires ou encore par la méthode d'actualisation des cash-flows futurs qui prend en compte les potentialités de reconversion ou de modernisation du réseau.

10. D'une part, il résulte de l'instruction que les parties au protocole transactionnel ont fixé, à l'article 3, le prix de cession de l'ensemble des câbles du réseau et de leurs accessoires à la somme de 32 424 euros correspondant à sa valeur nette comptable, en prenant notamment en compte la renonciation de la société NC Numéricable à demander une indemnisation pour les biens de retour et la suppression du régime d'exclusivité dont elle bénéficiait pour l'exploitation du réseau construit à ses frais. Pour annuler ce protocole, le tribunal administratif de Strasbourg a, par le jugement attaqué, estimé que la valeur vénale des équipements cédés ne pouvait, selon l'estimation réalisée par la direction nationale d'interventions domaniales (DNID) du ministère des finances et des comptes publics en application de la méthode dite d'actualisation des cash-flows futurs, être fixée à un montant inférieur à 235 000 ou 240 000 euros, dont il convient de déduire le coût d'accès aux infrastructures de génie civil. Le tribunal a relevé que la société NC Numéricable avait la possibilité de moderniser le réseau câblé existant en y installant la fibre optique, soit en remplaçant uniquement le " coeur de réseau " selon la solution de déploiement du réseau au plus proche des abonnés (solution dite " FTTLA " ou " dernier élément actif du réseau "), soit en modernisant les terminaisons coaxiales selon la technologie dite " fibre au pied de l'immeuble " (" FTTB ") avec raccordement par le câble coaxial du réseau de télévision par câble. De telles solutions permettent d'offrir un accès très haut débit en réutilisant les équipements existants du réseau câblé avec des investissements moindres que ceux qu'impliquerait la réalisation d'un nouveau réseau en fibre optique permettant également d'offrir un accès au très haut débit. En outre, alors que la réalisation d'un réseau en fibre optique suppose la réalisation de travaux dans le logement même des particuliers ou autres locaux à raccorder à la fibre optique, tel n'est pas le cas pour la modernisation d'un réseau câblé existant dans lequel les branchements dans les locaux existent déjà. Le tribunal a ainsi estimé que la méthode proposée par l'Etat pour déterminer la valeur du réseau, soit le produit entre la valeur d'un branchement unitaire, déjà existant et le nombre de prises susceptibles d'être raccordées au réseau, n'était pas inappropriée et permettait de démontrer que le montant de la cession du réseau fixé par la transaction était bien inférieur à sa valeur marchande.

11. Toutefois, alors même que le préfet de la Moselle relève, à juste titre, que la société Numéricable ne pouvait prétendre au versement d'une indemnité pour imprévision, dès lors que la suppression de l'exclusivité dont disposait la société Numéricable pour l'exploitation du réseau câblé de la commune ne résulte que de l'application de la loi du 9 juillet 2004, il résulte de l'instruction que la méthode dite d'actualisation des cash-flows futurs sur laquelle s'est fondée la DNID pour évaluer la valeur du réseau dans sa note du 19 juillet 2018, qui a été retenue par le jugement attaqué, repose sur plusieurs paramètres ainsi que des hypothèses relatives aux coûts de modernisation du réseau ou encore à la possibilité de le revendre à une échéance de 25 ans qui sont sérieusement contestés par la société SFR Fibre au moyen de notes technico-financières. Cette derrière relève également, sans être sérieusement contestée, que la valeur des biens cédés ne saurait être évaluée, le cas échéant, qu'à partir du nombre de prises effectivement raccordées, soit 142 en 2013 et non à partir du nombre de prises théoriquement raccordables, soit 2163 en 2013, dès lors que ces dernières ne sont pas effectivement en service mais nécessiteraient une intervention dans les locaux des intéressés pour être utilisées et que la commercialisation des prises " raccordables " mais non effectivement raccordées à un abonné ne peut, en conséquence, être regardée comme certaine. La société SFR Fibre fait, en outre, valoir sans être contestée qu'au cours de plusieurs réunions de travail, la DNID a accepté de revoir certains des paramètres sur lesquels son évaluation de juillet 2018 était fondée et qu'ainsi la valeur vénale de 235 000 à 240 000 euros résultant de la note de juillet 2018 devrait être actualisée. Cependant en dépit de mesures d'instruction et des critiques circonstanciées de la société SFR Fibre contestant le modèle d'évaluation par la méthode des " cash-flows futurs ", aucune actualisation de la note de la DNID de juillet 2018 n'a été produite. Par suite, le préfet de la Moselle ne démontre pas, ainsi qu'il lui incombe, que cette méthode, au regard des incertitudes entourant les paramètres d'actualisation retenus, permettrait d'établir que la valeur du réseau demeurerait supérieure à celle qu'ont retenue les parties dans le protocole transactionnel litigieux.

