La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/03/2021 | FRANCE | N°19NC02276

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 18 mars 2021, 19NC02276


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juillet 2019 et le 10 novembre 2020, la société Eole du chemin des crêtes, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté n° 2019-296 du 24 mai 2019 par lequel le préfet des Ardennes a rejeté sa demande d'autorisation unique de création d'un parc éolien implanté chemin des crêtes sur le territoire des communes de Liry, Mont-Saint-Martin, Semide et Sugny ;

2°) d'enjoindre au préfet des Ardennes de procéder à un nouvel examen de sa demande d'autorisation ;



3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juillet 2019 et le 10 novembre 2020, la société Eole du chemin des crêtes, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté n° 2019-296 du 24 mai 2019 par lequel le préfet des Ardennes a rejeté sa demande d'autorisation unique de création d'un parc éolien implanté chemin des crêtes sur le territoire des communes de Liry, Mont-Saint-Martin, Semide et Sugny ;

2°) d'enjoindre au préfet des Ardennes de procéder à un nouvel examen de sa demande d'autorisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté est entaché d'un vice de procédure dès lors que le préfet n'a pas repris la procédure d'instruction, notamment en consultant le ministre de la défense et en saisissant l'inspection des installations classées ; il l'a privée de la garantie d'une instruction objective et impartiale de son dossier ;

- aucun des trois motifs de l'arrêté contesté ne permet de justifier le refus d'autorisation unique ;

- l'opposabilité de la servitude liée au camp de Suippes n'est pas établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour la société Eole du chemin des crêtes et de M. B... représentant la ministre de la transition écologique.

1. Le 13 décembre 2016, la société Eole du chemin des crêtes a déposé un dossier de demande d'autorisation unique pour la réalisation d'un parc de 28 éoliennes de 180 mètres de hauteur sur le territoire des communes de Liry, Mont-Saint-Martin, Semide et Sugny, en application de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement. Par un courrier du 9 mars 2017, la directrice de la direction départementale des territoires l'a informée qu'elle envisageait de refuser sa demande, compte tenu de l'avis défavorable du ministère de la défense du 20 février 2017, et l'a invitée à présenter ses observations qu'elle lui a adressées par un courrier du 21 mars 2017. Par un arrêté du 9 mai 2017, le préfet des Ardennes a notifié à la société Eole du chemin des crêtes le rejet de sa demande d'autorisation unique. Par un jugement du 25 avril 2019, devenu définitif, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé l'arrêté du 9 mai 2017 par lequel le préfet a rejeté la demande d'autorisation unique au motif qu'il s'était cru, à tort, lié par l'avis du ministère de la défense, alors qu'émis au-delà du délai de deux mois, il était réputé être favorable en application de l'article 10 du décret du 2 mai 2014 et, qu'en outre, il n'avait pas pris en considération les observations de la société pétitionnaire réceptionnées dans le délai de 15 jours qui lui avait été fixé, la privant d'une garantie et, d'autre part, enjoint au préfet des Ardennes de statuer à nouveau sur la demande dans le délai d'un mois suivant la notification de son jugement. Par un arrêté du 24 mai 2019, dont la société pétitionnaire demande l'annulation, le préfet des Ardennes a, de nouveau, refusé sa demande d'autorisation unique.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement : " I.- A titre expérimental, et pour une durée de trois ans, sont soumis aux dispositions du présent titre les projets d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : " Les projets mentionnés à l'article 1er sont autorisés par un arrêté préfectoral unique, dénommé "autorisation unique" dans le présent titre. / Cette autorisation unique vaut autorisation au titre de l'article L. 512-1 du code de l'environnement et, le cas échéant, permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette même ordonnance : " L'autorisation unique ne peut être accordée que si les mesures que spécifie l'arrêté préfectoral permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) ".

3. Les dispositions de l'ordonnance du 26 janvier 2017, codifiées aux articles L. 1811 et suivants du code de l'environnement, instituent une autorisation environnementale dont l'objet est de permettre qu'une décision unique tienne lieu de plusieurs décisions auparavant distinctes dans les conditions qu'elles précisent. L'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 précise les conditions d'entrée en vigueur de ces dispositions : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance, ou au titre de l'ordonnance n° 2014355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014619 du 12 juin 2014, avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 1812 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; / 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ". Sous réserve des dispositions de son article 15 précité, l'article 16 de la même ordonnance abroge les dispositions de l'ordonnance du 20 mars 2014 relatives à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement.

4. En vertu de l'article L. 18117 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise, comme l'autorisation unique l'était avant elle ainsi que les autres autorisations mentionnées au 1° de l'article 15 de cette même ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle l'autorité administrative statue sur cette demande et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

5. En premier lieu, l'annulation de l'arrêté du 26 avril 2017 par lequel le préfet des Ardennes a refusé de délivrer une autorisation unique à la société Eole du chemin des crêtes n'impliquait pas, en l'absence de changement des circonstances de fait ou de droit, de consulter à nouveau le ministre de la défense, ni même de solliciter un nouveau rapport de l'inspection des installations classées chargé d'instruire la demande. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ".

