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25/03/2021 | FRANCE | N°19NC00712

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 25 mars 2021, 19NC00712


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Intervent a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté n° 1676 du 24 juin 2016 du préfet de la Haute-Marne portant déclaration d'utilité publique de la dérivation des eaux, autorisation de prélèvement d'eau dans le milieu naturel, autorisation de production et de distribution au public d'eau destinée à la consommation humaine et mise en place des périmètres de protection réglementaire du forage " Vers la forêt " exploité par la commune de Gillancourt

ainsi que la décision du 24 novembre 2016 rejetant son recours gracieux.

Par un ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Intervent a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté n° 1676 du 24 juin 2016 du préfet de la Haute-Marne portant déclaration d'utilité publique de la dérivation des eaux, autorisation de prélèvement d'eau dans le milieu naturel, autorisation de production et de distribution au public d'eau destinée à la consommation humaine et mise en place des périmètres de protection réglementaire du forage " Vers la forêt " exploité par la commune de Gillancourt ainsi que la décision du 24 novembre 2016 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1700155 du 10 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistré le 8 mars 2019 et le 2 octobre 2020, la Société Intervent, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700155 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 10 janvier 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté n° 1676 du 24 juin 2016 portant déclaration d'utilité publique de la dérivation des eaux, autorisation de prélèvement d'eau dans le milieu naturel, autorisation de production et de distribution au public d'eau destinée à la consommation humaine et mise en place des périmètres de protection réglementaire du forage " Vers la forêt " exploité par la commune de Gillancourt ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;

- en particulier le tribunal n'a pas énoncé les motifs qui l'ont conduit à apprécier le caractère proportionné des prescriptions mises en place ;

- les premiers juges ont considéré à tort que l'arrêté litigieux n'était pas entaché d'une insuffisante motivation dès lors qu'une motivation circonstanciée s'imposait ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en écartant les moyens tirés de l'insuffisance de l'avis de l'hydrogéologue agrée et de l'insuffisance de l'information du public ;

- l'avis de l'expert hydrogéologue est entaché d'erreur d'appréciation au regard de la vulnérabilité des sols ;

- l'avis émis par l'hydrogéologue agréé est insuffisamment motivé et méconnaît ainsi les dispositions de l'article R. 1321-6 du code de la santé publique ; en effet, aucun développement du rapport n'expose la nature des risques ayant conduit l'expert à préconiser des prescriptions particulièrement restrictives ;

- l'arrêté est entaché d'erreurs d'appréciation au regard des caractéristiques de la nappe phréatique ; les conclusions de l'expert ne sont pas justifiées au regard des caractéristiques du contexte géologique ; aucune mesure spécifique ne traduit dans l'arrêté la prise en compte d'une source de pollution majeure liée à l'activité agricole ;

- en jugeant que l'interdiction d'activité industrielle et artisanale prescrite dans ce périmètre n'était ni excessive ni disproportionnée, les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de droit et à tout le moins d'appréciation ; le risque de l'énergie éolienne est moindre dès lors que la base des fondations se situe à plus de 3 mètres au- dessus de la base de couverture imperméable de la nappe ; le contexte karstique implique une étude au cas par cas mais ne justifie pas une interdiction absolue ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles L. 1321-2 et R. 1321-13 du code de la santé publique dès lors que l'interdiction est posée générale et absolue sans distinguer l'impact des différentes activités ;

- la réglementation mise en oeuvre par l'arrêté est injustifiée et disproportionnée ;

- les risques induits par les éoliennes sont particulièrement limités et peuvent être prévenus par la mise en place de mesures spécifiques recommandées par les experts hydrogéologues et notamment avec une technique nouvelle tenant à la mise en place de fondations surélevées ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle s'en remet à l'argumentation développée en première instance par le préfet de la Haute-Marne.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grossrieder, présidente,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., présentées par la voie d'un procédé de télécommunication audiovisuelle, pour la société Intervent.

