La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/04/2021 | FRANCE | N°19NC03421

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 13 avril 2021, 19NC03421


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Chez Razad a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 6 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge une somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale ainsi que la décision du 7 août 2017 rejetant son recours gracieux.

La société Chez Razad a également demandé à ce tribunal d'annuler la mise en demeure de payer la somme de 19 360 euros au titre de la contr

ibution spéciale assortie d'une majoration qui lui a été adressée le 12 octobre 2017 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Chez Razad a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 6 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge une somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale ainsi que la décision du 7 août 2017 rejetant son recours gracieux.

La société Chez Razad a également demandé à ce tribunal d'annuler la mise en demeure de payer la somme de 19 360 euros au titre de la contribution spéciale assortie d'une majoration qui lui a été adressée le 12 octobre 2017 par le directeur régional des finances publiques du Grand Est et du Bas-Rhin.

Par un jugement no 1704197, 1800017 du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la société Chez Razad tendant à l'annulation des décisions des 6 juin et 7 août 2017 en tant qu'elles mettaient à la charge de la société requérante un montant de contribution spéciale supérieur à 7 040 euros, l'a déchargée de l'obligation de payer à l'OFII une somme excédant ce montant et la majoration correspondante et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2019, la société Chez Razad, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 septembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 6 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge une somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale, ainsi que la décision du 7 août 2017 rejetant son recours gracieux ;

3°) d'annuler la mise en demeure de payer la somme de 19 360 euros au titre de la contribution spéciale assortie d'une majoration qui lui a été adressée, le 12 octobre 2017, par le directeur régional des finances publiques du Grand Est et du Bas-Rhin ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et de l'Etat la somme de 2 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la sanction pécuniaire prononcée par l'OFII :

- il n'y a aucun lien de subordination entre elle et le cuisinier tunisien contrôlé sur son stand à la foire européenne de Strasbourg ;

- elle a été relaxée par le juge pénal et le tribunal des affaires de sécurité sociale l'a déchargée des rappels de cotisations ; l'autorité de chose jugée au pénal devait s'imposer au juge administratif ;

- elle n'a pas versé de rémunération au cuisinier tunisien et n'a conclu, à la différence des autres salariés, aucun contrat de travail avec lui.

En ce qui concerne la mise en demeure valant commandement de payer :

- elle n'a jamais reçu la notification du titre de perception, la mise en demeure est donc prématurée ;

- les montants mis à sa charge par l'OFII sont contestés et, en outre, ont été ramenés à 7 040 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Chez Razad sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

1. A l'occasion d'un contrôle, le 5 septembre 2016, du stand du restaurant exploité sous l'enseigne le Najiba par la société Chez Razad, sur le site de la foire internationale de Strasbourg, les services de l'URSSAF, assistés de la police, ont constaté la présence de M. A... D... C..., ressortissant tunisien, muni d'un visa Schengen de court séjour valable du 30 août au 29 septembre 2016, dépourvu de titre l'autorisant à travailler. Après avoir recueilli les observations de la société Chez Razad, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge, par une décision du 6 juin 2017, la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 17 600 euros. Le recours gracieux présenté par la SARL Chez Razad contre cette décision a été rejeté par une décision du directeur général de l'OFII du 7 août 2017.

2. En vue du recouvrement de cette somme, un titre exécutoire a été émis le 31 juillet 2017. Par une décision du 12 octobre 2017, le directeur régional des finances publiques du Grand Est et du département du Bas-Rhin a mis la société Chez Razad en demeure de s'acquitter de la somme de 19 360 euros correspondant à la contribution spéciale assortie d'une majoration. La société Chez Razad a vainement formé, le 27 octobre 2017, une réclamation à l'encontre de cette mise en demeure.

3. La société Chez Razad a demandé au tribunal administratif, d'une part, d'annuler la décision du 6 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'OFII a mis à sa charge une somme de 17 600 euros au titre de la contribution spéciale, ainsi que la décision du 7 août 2017 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'annuler la mise en demeure de payer la somme de 19 360 euros au titre de la contribution spéciale assortie d'une majoration qui lui a été adressée, le 12 octobre 2017, par le directeur régional des finances publiques du Grand Est et du Bas-Rhin. Par un jugement du 26 septembre 2019, dont la société Chez Razad fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la société Chez Razad tendant à l'annulation des décisions de l'OFII des 6 juin et 7 août 2017 en tant qu'elles mettaient à la charge de la société requérante un montant de contribution spéciale supérieur à 7 040 euros, l'a déchargée de l'obligation de payer à l'OFII une somme excédant ce montant et la majoration correspondante et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation des décisions du 6 juin et du 7 août 2017 :

4. En premier lieu, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tiré de ce que les faits reprochés à l'accusé ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si la matérialité de ces faits est avérée et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative.

5. Par un jugement du 11 mai 2007, devenu définitif, le tribunal de grande instance de Strasbourg a relaxé la société Chez Razad et son gérant des fins des poursuites engagées, d'une part, pour l'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail et, d'autre part, pour l'emploi d'un salarié en se soustrayant intentionnellement à l'obligation de lui remettre lors du paiement un bulletin de paie et de transmettre à l'organisme de recouvrement des cotisations du régime général de sécurité sociale la déclaration nominative d'embauche, en se bornant à mentionner " attendu qu'il ressort des éléments du dossier et des débats qu'il convient de [les] relaxer de la poursuite (...)". En l'absence de toute précision dans les motifs du jugement des raisons pour lesquelles les contrevenants ont été relaxés et, en outre, de toute constatation de fait, le directeur général de l'OFII a pu, sans méconnaitre l'autorité de la chose jugée au pénal, comme l'ont relevé les premiers juges, apprécier si la matérialité des faits était établie et de nature à justifier une sanction administrative.