7. Pour refuser les permis de construire litigieux, le préfet des Ardennes a estimé, en application du 2° du II de l'article 12 du décret du 2 mai 2014 et de l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014, que le projet était de nature à porter atteinte aux objectifs énoncés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, notamment à la sécurité des vols des aéronefs, dès lors, d'une part, que les éoliennes, eu égard à leur hauteur et à leur implantation, empiétaient sur le tronçon du réseau de vol à très basse altitude et à très grande vitesse dénommé LF-R 69 et créaient un risque pour les aéronefs de combat lors des exercices de tirs air sol sur le camp de Suippes, d'autre part, que l'ensemble des éoliennes, à l'exception de deux, ne respectait pas l'altitude minimale de sécurité radar (AMSR) de l'aérodrome de

Saint-Dizier Robinson et, enfin, que le parc éolien était de nature à générer des perturbations du radar dont l'implantation était projeté sur l'aérodrome de Vouziers-Séchault.

8. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'avis du ministre de la défense du 20 février 2017, dont le préfet s'est approprié la teneur, que le projet éolien se situe dans un rayon de 5 à 20 km du radar dont l'implantation est projetée sur l'aérodrome de Vouziers-Séchault, soit dans une zone où, selon les préconisations du ministère de la défense, sont exclues les éoliennes à partir de l'altitude de 144 mètres NGF pour éviter les perturbations des ondes du radar. Si la requérante met en doute la réalité de ce projet, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il aurait été abandonné alors que le ministère de la défense avait, dès le mois de mai 2017, conclu une convention de financement avec la société, titulaire d'une autorisation d'un autre parc éolien, en vue de le financer. Par suite, en refusant l'autorisation unique au motif que le projet de parc éolien serait susceptible de perturber le fonctionnement du futur radar de Vouziers-Séchault, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

9. D'autre part, il n'est pas contesté que le projet de parc éolien se situe dans le secteur d'approche de l'aérodrome de Saint-Dizier Robinson pour lequel l'altitude minimale de sécurité radar (AMSR) est de 2 300 pieds, soit 701 mètres NGF. S'il résulte de l'instruction que l'AMSR, calculée à partir de l'obstacle le plus élevé du secteur, intègre outre la marge de franchissement d'obstacle de 300 mètres, une correction pour tenir compte de la perte d'altitude en cas de basses températures, il n'en demeure pas moins, contrairement à ce que soutient la requérante, que pour apprécier si le projet respecte cette altitude minimale, il convient non seulement d'ajouter à l'altitude de chaque éolienne la marge de franchissement d'obstacles mais également la correction pour basses températures, à défaut de laquelle, en cas de basses températures, la marge de franchissement d'obstacles pourrait être diminuée et ainsi créer, lorsque l'aéronef est radioguidé vers l'aérodrome, excluant ainsi toute rectification manuelle de la perte d'altimétrie, un risque pour la sécurité de la navigation aérienne. Il est constant que le parc éolien culmine à 383 mètres NGF. Il n'est pas contesté par la requérante que, sur les 28 éoliennes, après la prise en compte de la marge de franchissement d'obstacles de 300 mètres et de la correction pour basses températures de 52 mètres, seules les éoliennes EC4 et ED3 n'excèdent pas le plancher de l'AMSR de 701 mètres NGF. Par suite, le préfet des Ardennes n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le projet de parc éolien, qui ne respectait pas dans sa quasi-totalité cette altitude minimale, était de nature à générer un risque pour la sécurité des aéronefs lors des procédures d'approche de l'aérodrome de Saint-Dizier Robinson.

10. Enfin, il résulte également de l'instruction que le projet de parc éolien se situe sous le tronçon du réseau de vol à très basse altitude (RTBA) dénommé LF-R69, permettant la circulation à très grande vitesse des aéronefs militaires et l'accès au champ de tir de Suippes où se déroulent des exercices de tir air sol. S'il est vrai que les éoliennes, dont la hauteur sommitale de 180 mètres à partir du niveau de sol, n'impactent pas le plancher de 800 pieds, soit 243 mètres, de la zone RTBA, il résulte en revanche de l'instruction que le parc éolien se situe à proximité des circuits de vols et de dégagement des aéronefs à la suite des exercices de tirs air sol sur le camp de Suippes. Ainsi, par sa localisation à une distance de 5 à 10 kilomètres seulement du camp d'entraînement, le projet de parc éolien est de nature à compromettre la sécurité des avions de combat lors des manoeuvres de tir sur les cibles du camp de Suippes, pratiquées, selon l'administration, à une altitude comprise entre 500 et 2 500 pieds, soit 153 et 762 mètres, puis de dégagement. La circonstance que les circuits de vols reportés sur la carte produite par l'administration ne figurent pas sur la carte extraite du manuel d'information Aéronautique Militaire, lequel se borne à recenser les zones d'entraînement et non le déroulement tactique des exercices, n'est pas de nature à établir que ces éléments seraient erronés alors que le ministère de la défense, dans son avis du 20 février 2017, avait mentionné le risque pour les aéronefs lors des exercices de tirs. Contrairement à ce que fait valoir la requérante, l'administration ne lui a pas opposé une servitude mais s'est bornée à prendre en considération les conditions réelles d'exercices des tirs sur le camp de Suippes. Dans ces conditions, le préfet des Ardennes n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement en estimant que l'implantation des éoliennes du parc litigieux présenterait de graves dangers ou inconvénients pour la sécurité des aéronefs militaires.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eole du chemin des crêtes n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Ardennes du 24 mai 2019 refusant de lui délivrer, en raison de l'atteinte portée aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien. Par voie de conséquences, les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la société Eole du chemin des crêtes soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eole du chemin des crêtes est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me D... pour la société Eole du chemin des crêtes en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et à la ministre de la transition écologique.

N° 19NC02276 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02276
Date de la décision : 18/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-02 Nature et environnement. Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-03-18;19nc02276 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award