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25/02/2021 | FRANCE | N°19NC02607-19NC02816

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 25 février 2021, 19NC02607-19NC02816


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Voies Navigables de France (VNF) a déféré au tribunal administratif de Strasbourg, comme prévenu d'une contravention de grande voirie, M. F... E... et a demandé au tribunal de le condamner au versement d'une amende de 2 000 euros au titre de l'action publique et à la confiscation sans délai, à son profit, du bateau " Lotus " au titre de l'action domaniale, en application den l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques afin qu'elle puisse évacuer c

e bateau en procédant notamment à son déchirage.

Par jugement n° 1801075 du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Voies Navigables de France (VNF) a déféré au tribunal administratif de Strasbourg, comme prévenu d'une contravention de grande voirie, M. F... E... et a demandé au tribunal de le condamner au versement d'une amende de 2 000 euros au titre de l'action publique et à la confiscation sans délai, à son profit, du bateau " Lotus " au titre de l'action domaniale, en application den l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques afin qu'elle puisse évacuer ce bateau en procédant notamment à son déchirage.

Par jugement n° 1801075 du 26 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, condamné M. E... au paiement d'une amende de 2 000 euros et, d'autre part, a prononcé la confiscation du bateau au profit de VNF, faute pour M. E... de l'avoir évacué du domaine public dans un délai de vingt jours à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 12 août 2019 sous le n° 19NC02607, et des mémoires enregistrés les 13 février et 17 juillet 2020, M. E..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 juin 2019 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de débouter VNF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

3°) de statuer ce que de droit sur les éventuels frais et dépens.

Il soutient que :

- l'action de VNF devant le tribunal administratif était irrecevable dans la mesure où l'établissement n'établit pas que le signataire de la requête bénéficiait d'une délégation de signature valide ;

- le tribunal administratif de Strasbourg n'a tiré aucune conséquence du fait qu'il n'est plus propriétaire du bateau " Lotus " ;

- le tribunal administratif a ordonné la confiscation d'un bateau qu'il ne possède plus, mais qui appartient à M. B... ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à l'argumentaire selon lequel le bateau n'est plus en mesure de naviguer ;

- le bateau est considéré par l'administration non plus comme un objet encombrant, mais bien comme une propriété bâtie qui fait corps avec la berge ;

- le bateau n'est plus un meuble au sens du code civil, mais bien un immeuble, ce qui est conforté par le fait que le propriétaire acquitte la taxe foncière ;

- la qualité de gardien du bateau ne fait pas de lui le propriétaire, ni le civilement ou pénalement responsable de son stationnement ;

- le " Lotus " n'est une gêne pour la navigation ni pour les travaux d'aménagement menés par la commune de Thionville.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2020, VNF, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. E... ;

2°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- M. H... I..., directeur général de VNG a régulièrement accordé délégation de signature à M. K..., directeur territorial Nord-Est de l'établissement ;

- la procédure de contravention de grande voirie à l'encontre de M. E... est fondée sur sa qualité de gardien du bateau disposant des pouvoirs de direction et de contrôle du bâtiment ;

- le moyen tiré de ce que le bateau serait dans l'impossibilité de naviguer est inopérant dans la mesure où M. E... ne bénéficie d'aucune autorisation d'occuper le domaine public fluvial depuis 2015 ;

- lorsqu'elle constate une infraction à la police de conservation du domaine public, l'administration doit ordonner qu'il soit mis fin aux agissements en cause ;

- il se trouve en situation de compétence liée s'agissant de la constatation et de la poursuite des contraventions de grande voirie ;

- le caractère mécanique du contentieux de grande voirie interdit au juge de relever des circonstances atténuantes et de dispense, en tout ou partie, le contrevenant des peines prononcées ;

- M. E... n'allègue ni de circonstances constituant une force majeure, ni une faute de VNF.

Par une décision du 19 novembre 2019 de la présidente de la section administrative d'appel du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nancy, M. F... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

II. Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2019 sous le n° 19NC02816 M. G... B..., représenté par Me J..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 juin 2019 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes de VNF dirigées contre M. E....

