Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2018 par lequel le maire de la commune d'Ottmarsheim l'a suspendue de ses fonctions, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cet arrêté, d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2018 par lequel la même autorité a prononcé son licenciement sans préavis ni indemnité pour motif disciplinaire et d'annuler la décision implicite par laquelle elle a refusé de la placer en congé de maladie et de lui verser son traitement à compter du 16 juillet 2016.
Par un jugement n° 1806888 du 11 décembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions contestées.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 février et 30 octobre 2020, la commune d'Ottmarsheim, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1806888 du tribunal administratif de Strasbourg du 11 décembre 2019 en tant qu'il a annulé l'arrêté du 2 juillet 2018, la décision de rejet du recours gracieux formé contre cet arrêté et l'arrêté du 15 septembre 2018 ;
2°) de mettre à la charge de Mme F... la somme de 2 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que ses motifs se contredisent entre eux ;
- les griefs retenus à l'encontre de Mme F... sont fondés ;
- les griefs relatifs aux manquements de Mme F... aux règles de la commande publique caractérisent des fautes disciplinaires graves, et mêmes des infractions pénales, et non une simple insuffisance professionnelle ;
- la mesure de suspension de Mme F... était justifiée par l'intérêt du service et l'urgence, alors qu'elle passait des commandes à des entreprises sans le moindre engagement préalable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2020, Mme C... F..., représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune d'Ottmarsheim la somme de 2 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 2020-1406 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me B..., pour la commune d'Ottmarsheim et de Me E... pour Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat du 28 mars 2017, Mme F... a été recrutée par la commune d'Ottmarsheim, pour exercer les fonctions de responsable de la communication. Conclu pour une durée d'une année à compter du 9 mai 2017, le contrat a, le 16 mai 2018, été prolongé jusqu'au 30 novembre 2018. Toutefois, par un arrêté du 2 juillet 2018, le maire de la commune d'Ottmarsheim a suspendu Mme F... de ses fonctions pendant une durée de deux mois, puis a implicitement rejeté le recours gracieux formé par l'intéressée le 13 juillet 2018, avant de prononcer, par un arrêté du 15 septembre 2018, son licenciement pour motif disciplinaire. En outre, il a implicitement rejeté la demande que lui a présentée Mme F..., le 1er août 2018, tendant à ce qu'elle soit placée en congé de maladie, à ce qu'il soit mis fin à la mesure de suspension et à ce que lui soit versée sa rémunération.
2. La commune d'Ottmarsheim relève appel du jugement du 11 décembre 2019, en tant que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 2 juillet 2018, la décision de rejet du recours gracieux formé contre cet arrêté et l'arrêté du 15 septembre 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. La commune d'Ottmarsheim fait valoir que le jugement indique, tout à la fois, que les faits reprochés à Mme F... caractérisent une insuffisance professionnelle et non des fautes disciplinaires et, en sens contraire, que certains de ces faits sont fautifs mais pas suffisamment graves pour justifier la mesure de licenciement contestée. Toutefois, la contradiction ainsi alléguée entre les motifs du jugement n'affecte pas sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la mesure de licenciement :
4. Aux termes de l'article 36 du décret n° 88-145 du 15 février 1988, susvisé, relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents non titulaires sont : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; / 4° Le licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. En premier lieu, il est reproché à Mme F... de n'avoir pas informé la commune de ses liens avec le gérant de la société Luence, à laquelle a été attribué, à l'issue d'une procédure de passation dont elle avait la charge, un marché public relatif à la création d'un site internet dédié au festival Octophonia devant se dérouler, en 2018 et 2019, dans l'Abbatiale d'Ottmarsheim. Il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre des activités artisanales accessoires de chocolatière qu'elle exerçait régulièrement, Mme F... entretenait, avec le gérant de cette société, un rapport professionnel certes cordial, mais non amical comme le fait valoir la commune. Néanmoins, il est constant qu'elle n'en a pas informé la commune ce qui, compte tenu notamment de la participation de cette société à la procédure de commande publique dont Mme F... avait la charge et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, ne peut qu'être regardé comme un manquement à ses obligations.
6. En deuxième lieu, il est reproché à Mme F... d'avoir, dans le cadre de la procédure de commande publique mentionnée au point précédent et dans le cadre de l'exécution du marché qui lui a été attribué, favorisé les intérêts de la société Luence au détriment de ceux de la commune.
