La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/04/2021 | FRANCE | N°20NC02084

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 13 avril 2021, 20NC02084


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Les Vigneux a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 255 560 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des inondations survenues sur le territoire de la commune de Buchères en 2013.

Par un jugement n° 1502424 du 1er août 2017, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC02351 du 4 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'app

el formé par la SCI Les Vigneux contre ce jugement.

Par une décision n° 425969 du 22 juillet ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Les Vigneux a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 255 560 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des inondations survenues sur le territoire de la commune de Buchères en 2013.

Par un jugement n° 1502424 du 1er août 2017, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17NC02351 du 4 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la SCI Les Vigneux contre ce jugement.

Par une décision n° 425969 du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il se prononce sur la responsabilité de l'Etat du fait de la carence alléguée du préfet dans l'usage de ses pouvoirs de police et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour.

Procédure devant la cour après renvoi :

Par un mémoire, enregistré le 30 novembre 2020, le ministère de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le préfet n'a pas commis de faute dans l'exercice des pouvoirs qu'il détient de l'article L.215-7 du code de l'environnement ;

- à supposer même que l'Etat ait commis une faute, cette circonstance ne saurait être regardée comme ayant eu pour effet de contribuer, même de manière indirecte, à la survenance des dommages dont se prévaut la SCI Les Vigneux ;

- l'Etat ne peut être tenu responsable de la carence de l'ensemble des acteurs responsables de la gestion des cours d'eau non domaniaux ;

- la société requérante ne démontre pas l'existence du préjudice invoqué ;

- l'estimation du préjudice effectuée par la société requérante n'a aucun lien avec le préjudice qu'elle a subi puisque le rapport d'expert se borne à calculer la différence entre la valeur vénale des bâtiments selon qu'ils présenteraient ou non un risque d'inondation.

Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2021, la SCI Les Vigneux, représentée par Me A..., demande à la cour ;

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er août 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 255 560 euros en réparation du préjudice subi du fait des inondations ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'absence de surveillance et d'entretien des cours d'eau par le préfet, dans l'exercice des pouvoirs de police qu'il tient de l'article L.215-7 du code de l'environnement, est à l'origine des dommages qu'elle a subis ;

- il appartenait à l'Etat, en vertu du 3° de l'article L.2215-1 du code général des collectivités territoriales de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sureté, la sécurité et la salubrité dont le champ d'application excède le territoire d'une commune ;

- la faute de l'Etat est établie ainsi que son caractère dommageable ;

- son préjudice, estimé à 1 255 560 euros, est avéré car sa propriété a perdu de la valeur du fait que son terrain est exposé à un risque important d'inondation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI Les Vigneux est propriétaire de terrains comportant notamment un bâtiment à usage d'entrepôt situé 2 route de Verrières à Buchères dans le département de l'Aube. A la suite d'un débordement de la Seine sur une partie de son cours où elle n'a pas le caractère d'un cours d'eau domanial, les terrains appartenant à la société Les Vigneux ont été inondés. Cette société a demandé au juge administratif la réparation des préjudices subis en invoquant la responsabilité pour faute de l'Etat. Ses conclusions ayant été rejetées par un jugement du 1er août 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et, sur appel de la société, par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 4 octobre 2018, elle s'est pourvue en cassation contre cet arrêt. Son pourvoi n'a été admis, par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 6 mai 2019, qu'en tant qu'il demande l'annulation de l'arrêt en tant qu'il se prononce sur la responsabilité de l'Etat du fait de la carence alléguée du préfet dans l'usage de ses pouvoirs de police. Par une décision du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il se prononce sur la responsabilité de l'Etat du fait de la carence alléguée du préfet dans l'usage de ses pouvoirs de police et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.

