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23/02/2021 | FRANCE | N°20NC01142

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 23 février 2021, 20NC01142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 13 août 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer l'attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant un an, d'autre part, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloign

ement prise à son encontre jusqu'à la date de la lecture en audience publique ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 13 août 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer l'attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant un an, d'autre part, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou de la notification de son ordonnance.

Par un jugement n° 1906777 du 11 octobre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mai 2020, Mme A... E..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1906777 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 11 octobre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 13 août 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant fixation du pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions du second alinéa de l'article L.513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, d'une erreur d'appréciation et d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme E... ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... E... est une ressortissante géorgienne, née le 26 janvier 1975. Elle est entrée régulièrement en France, le 17 novembre 2018, munie de son passeport biométrique à fin d'y solliciter l'asile. Examinée en procédure accélérée, sa demande d'asile, présentée le 28 novembre 2018, a été successivement rejetée par l'Office français des réfugiés et apatrides le 27 juin 2019, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 16 octobre 2019. L'intéressée ne bénéficiant plus du droit de se maintenir sur le territoire français, conformément aux dispositions du 7° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Bas-Rhin, par un arrêté du 13 août 2019, a refusé de lui délivrer l'attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant un an. Mme E... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 13 août 2019, d'autre part, à la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou de la notification de son ordonnance. Elle relève appel du jugement n° 1906777 du 11 octobre 2019, qui rejette sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Mme E... fait valoir que sa fille aînée, née le 16 août 1995 et entrée en France en même temps qu'elle, a obtenu la reconnaissance de la qualité de réfugiée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 juin 2019 et qu'elle a été mise en possession, le 29 juillet 2019, d'une carte de résident de dix ans valable jusqu'au 28 juillet 2019. Il ressort cependant des pièces du dossier que la requérante, qui a déclaré aux services de la préfecture, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, être veuve et sans enfant à charge, n'est présente sur le territoire français que depuis le 17 novembre 2018, soit depuis moins de huit mois à la date de la décision en litige. Si son fils cadet, né le 4 août 1997, réside également en France, il est constant que la demande d'asile de l'intéressé a été rejetée le 27 juin 2019 et qu'il fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 17 octobre 2019. Mme E... n'apporte aucun élément permettant d'apprécier son intégration dans la société française. Nonobstant le décès de son époux survenu le 19 juin 2015, elle n'établit pas davantage être isolée dans son pays d'origine. Enfin, s'il résulte du certificat médical du 4 novembre 2019 que la fille de la requérante présente une cardiopathie hypertrophique nécessitant une prise en charge régulière et un traitement à vie, ce même document se borne à indiquer, sans aucune autre précision, que " ces éléments légitiment et nécessitent la présence de sa mère " et ne suffit donc pas à démontrer, eu égard aux termes dans lesquels il est rédigé, le caractère indispensable de la présence de Mme E... aux côtés de sa fille. Par suite, alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :

4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

5. Si Mme E... fait valoir que sa fille aînée a été victime de persécutions en Géorgie en raison de son orientation sexuelle et que celle-ci a obtenu, pour ce motif, la reconnaissance de la qualité de réfugiée en France, elle n'établit pas qu'elle serait elle-même exposée, de façon actuelle, directe et personnelle, à des traitements prohibés par les stipulations et les dispositions ainsi invoquées. Par suite, alors que, au demeurant, sa demande d'asile a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et par le second alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent être accueillis.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

6. Aux termes du troisième paragraphe de l'article L. 511-1, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

7. Il n'est pas contesté que, à la date de la décision en litige du 13 août 2019, Mme E... ne s'est pas soustraite à une précédente mesure d'éloignement et que sa présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que l'intéressée justifie d'attaches familiales sur le territoire français puisque sa fille aînée y réside sous couvert d'un certificat de résidence de dix ans, qui lui a été délivré le 29 juillet 2019 en sa qualité de réfugiée. Dans ces conditions, alors même que l'arrivée en France de la requérante est récente, le préfet du Bas-Rhin, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un an, a commis une erreur d'appréciation. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler la décision en litige.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du 13 août 2019 portant interdiction de retour sur le territoire français d'un an.

Sur les frais de justice :

9. Mme E... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2019, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme totale de 1 500 euros à Me D..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1906777 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 11 octobre 2019 est annulé uniquement en tant qu'il rejette les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision du 13 août 2019 portant interdiction de retour sur le territoire français d'un an.

Article 2 : La décision du préfet du Bas-Rhin du 13 août 2019 portant interdiction de retour sur le territoire français d'un an est annulée.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me D..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me D... pour Mme A... E... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

N° 20NC01142 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01142
Date de la décision : 23/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SNOECKX

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-23;20nc01142 ?
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