Considérant ce qui suit :

1. Afin d'exploiter le point de captage en eau sur son territoire, la commune de Gillancourt a décidé de la mise en place de périmètres de protection réglementaire visant à protéger son puits de forage dit " Vers la forêt ". Après une enquête publique du 10 au 26 juin 2015, par un arrêté en date du 24 juin 2016 la préfète de la Haute Marne a déclaré d'utilité publique la dérivation des eaux et la mise en place des périmètres de protection réglementaire du forage " Vers la forêt", exploité par la commune de Gillancourt. La société Intervent, ayant initié un projet de parc éolien se trouvant dès lors en partie sur le périmètre de protection rapproché, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 24 juin 2016. Par un jugement du 10 janvier 2019, dont la société relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Il ressort du jugement attaqué que, s'agissant du caractère proportionné des prescriptions mises en place, les premiers juges ont considéré que la définition du périmètre de protection rapprochée du forage " Vers la forêt " ainsi que la règlementation applicable à ce périmètre répondent directement à la contrainte tenant à la protection de l'eau de consommation humaine contre la pollution et à la limitation des infrastructures et activités susceptibles de constituer un danger pour la qualité et la circulation des eaux souterraines. Ils ont ainsi porté une appréciation suffisamment précise sur le caractère proportionné des prescriptions mises en place pour préserver le forage de toute pollution dépendant de l'activité humaine. Le jugement comporte également des indications suffisantes, tant en fait qu'en droit, en ce qui concerne ses autres motifs. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité externe :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 1321-8 du code de la santé publique : " I.-La décision statuant sur la demande d'autorisation d'utilisation d'eau en vue de la consommation humaine est prise par arrêté préfectoral. Cet arrêté est motivé. / L'arrêté préfectoral d'autorisation indique notamment l'identification du titulaire de l'autorisation et l'objet de cette utilisation, les localisations des captages et leurs conditions d'exploitation, les mesures de protection, y compris les périmètres de protection prévus à l'article L. 1321-2, les lieux et zones de production, de distribution et de conditionnement d'eau et, le cas échéant, les produits et procédés de traitement utilisés, les modalités de la mise en oeuvre de la surveillance ainsi que les mesures de protection des anciens captages abandonnés. / Lorsqu'il détermine les périmètres de protection prévus à l'article L. 1321-2, cet arrêté déclare d'utilité publique lesdits périmètres. ".

4. Outre les mentions prescrites par les dispositions précitées de l'article R. 1321-8 du code de la santé publique, l'arrêté contesté précise d'une part que " l'utilité publique de l'opération est supérieure aux inconvénients qu'elle est susceptible de générer " et rappelle d'autre part " la nécessité de protéger la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine ". Il comporte ainsi les motifs de droit et de fait suffisamment circonstanciés qui ont présidé à son adoption. En conséquence, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté n'est pas fondé et doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 1321-6 du code de la santé publique : " La demande d'autorisation d'utilisation d'eau en vue de la consommation humaine, prévue au I de l'article L. 1321-7, est adressée au préfet du ou des départements dans lesquels sont situées les installations. Le dossier de la demande comprend : (...) 5° L'avis de l'hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique, spécialement désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour l'étude du dossier, portant sur les disponibilités en eau, sur les mesures de protection à mettre en oeuvre et sur la définition des périmètres de protection mentionnés à l'article L. 1321-2 ; (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté s'est fondé sur l'avis établi le 8 février 2013 par M. A..., coordinateur des hydrogéologues agréés du département de la Haute-Marne, lequel mentionne les caractéristiques techniques de l'ouvrage, la situation géologique et hydrogéologique du captage, la qualité des eaux prélevées, la vulnérabilité du captage, les mesures de protection à mettre en oeuvre et la définition des périmètres de protection mentionnés à l'article L. 1321-2 du code de la santé publique. En particulier, après avoir décrit la nature des sols et démontré leur vulnérabilité, l'expert hydrogéologue y explique la nécessité de mettre en place les différents périmètres de protection réglementaires. Par suite, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'avis de l'hydrogéologue agréé comporte des indications suffisantes et, notamment, précise la nécessité des mesures contraignantes à adopter pour préserver le forage en cause. L'arrêté attaqué n'a ainsi pas été pris au terme d'une procédure méconnaissant les dispositions précitées de l'article R. 1321-6 5° du code de la santé publique. Par voie de conséquence, l'avis de l'expert hydrogéologue étant suffisant, le moyen tiré de l'insuffisante information du public doit lui aussi être écarté.

7. En troisième lieu, le moyen tiré des erreurs d'appréciation entachant l'avis de l'expert hydrogéologue est inopérant.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Aux termes de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique : " En vue d'assurer la protection de la qualité des eaux, l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines mentionné à l'article L. 215-13 du code de l'environnement détermine autour du point de prélèvement un périmètre de protection immédiate dont les terrains sont à acquérir en pleine propriété, un périmètre de protection rapprochée à l'intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux et, le cas échéant, un périmètre de protection éloignée à l'intérieur duquel peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés. (...) ". Aux termes des dispositions de l'article R. 1321-13 du même code : " A l'intérieur du périmètre de protection rapprochée, sont interdits les travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols susceptibles d'entraîner une pollution de nature à rendre l'eau impropre à la consommation humaine. Les autres travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols peuvent faire l'objet de prescriptions, et sont soumis à une surveillance particulière, prévues dans l'acte déclaratif d'utilité publique. Chaque fois qu'il est nécessaire, le même acte précise que les limites du périmètre de protection rapprochée seront matérialisées et signalées. ".