Il soutient que :

- le tribunal administratif a été informé que le bateau " Lotus " lui appartenait désormais et non à M. E... :

- il a la garde du " Lotus " ;

- si le locataire peut être considéré comme ayant la garde de la chose, ce n'est qu'à la condition qu'il en ait l'usage exclusif ;

- il n'a pas été mis à même de déférer aux demandes de VNF ;

- la sanction ultime que constitue la confiscation du bateau ne peut pas être ici nécessaire alors, qu'en tant que propriétaire de l'embarcation, il n'a pas été mis en mesure d'obtempérer aux injonctions de l'autorité administrative ni du juge exerçant l'action domaniale ;

- les principes de proportionnalité et de nécessité sont d'autant moins respectés, en l'espèce, que la confiscation aboutira immanquablement à la destruction du " Lotus ".

Par un mémoire en défense enregistré le 22 juin 2020, VNF, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. B... ;

2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2000 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait la chose qui a été la cause du dommage ;

- lorsqu'il existe plusieurs contrevenants, chacun peut être poursuivi et condamné ;

- la circonstance que M. B..., qui n'a pas le pouvoir de direction et de contrôle du " Lotus ", n'est pas poursuivi en sa qualité de propriétaire du bateau n'a pas d'incidence sur la régularité de la procédure en cause de contravention de grande voirie ;

- la qualité de propriétaire du bateau de M. B... ne peut lui être opposée qu'à compter du 22 octobre 2018 en application de l'article L. 4121 du code des transports ;

- le moyen tiré de la méconnaissance du principe général des droits de la défense est inopérant en l'espèce dans la mesure où M. B... n'est pas le contrevenant ;

- M. B..., en sa qualité de propriétaire, s'est vu communiquer la procédure de première instance et a présenté ses observations par un mémoire enregistré le 22 mai 2019 ;

- les moyens tirés de prétendues atteintes aux principes de nécessité de l'exécution forcée des décisions administratives, de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines sont, en l'espèce, inopérants compte tenu du caractère objectif de l'infraction constitutive d'une contravention de grande voirie ;

- le caractère mécanique du contentieux de grande voirie interdit au juge de relever des circonstances atténuantes et de dispenser, en tout ou partie, le contrevenant des peines prononcées.

Un mémoire produit pour M. B... le 25 janvier 2021 n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme L..., présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., pour M. G... B..., de Me A... pour les Voies Navigables de France et de Me C... pour M. F... E....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes 19NC02607 et 19NC02816 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. E..., ancien propriétaire du bateau " Lotus " dans lequel il réside, a été autorisé par convention d'occupation temporaire du domaine public du 8 janvier 2010 à stationner cette péniche à Thionville sur la rive droite de la Moselle canalisée. La demande de renouvellement de cette concession a été rejetée par Voies navigables de France (VNF) le 22 avril 2015 en raison de l'absence d'accord du maire de Thionville, nécessaire en vertu de l'article L. 2124-13 du code général de la propriété des personnes publiques. A la suite de procès-verbaux de contravention de grande voirie de novembre 2015 et de la saisine du tribunal administratif de Strasbourg par VNF, M. E... a été condamné, par jugement du 12 juillet 2017 confirmé par un arrêt de la cour de céans du 13 décembre 2018, à payer une amende de 500 euros et il lui a été enjoint sous astreinte de procéder à l'enlèvement du bateau dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous peine d'une astreinte de 50 euros par jour de retard. L'intéressé n'ayant pas procédé à l'enlèvement du bateau " Lotus ", VNF a demandé au tribunal aministratif, au titre de l'action publique, de condamner le contrevenant au paiement d'une amende de 2 000 euros et, au titre de l'action publique, d'ordonner la confiscation du bateau. Par jugement du 26 juin 2019, le tribunal administratif a condamné M. E... au paiement d'une amende de 2 000 euros (article 1er) et a prononcé la confiscation du bateau, faute pour M. E... d'avoir évacué celui-ci dans un délai de vingt jours à compter de la notification du jugement (article 2). M. E... et M. B..., nouveau propriétaire du bateau " Lotus ", font appel de cette décision respectivement par des requêtes enregistrées sous les n° 19NC02607 et 19NC02816.