12. D'autre part, le jugement attaqué a relevé, ainsi qu'il a été dit, que la valeur nette comptable du réseau retenue dans la transaction ne prenait pas en compte l'avantage concurrentiel procuré à la société Numéricable par le potentiel de modernisation du réseau câblé de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes, comme le faisait valoir le préfet de la Moselle en invoquant une évaluation réalisée par les services de l'Etat à partir notamment de données fournies par la société Polymag. La société SFR Fibre relève toutefois, sans être contestée, que le réseau câblé de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes est un réseau analogique construit en 1998 qui n'offre que des services de télévision (réseau " monoplay ") et n'est pas modernisé. Elle fait valoir que les câbles et équipements existants ne peuvent être réutilisés en l'état. Dans le dernier état de ses écritures, la société SFR Fibre établit d'ailleurs avoir effectué, au 31 décembre 2020, des investissements d'un montant de 770 446 euros hors taxes pour moderniser le réseau câblé de la commune en réalisant un réseau de transport et de distribution en fibre optique et en modernisant le réseau coaxial existant. Elle soutient également que dans le contexte du développement de la fibre et du réseau mobile 5G, un réseau câblé tel que celui en litige ne pourra pas être revendu et risque une obsolescence rapide. Il résulte à cet égard des notes technico-financières produites par la société SFR Fibre qu'elle ne se porte désormais plus acquéreur de réseaux câblés non modernisés et non rentables mais privilégie une stratégie de développement de la fibre optique. Il résulte d'ailleurs de l'instruction qu'aucun acquéreur autre que Numéricable ne s'est déclaré intéressé par la reprise de réseaux câbles lorsque leur cession a fait l'objet de procédures de mise en concurrence dans d'autres communes. Il n'est ainsi pas établi que la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes aurait été en mesure de céder, à un montant supérieur à celui fixé par la convention en litige, les éléments du réseau câblé faisant l'objet du protocole litigieux à une autre société que la requérante, auquel cas elle aurait dû elle-même exploiter ce réseau obsolète. Par suite, en se basant sur les données fournies par la société Polymag, qui se fonde sur un réseau déjà modernisé en " FTTLA " proposant une offre " triple play " (téléphonie, télévision et internet à haut débit) et non sur un réseau analogique non modernisé tel que celui en l'espèce, le préfet de la Moselle ne démontre pas, ainsi qu'il lui incombe, que la valeur des biens cédés à la société SFR Fibre serait supérieure à celle retenue par le protocole transactionnel.

13. Pour sa part, la société SFR Fibre fait état de trois cessions sur des réseaux comportant des caractéristiques techniques similaires à celui de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes avec des prix de cession respectivement de 4,25 euros par prise pour la commune de Laon Plage, de 7,38 euros par prise pour la commune de Saint-Avold et de 25 euros par prise pour celle de Grande Synthe. Le prix de cession retenu dans le cadre du protocole transactionnel du 10 juillet 2015 s'élève à 15,05 euros par prise, soit un prix de cession supérieur à la moyenne de ces trois conventions. A cet égard, le préfet de la Moselle ne peut sérieusement se prévaloir, pour leur contester toute valeur probante, de la seule circonstance que la société SFR Fibre ou l'une de ses filiales, était partie à l'ensemble de ces transactions dont il n'est pas établi qu'elles n'auraient pas été régulièrement négociées et conclues avec les différentes collectivités concernées.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société SFR Fibre est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a estimé que le prix de cession du réseau câblé de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes avait été fixé, par le protocole transactionnel du 10 juillet 2015, à un niveau inférieur à la valeur réelle de ce réseau et qu'en l'absence de motif d'intérêt général, il révélait une libéralité constitutive d'une illégalité.

15. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le préfet de la Moselle devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur les autres moyens soulevés par le préfet de la Moselle :

En ce qui concerne le recours à un protocole transactionnel :

16. En premier lieu, le préfet de la Moselle ne saurait utilement se prévaloir de l'absence de mise en oeuvre de la procédure de conciliation prévue par l'article 28 du cahier des charges annexé à la convention du 14 décembre 1988, auquel l'article 19 du même cahier des charges renvoie, dès lors que ces dernières stipulations ne portent pas sur la résiliation amiable de la convention mise en oeuvre en l'espèce et ne sauraient, en tout état de cause, faire obstacle à la conclusion d'une transaction.

17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction d'une part, que la convention conclue le 14 décembre 1988 entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société Lorraine-Citévision pour une durée de trente ans, prévoyait, en contrepartie de la construction du réseau câblé aux frais de la société, une exclusivité totale de celle-ci pour l'exploitation de ces installations. Cependant, les dispositions de l'article 134 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle prévoient que, pour assurer le respect du principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques, l'utilisation partagée des infrastructures publiques de génie civil entre opérateurs de communications électroniques doit être assurée. Ces dispositions imposent la mise en conformité, sur ce point, des conventions conclues par les communes ou leurs groupements pour l'établissement et l'exploitation des réseaux câblés, telles que celle de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes. D'autre part, le taux de commercialisation prévu par les stipulations contractuelles n'a pas été atteint, dès lors que les services offerts par la société NC Numéricable ont été concurrencés, dans le contexte d'un marché en rapide évolution technologique, par d'autres offres d'accès à plusieurs chaines de télévision, telles que les bouquets satellites, les offres diffusées par le réseau téléphonique ou encore la télévision numérique terrestre. Le nombre d'abonnés de la société NC Numéricable a ainsi chuté de 339 en 2009 à 126 en 2014, entraînant des pertes d'exploitation importantes. Par suite, alors qu'il est toujours loisible aux parties à un contrat d'y mettre fin de manière anticipée, la transaction en litige, justifiée tant par la modification du cadre juridique applicable à ces conventions que par un taux de pénétration inférieur à celui prévu par les stipulations contractuelles, a un objet licite. En prévoyant les conditions financières de la cessation de relations contractuelles, elle a en outre bien pour conséquence de prévenir toute contestation à naître sur ce point au sens de l'article 2044 du code civil cité au point 6 du présent arrêt.

18. En dernier lieu, ainsi qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration cité au point 6 du présent arrêt, une transaction est caractérisée notamment par des concessions réciproques entre les parties. En contrepartie de la cession d'un réseau obsolète dont elle n'avait aucune garantie de cession à un meilleur prix, la commune est dispensée du paiement à minima de l'indemnité des biens de retours, obtient par la convention annexe au protocole transactionnel que la société Numéricable continue d'entretenir les ouvrages de génie civil et évite un contentieux sur les conditions de la cessation de la délégation de service public. Il en résulte que le protocole transactionnel comporte des concessions réciproques qui n'apparaissent pas manifestement déséquilibrées au détriment de l'une ou l'autre partie.