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le projet contesté vise à préserver la ressource en eau potable de la population de la commune de Gillancourt, qui jusqu'alors bénéficiait de captages insuffisants pour les besoins de sa population. Eu égard aux besoins de la population de cette commune et à la nécessité de préserver l'accès à une eau non polluée, le projet contesté présente dès lors un intérêt public.

10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis du 8 février 2013 de M. A... hydrogéologue que la protection naturelle des zones de captage sur le territoire de la commune de Gillancourt est faible, impliquant une vulnérabilité importante de la qualité de l'eau laquelle dépend essentiellement des activités humaines dans l'aire d'alimentation des captages. En effet, les zones du bassin d'alimentation correspondent à des calcaires beiges fissurés de l'Argovine, très fracturés, favorables aux circulations des eaux souterraines et perméables dans leur ensemble. L'expert hydrogéologue explique qu'il n'existe aucune couche imperméable permettant une isolation de certains niveaux calcaires. L'étude de Science et Environnement mentionne une faible protection de la couche marneuse par rapport aux pollutions superficielles. Ces éléments caractérisent une vulnérabilité toute particulière des sols sur les coteaux et le plateau où est projeté le parc éolien. Pour sa part, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable à la définition et à la déclaration d'utilité publique des périmètres de protection du captage " Vers la forêt " et a, en particulier, expressément refusé d'émettre une réserve en faveur de la compatibilité du projet de parc éolien de la société requérante avec le périmètre de protection rapprochée de cette source.

11. En outre, il résulte de l'étude réalisée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail en 2011 que l'installation et l'exploitation d'éoliennes présentent un risque négligeable dans les périmètres de protection rapprochée en présence d'une nappe semi captive si la base des fondations des éoliennes laisse subsister une épaisseur d'au moins 3 m de l'écran mettant en charge cette dernière. Si la société Intervent soutient qu'elle est en mesure d'utiliser un nouveau procédé avec des fondations surélevées limitant les risques de pollution, elle ne justifie pas de la faisabilité de la construction de l'intégralité du parc éolien selon cette méthode rare et peu utilisée. En tout état de cause, quelle que soit la méthode de construction, la réalisation des aménagements liés au projet d'éoliennes provoque le décapage du sol et nécessite l'aménagement de chemins d'accès et d'aires de grutage même en l'absence de fondations avec des plateformes non imperméabilisées et l'évacuation des eaux de drains dans le sous-sol. Ainsi, les précautions proposées par la requérante pour l'édification d'éoliennes ne sauraient suffire à supprimer tout risque de pollution. Dans les aquifères calcaires comme c'est le cas pour le captage concerné par le projet, la vulnérabilité est élevée. En conséquence, comme l'ont relevé les premiers juges, la qualité de l'eau prélevée au droit de ce point de captage, directement dépendante de l'activité humaine, rend indispensable la limitation des infrastructures et activités susceptibles de constituer un danger pour la qualité et la circulation des eaux souterraines. Eu égard aux risques avérés de pollution des eaux au forage " Vers la forêt ", les atteintes portées aux activités artisanales et industrielles dans les périmètres de protection du forage ne peuvent être regardés comme excessives, injustifiées ou excédant par leur généralité les mesures autorisées par les dispositions précitées de l'article R. 1321-13 du code de la santé publique compte tenu de l'intérêt général du projet.

12. Il suit de ce qui a été dit ci-dessus que l'arrêté attaqué n'est entaché ni d'erreur d'appréciation ni d'erreur de droit.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Intervent n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par suite ses conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Société Intervent est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Intervent et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Marne et à la commune de Gillancourt.

2

N° 19NC00712


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00712
Date de la décision : 25/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Eaux - Travaux - Captage des eaux de source.

Expropriation pour cause d'utilité publique - Notions générales - Notion d'utilité publique - Existence - Eaux.

Expropriation pour cause d'utilité publique - Règles générales de la procédure normale - Enquêtes - Enquête préalable - Procédure d'enquête.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : SELARL VOLTA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-03-25;19nc00712 ?
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