7. D'une part, il est constant que Mme F... a rédigé le cahier des charges du marché, a fixé les critères de notation des offres et a procédé à l'analyse des trois offres reçues, en classant première celle de la société Luence. Toutefois, il est également constant qu'elle n'a pas pris part au comité de pilotage, organe collégial qui, le 15 novembre 2017, a recommandé de retenir la société Luence moyennant une modification de son offre et que la décision d'attribution du marché a été prise par le maire de la commune le 22 décembre 2017. Par ailleurs, la commune n'apporte aucun élément de nature à établir que Mme F... aurait biaisé ce choix en faveur de la société Luence, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a réalisé son travail de manière transparente, notamment en soumettant, le 4 août 2017, le cahier des charges à la validation de la directrice générale des services et en soumettant, le 13 octobre 2017, son analyse des offres à la chargée de mission marchés publics de la commune et à son référent informatique, lequel lui a confirmé, dans un courrier électronique du 25 octobre 2017, le bien-fondé de cette analyse. Dans ces conditions, il n'est pas établi que Mme F... aurait favorisé cette dernière pour l'attribution du marché.
8. D'autre part, il est reproché à Mme F... d'avoir, en dépit de plusieurs relances écrites de la directrice générale des services, tardé à contacter la société Luence pour obtenir les codes de son site internet, afin que la société BKN, attributaire du marché portant sur la campagne publicitaire du festival Octophonia puisse y accéder et en abonder le contenu. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme F..., saisie de cette demande le 1er juin 2018 en début de matinée, a immédiatement contacté la société Luence, et a informé le jour même, en début d'après-midi, la directrice générale des services de sa démarche et des risques techniques liés à l'intervention simultanée des deux fournisseurs sur le même site, ainsi que de la demande de la société Luence tendant à ce que la société BKN signe un accord de non-copie de son site avant d'en obtenir les codes d'accès. La directrice générale des services, dans sa réponse du 1er juin 2018 à ce courrier électronique, a refusé de tenir compte de cette contrainte technique et elle a continué à l'ignorer lors de ses multiples relances auprès de l'intéressée. En outre, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la société Luence a directement communiqué les codes d'accès, le 12 juin 2018, à la société BKN et à la directrice générale des services, cette dernière en a à nouveau demandé la communication à Mme F... le 13 juin 2018. Dans ces conditions, il n'est pas établi que Mme F... aurait privilégié les intérêts de la société Luence par rapport à ceux de la commune, ni qu'elle aurait à cette occasion fait preuve d'insubordination.
9. Il résulte de ce qui précède que le deuxième grief retenu par la commune à l'encontre de Mme F... n'est pas fondé.
10. En troisième lieu, il est reproché à Mme F... d'avoir méconnu les exigences fondamentales du droit de la commande publique en sollicitant verbalement des prestations d'entreprises sans support contractuel. La commune, qui ne fournit même pas d'indications précises sur les prestations et entreprises concernées, ne conteste pas les explications de Mme F... qui indique que le grief concerne des commandes passées auprès de la société BKN, titulaire du marché de communication relatif au festival Octophonia, mais pour des prestations non prévues par ce marché. Mme F... admet avoir passé ces commandes mais fait valoir, sans être contredite, que le marché, qui a été attribué pendant ses congés du 28 mars au 13 avril 2018, n'a pas repris certaines des prestations figurant dans la proposition budgétaire que la société BKN lui avait communiquée le 26 mars, avant son absence, en particulier les prestations dont elle a passé commande à son retour de congés. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme F..., qui n'était pas chargée de la procédure d'attribution de ce marché, mais seulement de sa gestion, ait été informée de ces modifications à son retour de congés, alors qu'elle soutient, là encore sans être contredite, que ces commandes devaient être effectuées rapidement pour la préparation du festival. Enfin, Mme F..., dont les lacunes et insuffisances en matière de gestion des marchés publics lui avaient valu un rappel à l'ordre de la part de la directrice générale des services, le 13 février 2018, justifie avoir, à l'invitation de cette dernière, immédiatement sollicité des formations en la matière, sans que la commune n'y donne suite. Compte tenu de ces circonstances, les faits reprochés à Mme F... ne sauraient être qualifiés de fautifs. Par conséquent, ce troisième grief retenu par la commune doit être écarté.