6. En deuxième lieu, la circonstance que, par un jugement du 22 mai 2019, le tribunal de grande instance de Strasbourg a prononcé la décharge des redressements, au motif que le juge pénal avait relaxé la société Chez Razad, ne s'opposait pas davantage à ce que le directeur général de l'OFII apprécie si les faits reprochés à cette société étaient de nature à justifier une sanction administrative.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / (...) ".

8. Pour l'application de ces dispositions, il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.

9. Il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux de police dressés le 5 septembre 2016, qui font foi jusqu'à preuve du contraire, que M. C... A... D..., ressortissant tunisien, démuni de titre de séjour l'autorisant à travailler en France, a été contrôlé, le 5 septembre 2016 à 12 heures, en train de cuisiner sur le stand du restaurant exploité sous l'enseigne le Najiba par la société Chez Razad, à la foire européenne de Strasbourg. Si la société Chez Razad fait valoir qu'elle n'a conclu aucun contrat de travail avec ce ressortissant tunisien, il ressort des procès-verbaux qu'elle avait déposé auprès des services de l'URSSAF, présents à cette exposition, dix déclarations préalables à l'embauche en version papier, dont l'une était établie au nom de M. C... A... D..., recruté comme chef cuisinier pour la période du 2 au 12 septembre 2016, pour lequel elle avait, au demeurant, sollicité quelques mois auparavant une autorisation de travail refusée par une décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du 17 mai 2016.

10. Il résulte également du procès-verbal 2016/0000126/1 du 5 septembre 2016, que le frère du gérant de la société Chez Razad avait transmis à l'Office national du tourisme tunisien, un courriel du 20 août 2016, précisant que la société prendrait en charge tous les frais de M. A... D... pendant son séjour à Strasbourg, ce dernier étant leur principal cuisinier, afin de pouvoir représenter l'art culinaire tunisien lors de la foire européenne. Lors de son audition, le 5 septembre 2016, ce ressortissant tunisien a déclaré avoir commencé son activité sur le stand du restaurant le Najiba le 31 août 2016 et y avoir travaillé tous les jours depuis le 31 août 2016, sans repos, de 9 heures à 20 heures et jusqu'à 22 ou 23 heures le samedi. Il résulte des procès-verbaux dressés par la police, notamment de l'audition du gérant, que les produits préparés par M. A... D... étaient vendus pour le compte de la société Chez Razad. Les attestations du consul de Tunisie et de l'Office national du tourisme selon lesquelles M. A... D... a été dépêché par l'Office national du tourisme auprès du restaurant le Najiba, sélectionné comme restaurant officiel pour la 84ème édition de la foire européenne de Strasbourg, pour faire connaître, " à titre gracieux ", l'art culinaire et la gastronomie tunisienne ne sont de nature à établir ni l'absence de lien de subordination entre ce salarié et la société Chez Razad, ni même l'absence de contrepartie financière ou en nature. M. G... D... doit, dès lors, être regardé comme ayant été employé à un travail par la société Chez Razad, alors même qu'aucun contrat de travail n'a été établi et qu'il est retourné dans son pays d'origine avec l'ensemble de la délégation tunisienne, sans qu'un titre l'autorise à exercer une activité salariée en France. Par suite, en mettant à la charge de la société Chez Razad la somme de 7 040 euros au titre de la contribution spéciale, le directeur général de l'OFII n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la mise en demeure de payer du 12 octobre 2017 :

11. En premier lieu, la circonstance que la société Chez Razad n'aurait pas reçu la notification du titre exécutoire du 31 juillet 2017, dont elle ne conteste pas l'existence, ne s'oppose pas à ce que le comptable public procède à son recouvrement en émettant une mise en demeure. Par suite, le moyen tiré de ce que la mise en demeure de payer serait prématurée doit être écarté.

12. En second lieu, à l'appui de ses conclusions tendant à obtenir l'annulation de la mise en demeure valant commandement de payer et la décharge de la contribution spéciale mise à sa charge à concurrence de 7 040 euros, la société Chez Razad fait valoir qu'elle a contesté le montant intégral de la contribution spéciale mise à sa charge. Toutefois, il résulte de ce qui a été indiqué aux points 4 à 10 que la requérante n'a pas établi l'illégalité des décisions de l'OFII. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'est pas redevable de la somme de 7 040 euros et qu'elle devrait être intégralement déchargée de l'obligation de payer.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Chez Razad n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes. Les conclusions à fin d'injonction, présentées par la requérante doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFII et de l'Etat, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Chez Razad demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Chez Razad le versement d'une somme au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Chez Razad est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... pour la société Chez Razad en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques du Grand Est et du département du Bas-Rhin.

N° 19NC03421 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03421
Date de la décision : 13/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-032-01 Travail et emploi. Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs. Emploi des étrangers (voir : Étrangers).


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : LOUY

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-04-13;19nc03421 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award