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25/02/2021 | FRANCE | N°20NC00662-20NC00663

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 25 février 2021, 20NC00662-20NC00663


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 septembre 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et entretemps de lui délivrer une autorisation provisoir

e de séjour, et ce, dans un délai de 15 jours suivant la notification du jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 septembre 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et entretemps de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, et ce, dans un délai de 15 jours suivant la notification du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros pour chacun d'eux au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1908794 du 18 février 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 17 septembre 2019, a enjoint au préfet du Bas-Rhin de réexaminer la situation de Mme C... et de prendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de Mme C....

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00662 le 13 mars 2020, le préfet du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 février 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Il soutient que si Mme C... s'est prévalu de son exemption de visa en qualité de titulaire d'un passeport biométrique ukrainien, cette mesure ne lui permettait de séjourner régulièrement dans l'espace Schengen que pour de courts séjours de 90 jours au maximum sur une période de 180 jours ; n'ayant pas démontré qu'elle était en France pendant la période de validité de ce droit, c'est à bon droit qu'il lui a opposé les dispositions de l'article L. 312-2 et du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2020, Mme C..., représentée par Me B..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle fait valoir que le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé.

II. Par une requête enregistrée sous le n° 20NC00663 le 13 mars 2020, le préfet du Bas-Rhin demande à la cour de prononcer, sur le fondement des dispositions des articles R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nancy du 18 février 2020.

Il soulève le même moyen que dans la requête n° 20NC00662.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2020, Mme C..., représentée par Me B..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décisions en date du 26 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Goujon-Fischer premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., de nationalité ukrainienne, est entrée en France, selon ses déclarations, le 16 novembre 2018, sous couvert de son passeport biométrique ukrainien. Le 5 juillet 2019, elle a sollicité du préfet du Bas-Rhin la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'un ressortissant français, en se prévalant de son mariage avec un ressortissant français le 29 septembre 2018 à Bischwiller. Par un arrêté du 17 septembre 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 18 février 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Bas-Rhin de réexaminer la situation de Mme C... et de prendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, le préfet du Bas-Rhin relève appel de ce jugement et demande à la cour de prononcer le sursis à son exécution.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour "compétences et talents" sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois. ". Aux termes du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du même code : " Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour. ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la production d'un visa de long séjour, délivré, le cas échéant, selon les modalités fixées au sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est au nombre des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du même code. Dès lors, le préfet peut refuser une telle carte de séjour en se fondant sur le défaut de production par l'étranger d'un visa de long séjour.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article 20 de la convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, dans sa rédaction issue du règlement (UE) n° 610/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les étrangers non soumis à l'obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des Parties Contractantes pendant une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e). (...) ".

4. Si Mme C..., de nationalité ukrainienne, n'était, à ce titre, pas soumise à l'obligation de visa, cette circonstance ne la dispensait pas du respect de la condition d'entrée régulière en France, posée par les dispositions précitées du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le respect de cette condition devant alors s'apprécier au regard des règles rappelées ci-dessus du 1. de l'article 20 de la convention d'application de l'Accord de Schengen.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment des timbres humides apposés sur le passeport biométrique de Mme C..., que celle-ci est entrée en dernier lieu sur le territoire des parties contractantes à la convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 (territoire Schengen), le 12 novembre 2018, date à laquelle elle est entrée en Hongrie, en provenance d'Ukraine. A cette date, eu égard aux informations fournies par les autres timbres humides apposés sur son passeport, indiquant ses diverses dates d'entrée et de sortie du territoire Schengen entre le 23 avril et le 7 novembre 2018, elle totalisait, au cours des 180 jours ayant précédé cette entrée, 64 jours de présence sur le territoire Schengen. Mme C... bénéficiait dès lors, en l'absence de nouvelle sortie, du droit d'y circuler librement jusqu'au 8 décembre 2018. Toutefois, si la requérante, qui n'allègue pas avoir quitté le territoire Schengen postérieurement au 12 novembre 2018, indique être entrée en France le 16 novembre suivant, soit à une date à laquelle elle bénéficiait encore du droit de circuler librement sur ce même territoire, elle n'établit pas, par les documents qu'elle produit, être effectivement entrée en France à cette date ou, en tout état de cause, entre le 12 novembre et le 8 décembre 2018. En particulier, si elle produit, devant la cour, une attestation, datée du 8 janvier 2020, du recteur de la Paroisse patriarcale de tous les saints indiquant qu'elle aurait fréquentée cette paroisse depuis la fin novembre 2018, ce document ne présente pas une valeur probante suffisante, non plus que l'attestation de l'antenne de Haguenau de l'Université populaire européenne indiquant qu'elle a participé à un stage de formation du 26 septembre 2018 au 27 mars 2019.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme C... ne justifie pas être entrée régulièrement en France. Le préfet du Bas-Rhin, qui, en l'absence d'entrée régulière en France de l'intéressée, n'était pas compétent en vertu de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour lui délivrer un visa de long séjour, était dès lors tenu de lui en refuser la délivrance. Par suite, et en l'absence de visa de long séjour délivré par les autorités consulaires, il a pu légalement se fonder sur la circonstance que Mme C... n'était pas titulaire d'un tel visa pour lui refuser la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg, pour annuler son arrêté du 17 septembre 2019, a jugé qu'il avait méconnu les dispositions de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du 4° de l'article L. 313-11 du même code.

8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur les autres moyens de Mme C... :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 17 septembre 2019 est signé par Mme D... A..., directrice des migrations et de l'intégration, à qui le préfet avait donné délégation par un arrêté du 11 juin 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Bas-Rhin le 14 juin 2019, à l'effet de signer, dans la limite des attributions dévolues à sa direction, tous actes et décisions à l'exception de plusieurs catégories d'acte ou décisions, au nombre desquels ne figurent pas, en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour, les arrêtés portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêt contesté est entaché d'incompétence.

10. En second lieu, il appartenait à Mme C..., entrée en France récemment et mariée depuis le 29 septembre 2018 à un ressortissant français, de solliciter la délivrance d'un visa de long séjour auprès des autorités consulaires françaises en Ukraine. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment au fait que la requérante est sans enfant et à la durée nécessaire à l'instruction de cette demande de visa, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision lui refusant la délivrance d'une carte de séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée ou familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, cette décision ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressée au regard du pouvoir de régularisation du préfet.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

11. En premier lieu, Mme C... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'une carte de séjour temporaire, n'est pas fondée à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

12. En dernier lieu, pour les motifs indiqués au point 10, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de ce que l'obligation faite à Mme C... de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

13. Mme C... n'ayant pas démontré l'illégalité des décisions lui refusant la délivrance d'une carte de séjour temporaire et l'obligeant à quitter le territoire français, n'est pas fondée à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant son pays de renvoi.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Bas-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 17 septembre 2019.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

15. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête tendant à l'annulation du jugement de première instance, les conclusions de Mme C... tendant au sursis à exécution de ce jugement ont perdu leur objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

17. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20NC00663 présentées aux fins de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1908794 du 18 février 2020.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1908794 du 18 février 2020 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E... épouse C....

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

2

N° 20NC00662, 20NC00663


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00662-20NC00663
Date de la décision : 25/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : BOHNER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-25;20nc00662.20nc00663 ?
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