Sur la régularité de la demande de première instance :

3. Aux termes de l'article L. 4313-3 du code des transports : " " Dans le cas où des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine défini par le chapitre IV du présent titre ont été constatées, le directeur général de Voies navigables de France saisit la juridiction territorialement compétente, en lieu et place du préfet, dans les conditions et suivant les procédures prévues par le chapitre IV du titre VII du livre VII du code de justice administrative. / Il peut déléguer sa signature aux directeurs des services territoriaux de l'établissement. Ces derniers peuvent subdéléguer leur signature aux agents de l'établissement chargés de fonctions d'encadrement. ".

4. Il résulte de ces dispositions que pour saisir la juridiction territorialement compétente en cas d'atteinte à l'intégrité et à la conservation du domaine public fluvial, le directeur général de VNF est, contrairement à ce que soutient M. E..., compétent sans qu'il soit besoin d'une délégation du président de l'établissement. La saisine du tribunal administratif ayant été effectuée par M. K..., directeur territorial Nord Est de VNF, qui avait reçu délégation de signature de la part du directeur général, par décision du 5 mai 2017 régulièrement publiée, a donc été accomplie conformément aux dispositions précitées. Par suite, comme l'ont relevé les premiers juges, la saisine de VNF n'était pas entachée d'irrégularité.

Sur le bien-fondé de l'amende infligée à M. E... :

5. En premier lieu, la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait la chose qui a été la cause du dommage. Il résulte de l'instruction que M. E..., alors propriétaire du bateau " Lotus " et qui bénéficiait d'une autorisation de stationnement jusqu'au 31 octobre 2014, s'y est maintenu après l'enregistrement, le 22 octobre 2018, de l'acte de vente du bâtiment dont l'article 3 stipule : " Le Lotus ne pourra être vendu si la condition " garder M. E... F... comme gardien du bateau " n'est pas respectée à chaque revente. ". Il en résulte que M. E... occupait le bateau Lotus et en assumait la garde et l'entretien. En conséquence, comme l'ont relevé les premiers juges, M. E... avait effectivement la qualité de gardien du bateau et pouvait à ce titre être poursuivi.

6. En deuxième lieu, le tribunal administratif de Strasbourg était tenu, sans avoir à rechercher si le maintien en place du bateau " Lotus " compromettait l'utilisation normale du domaine public fluvial ou constituait une gêne pour les travaux d'aménagement menés par la commune de Thionville, de faire droit aux poursuites exercées par le directeur général de VNF à l'encontre de M. E....

7. En troisième lieu, la circonstance que l'intéressé acquitte la taxe foncière sur le bâtiment n'est pas de nature à faire obstacle à la constatation d'une contravention de grande voirie.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamné à payer une amende de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques.

Sur l'action domaniale :

9. Il résulte de l'instruction que le bateau " Lotus " a été vendu par M. E... à M. B... depuis plusieurs années et que la régularisation de cette vente a été réalisée tardivement. Or, la péniche appartenant à M. E... faisait partie des bateaux dont le transfert de propriété doit être rendu public par une inscription sur un registre tenu au tribunal de commerce pour être opposable aux tiers. Toutefois, à la date à laquelle le tribunal administratif s'est prononcé le 26 juin 2019, le certificat d'immatriculation du bateau établissant que cette formalité avait été accomplie auprès du greffe du tribunal de commerce, dans les conditions prévues par le décret du 17 octobre 1960, avait été délivrée à M. B... le 22 octobre 2018. En conséquence, M. E... n'étant plus le propriétaire du bateau " Lotus ", les premiers juges ne pouvaient plus faire droit aux conclusions présentées par VNF au titre de l'action domaniale, laquelle était exclusivement dirigée contre M. E....

10. Il en résulte que M. E... et M. B... sont fondés à demander l'annulation de l'article 2 du jugement du 26 juin 2019 du tribunal administratif de Strasbourg décidant la confiscation du bateau, faute d'évacuation du domaine public fluvial dans un délai de vingt jours.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées à ce titre par VNF.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du 26 juin 2019 du tribunal administratif est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à M. G... B... et à Voies navigables de France.

Copie en sera transmise au ministre de la transition écologique.

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N° 19NC02607-19NC02816 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02607-19NC02816
Date de la décision : 25/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-03-01-03 Domaine. Domaine public. Protection du domaine. Contraventions de grande voirie. Personne responsable.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : MUNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-25;19nc02607.19nc02816 ?
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