19. Par suite, le moyen tiré de ce que le recours à une transaction serait illégal doit être écarté.

En ce qui concerne l'aliénation de biens appartenant au domaine public de la commune :

20. Il résulte des stipulations mêmes de l'article 3 du protocole transactionnel litigieux que les équipements et accessoires du réseau mentionnés à l'annexe n° 2 ne sont cédés à la société SFR Fibre qu'après désaffectation de ces biens et incorporation au domaine privé communal, ce qui a d'ailleurs fait l'objet d'une délibération du 26 mars 2015 du conseil municipal. Les ouvrages de génie civil qui appartiennent au domaine public communal n'ont pas été cédés à la société Numéricable, mais font l'objet d'une mise à disposition non exclusive selon les modalités fixées par la convention d'usage annexée au protocole transactionnel. Par suite, le préfet de la Moselle n'est pas fondé à soutenir que le protocole transactionnel conduirait à l'aliénation de biens relevant du domaine public et aurait pour objet de transférer des biens qui appartiennent au domaine public à la société Numéricable.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la transaction serait constitutive d'une aide d'Etat :

21. Aux termes de l'article 107, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. " Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 à 14 du présent arrêt, la cession des équipements et accessoires du réseau câblé à la société Numéricable ne se traduit par aucune dépense supplémentaire ou atténuation de recettes pour la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes. Elle ne saurait dès lors, contrairement à ce que soutient le préfet, être regardée comme une aide accordée par l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Pour les mêmes motifs, en l'absence d'aide accordée à la société Numéricable pour moderniser son réseau, elle n'a ni pour objet, ni pour effet de procurer un avantage concurrentiel à cette société de nature à affecter les échanges entre Etats membres. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions relatives aux aides d'Etat résultant du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou des règles de la concurrence issues du droit de l'Union européenne doit être écarté.

En ce qui concerne la convention d'usage :

S'agissant de l'accès des tiers au réseau câblé de la commune :

22. Aux termes de l'article 134 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle : " (...) Afin de veiller au respect du principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques, les modalités de mise en conformité garantissent l'utilisation partagée des infrastructures publiques de génie civil entre opérateurs de communications électroniques. / A cet effet, la commune ou le groupement de communes peut décider de mettre ces infrastructures à la disposition des opérateurs qui le demandent. Dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision, l'exploitant du réseau câblé fait droit aux demandes d'accès des opérateurs aux infrastructures. Il permet à la commune ou au groupement de communes de vérifier l'état des infrastructures et lui fournit à cet effet les informations nécessaires. L'accès est fourni dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires. Il fait l'objet d'une convention entre la commune ou le groupement de communes, l'exploitant du réseau câblé et l'opérateur demandeur. Cette convention détermine les conditions techniques et financières de l'accès. Elle est communiquée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande. / En cas de refus d'accès opposé par l'exploitant du réseau câblé à un opérateur à l'issue du délai mentionné au troisième alinéa, la commune ou le groupement de communes peut prendre la pleine jouissance des infrastructures, après mise en demeure dans le respect d'une procédure contradictoire. La commune ou le groupement de communes accorde à l'exploitant une indemnité ne pouvant excéder la valeur nette comptable des actifs correspondant à ces infrastructures, financés par l'exploitant, déduction faite, le cas échéant, des participations publiques obtenues. L'exploitant du réseau câblé conserve un droit d'occupation des infrastructures pour l'exploitation du réseau existant à un tarif raisonnable (...) ".

23. L'article 7 intitulé " absence d'exclusivité / disponibilité " de la convention de droit d'usage à long terme des installations de génie civil, qui constitue l'annexe n° 4 du protocole transactionnel conclu entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société NC Numéricable, stipule que : " La Convention ne confère aucune exclusivité à l'Opérateur, en sorte que la Commune se réserve le droit de conclure et/ou d'accorder éventuellement d'autres autorisations de même portée sur tout ou partie de ses Installations de Génie Civil. / L'appréciation de la disponibilité des Installations de Génie Civil concernées fera l'objet à chaque demande d'autorisation d'un tiers d'un accord entre les Parties. ".

24. Ces stipulations, qui doivent nécessairement être interprétées dans le cadre défini par l'article 134 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, n'ont ni pour objet, ni pour effet de conférer à la société Numéricable, aux droits de laquelle vient désormais la société SFR Fibre, le droit de s'opposer à une demande d'accès aux installations de génie civil de la commune par un tiers. Elles ont pour unique objet de permettre à la commune de vérifier, auprès de la société SFR Fibre, la disponibilité des infrastructures nécessaires.