11. En quatrième lieu, il est reproché à Mme F... d'avoir " échangé avec un conseiller municipal d'opposition ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cet échange s'est limité à la réception, par Mme F..., dans sa boîte à lettre électronique professionnelle, d'un unique message transmis par ledit conseiller municipal, au contenu lapidaire et impersonnel, et relatif à un partage de fichiers dont la commune, qui pourtant a accédé à ce message, ne précise pas la nature. La commune ne démontre pas que Mme F... a sollicité ce message, ni qu'elle y aurait répondu. Dans ces conditions, les faits reprochés à Mme F... ne sauraient être qualifiés de fautifs. Par conséquent, ce quatrième grief retenu par la commune doit être écarté.
12. Si, dans ses écritures devant la cour, la commune fait également état de lacunes graves de la société Luence dans l'exécution de son marché, à l'égard desquelles Mme F... aurait preuve de passivité, elle n'apporte aucune précision au sujet des lacunes alléguées et, en tout état de cause, sa résistance à obtenir la communication des codes d'accès au site internet constitue le seul grief en lien avec l'exécution du marché que la commune a retenu pour fonder la sanction en litige. Celle-ci n'est pas non plus fondée sur " l'indigence " alléguée du cahier des charges du marché, qu'au demeurant Mme F... avait, ainsi qu'il a été dit au point 7, soumis à la directrice générale des services dès le 4 août 2017. La commune, qui fait également état de deux devis de la société Luence du 6 juillet 2018 pour des travaux prétendument réalisés en mai 2018, sans toutefois expliquer comment Mme F... aurait pu les valider et les faire payer alors qu'elle était suspendue de ses fonctions depuis le 2 juillet 2018, n'a pas non plus retenu ce grief au soutien de la sanction en litige. Par suite, la commune ne peut pas utilement faire valoir ces différentes considérations pour justifier cette sanction.
13. Il résulte de ce qui précède que la commune est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que Mme F... n'a pas commis de faute en s'abstenant de l'informer de ses relations avec le gérant de la société Luence. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette omission, dont aucune des incidences alléguées par la commune n'est établie, constitue par elle-même une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de Mme F.... Dès lors, la commune n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal a annulé l'arrêté du 15 septembre 2018 par lequel le maire a prononcé son licenciement pour motif disciplinaire. Par suite, ses conclusions tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé cet arrêté ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne la mesure de suspension et le rejet du recours gracieux de Mme F... contre cette décision :
14. Bien qu'aucun texte légal ou réglementaire ne la prévoie, la suspension d'un agent contractuel peut être prononcée, dans le souci de préserver l'intérêt du service, lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
15. Selon les énonciations de l'arrêté contesté, la suspension de Mme F... a été prononcée à la suite des alertes et des refus de décaissement de l'inspection des finances publiques faisant ressortir de graves anomalies dans la passation et la gestion des contrats de la commande publique en matière de communication relevant de la responsabilité de Mme F..., notamment les commandes verbales passées auprès d'entreprises strasbourgeoises pour des prestations non prévues dans des marchés. Il ressort des pièces du dossier que cet énoncé vague se rapporte, en réalité, uniquement aux commandes passées par Mme F... auprès de la société BKN, mentionnées au point 10. Compte tenu de leur caractère ponctuel et des circonstances mentionnées à ce même point, ces faits, que le courrier électronique de l'inspectrice des finances publique du 25 juin 2018 rendaient vraisemblables, ne présentaient toutefois pas, en l'espèce, une gravité suffisante pour justifier la mesure de suspension en litige.
16. Il résulte de ce qui précède que la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 2 juillet 2018 prononçant la suspension de Mme F... de ses fonctions et la décision de rejet du recours gracieux formé par l'intéressée contre cet arrêté. Par suite, les conclusions de la commune aux fins d'annulation du jugement attaqué ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme F..., qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Ottmarsheim la somme de 2 000 euros à verser à Mme F... en application de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de la commune d'Ottmarsheim est rejetée.
Article 2 : La commune d'Ottmarsheim versera à Mme F... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Ottmarsheim et à Me E... pour Mme C... F... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
A...A...
N° 20NC00363 2