2. D'une part, l'article L. 215-2 du code de l'environnement dispose que : " le lit des cours d'eau non domaniaux appartient aux propriétaires des deux rives (...) " et l'article L. 215-4 du même code pose le principe de l'entretien des cours d'eau non domaniaux par les propriétaires riverains, en précisant, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, que : " (...) L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique (...) notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives ". Enfin, l'article L. 215-16 du même code dispose que : " Si le propriétaire ne s'acquitte pas de l'obligation d'entretien régulier qui lui est faite par l'article L. 215-14, la commune, le groupement de communes ou le syndicat compétent, après une mise en demeure restée infructueuse à l'issue d'un délai déterminé dans laquelle sont rappelées les dispositions de l'article L. 435-5, peut y pourvoir d'office à la charge de l'intéressé ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 215-7 du code de l'environnement : " L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux (...) ". Et aux termes de l'article L. 215-12 du même code : " Les maires peuvent, sous l'autorité des préfets, prendre toutes les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que ni l'Etat ni les collectivités territoriales ou leurs groupements n'ont l'obligation d'assurer la protection des propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux contre l'action naturelle des eaux, cette protection incombant, en vertu des dispositions de l'article L. 215-14 du code de l'environnement, au propriétaire riverain qui est tenu à un entretien régulier du cours d'eau non domanial qui borde sa propriété, l'article L. 215-16 du même code permettant seulement à la commune, au groupement de communes ou au syndicat compétent de pourvoir d'office à l'obligation d'entretien régulier, à la place du propriétaire qui ne s'en est pas acquitté et à sa charge. Toutefois, en vertu des pouvoirs de police qui lui sont confiés par les dispositions de l'article L. 215-7 du code de l'environnement citées au point 3, il appartient au préfet de prendre toutes dispositions nécessaires au libre cours des eaux, le maire pouvant, sous l'autorité de celui-ci, prendre également les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau en application des dispositions de l'article L. 215-12 du même code.

5. Par suite, en cas de dommages causés aux propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux du fait de l'action naturelle des eaux, sans préjudice de la responsabilité qu'il peut encourir lorsque ces dommages ont été provoqués ou aggravés par l'existence ou le mauvais état d'entretien d'ouvrages publics lui appartenant, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par une faute commise par le préfet dans l'exercice de la mission qui lui incombe, en vertu de l'article L. 215-7 du code de l'environnement, d'exercer la police des cours d'eau non domaniaux et de prendre toutes les dispositions pour y assurer le libre cours des eaux.

6. Il résulte de l'instruction et notamment du courrier de la direction départementale du territoire du 11 juin 2013 adressée à la SCI Les Vigneux que les débordement qu'elle a subis en mai 2013 sont " imputables à un concours de circonstances distinct du débordement classique et qu'a été identifié un mauvais entretien des cours d'eau, une quasi-absence de gestion des ouvrages hydrauliques en amont ainsi que la présence d'obstacles sur les axes d'écoulement, ce qui a engendré une dérivation de l'onde de crue vers des terrains " et notamment celui de la société requérante. Par suite, alors que l'Etat ne soutient même pas avoir fait les diligences nécessaires pour assurer le libre cours des eaux, en empêchant les obstacles de se créer sur ceux-ci ou en contraignant les propriétaires riverains des cours d'eau non domaniaux à procéder à leur entretien, la SCI Les Vigneux est fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police au regard des dispositions de l'article L. 215-7 du code de l'environnement en n'assurant pas le libre cours des eaux. Cette faute est de nature à ouvrir un droit à réparation au profit de la requérante des préjudices qui en sont la conséquence directe.

7. La requérante sollicite l'indemnisation du préjudice lié à la perte de la valeur vénale de ses bâtiments du fait des inondations de mai 2013. Elle se réfère au rapport d'expertise de M. B..., expert près la cour d'appel de Reims en estimations immobilières, commerciales et locatives, qui a chiffré la perte de valeur des constructions en comparant une valeur immobilière sans risque d'inondation à une valeur immobilière compte tenu du risque d'inondation, aboutissant à une perte de valeur vénale de 1 255 560 euros.

8. Toutefois, alors qu'au surplus, les inondations survenues en 2013 n'ont pas donné lieu à un changement de classement des parcelles de la société qui étaient déjà classées en partie en zone rouge et en partie en zone bleue, c'est-à-dire en zones inondables dans le plan de prévention des risques inondations approuvé par un arrêté préfectoral du 16 juillet 2001, le préjudice invoqué par la SCI Les Vigneux de la perte de la valeur vénale de ses bâtiments qui aurait pour cause la situation de ses bâtiments dans une zone soumise à un risque d'inondation, est, contrairement aux allégations de la société requérante, sans lien avec la faute commise par l'Etat au titre de la police des cours d'eau non domaniaux au cours des inondations de mai 2013. Par suite, la SCI Les Vigneux n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 255 560 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, la SCI Les Vigneux n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SCI Les Vigneux demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Les Vigneux est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... pour la SCI Les Vigneux en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et à la ministre de la transition écologique.

2

N° 20NC02084


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02084
Date de la décision : 13/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Alsace-Moselle - Professions - Commerce - Industrie.

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Actes des autorités administratives concernant les biens privés - Voie de fait et emprise irrégulière.

Energie - Lignes électriques - Servitudes pour l'établissement de lignes électriques.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics - Existence de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : HONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-04-13;20nc02084 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award