25. Par suite, le moyen tiré de ce que l'accès des tiers aux infrastructures de génie civil de la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes ne serait pas assuré doit être écarté.

S'agissant du montant des redevances dues :

26. Aux termes de L. 45-9 du code des postes et des communications électroniques : " Les exploitants de réseaux ouverts au public bénéficient d'un droit de passage, sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier, à l'exception des réseaux et infrastructures de communications électroniques, et de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l'article L. 48, dans les conditions indiquées ci-après. / Les autorités concessionnaires ou gestionnaires du domaine public non routier peuvent autoriser les exploitants de réseaux ouverts au public à occuper ce domaine, dans les conditions indiquées ci-après. / L'occupation du domaine public routier ou non routier peut donner lieu au versement de redevances aux conditions prévues aux articles L. 46 et L. 47. / Le prix facturé pour l'occupation ou la vente de tout ou partie de fourreaux reflète les coûts de construction et d'entretien de ceux-ci (...). ". Selon l'article L. 46 du même code : " (...) La convention donnant accès au domaine public non routier ne peut contenir de dispositions relatives aux conditions commerciales de l'exploitation. Elle peut donner lieu à versement de redevances dues à l'autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné dans le respect du principe d'égalité entre les opérateurs. Ces redevances sont raisonnables et proportionnées à l'usage du domaine. ". L'article R. 20-51 du même code énonce que : " Le montant des redevances tient compte de la durée de l'occupation, de la valeur locative de l'emplacement occupé et des avantages matériels, économiques, juridiques et opérationnels qu'en tire le permissionnaire (...) ".

27. D'une part, l'article 9 de la convention de droit d'usage à long terme des installations de génie civil, annexée au protocole transactionnel conclu entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société NC Numéricable fixe la redevance d'usage des installations de génie civil en fonction de la longueur des fourreaux occupés selon un tarif dégressif. L'article 6 de cette même convention stipule que la société NC Numéricable assurera le coût de la maintenance correspondant à l'entretien usuel des installations de génie civil. Par suite, le préfet de la Moselle n'est pas fondé à soutenir que la redevance aurait été fixée en méconnaissance de l'article L. 45-9 du code des postes et communications électroniques, faute pour les prix facturés de comprendre les coûts de construction et d'entretien des fourreaux, ces derniers étant directement pris en charge par l'opérateur qui a lui-même construit le réseau de la commune.

28. D'autre part, en se bornant à soutenir que le tarif d'utilisation des infrastructures de génie civil est habituellement plus élevé que celui pratiqué par la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et s'établit usuellement à un euro par mètre linéaire par an sans dégressivité aussi forte que celle pratiquée par la commune, le préfet de la Moselle n'établit pas que les tarifs résultant de l'article 9 de la convention de droit d'usage à long terme des installations de génie civil serait de nature à procurer un avantage concurrentiel discriminatoire à la société SFR Fibre. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que le montant des redevances résultant des barèmes fixés par la convention ne serait pas raisonnable et proportionné à l'usage que la société est susceptible de faire des installations de génie civil.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la demande du préfet de la Moselle qui tendait, contrairement à ce que fait valoir la société SFR Fibre, à l'annulation tant du protocole transactionnel conclu le 10 juillet 2015 entre la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes et la société NC Numéricable que de ses annexes doit être rejetée.

Sur les frais liés à l'instance :

30. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société SFR Fibre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 27 février 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La demande présentée par le préfet de la Moselle devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à la société SFR Fibre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société SFR Fibre, au ministre de l'intérieur et à la commune de Sainte-Marie-aux-Chênes.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Moselle.

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N° 18NC01162


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Biens des collectivités territoriales.

Juridictions administratives et judiciaires.

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Diverses sortes de contrats.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : FELDMAN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 04/05/2021
Date de l'import : 25/05/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18NC01162
Numéro NOR : CETATEXT000043511507 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-05-04;18nc01162 ?
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