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04/02/2021 | FRANCE | N°18NC02894

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 04 février 2021, 18NC02894


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 9 septembre 2016 par laquelle la directrice de la maison centrale de Clairvaux l'a suspendu, à titre préventif, de ses fonctions à l'atelier et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1602282 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Ch

âlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 9 septembre 2016 par laquelle la directrice de la maison centrale de Clairvaux l'a suspendu, à titre préventif, de ses fonctions à l'atelier et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1602282 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée, sous le n° 18NC02894, le 25 octobre 2018, M. D..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 juin 2018 et la décision du 9 septembre 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 7611 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la communication du sens des conclusions du rapporteur public du tribunal administratif de Strasbourg n'a pas répondu aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;

- le jugement attaqué n'est signé ni par le président, ni par le rapporteur, ni par le greffier, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la décision litigieuse de suspension provisoire d'activité professionnelle est un acte susceptible de recours ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été mis à même de présenter utilement sa défense, conformément aux exigences l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- cette décision constitue une sanction disciplinaire déguisée ; elle est donc susceptible de recours et est illégale comme étant intervenue sans respect des garanties procédurales qui encadrent la procédure disciplinaire en prison ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article R. 57-7-22 du code de procédure pénale, dès lors qu'il n'est pas établi que la suspension d'activité professionnelle aurait constitué l'unique moyen de mettre fin à la faute ou de faire cesser le trouble occasionné.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 23 août 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 9 septembre 2016, faisant suite à une altercation survenue le 6 septembre 2016 entre M. D... et un de ses codétenus, la directrice de la maison centrale de Clairvaux a suspendu, du 9 au 13 septembre 2016, la décision de classement de l'intéressé dans un emploi au sein de l'atelier de couture de l'établissement. M. D... relève appel du jugement du 21 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article D. 432-4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la personne détenue s'avère incompétente pour l'exécution d'une tâche, cette défaillance peut entraîner le déclassement de cet emploi. / Lorsque la personne détenue ne s'adapte pas à un emploi, elle peut faire l'objet d'une suspension, dont la durée ne peut excéder cinq jours, afin qu'il soit procédé à une évaluation de sa situation. A l'issue de cette évaluation, elle fait l'objet soit d'une réintégration dans cet emploi, soit d'un déclassement de cet emploi en vertu de l'alinéa précédent ". L'article R. 57-7-34 du même code prévoit notamment, parmi les sanctions disciplinaires susceptibles d'être prononcées à l'encontre des personnes détenues majeures, " le déclassement d'un emploi ou d'une formation ", " lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l'occasion de l'activité considérée ". En dehors des hypothèses prévues par ces dispositions, le chef d'un établissement pénitentiaire dispose, au titre de ses pouvoirs de police, de la faculté de suspendre une décision de classement dans un emploi afin d'assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité de l'établissement ou encore la protection de la sécurité des personnes, y compris de celle du détenu classé, pour une durée strictement proportionnée à ce qu'exige le but qui justifie cette mesure provisoire.

3. Il ressort des pièces du dossier que, si la décision du 9 septembre 2016 suspendant du 9 au 13 septembre 2016 la mesure de classement de M. D... dans son emploi au sein de l'atelier de couture de la maison centrale de Clairvaux vise l'article D. 432-4 du code de procédure pénale, elle est motivée par la circonstance que l'altercation de l'intéressé avec un codétenu, survenue le 6 septembre 2016, découlait d'une discorde aux ateliers le matin même avec ce codétenu et par la nécessité de préserver la sécurité des personnes et de l'établissement, les ateliers étant une zone sensible. Elle présentait ainsi le caractère d'une mesure temporaire prise par le chef d'établissement au titre de ses pouvoirs de police, en vue d'assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité de l'établissement ou la protection de la sécurité des personnes.

4. Il résulte des dispositions des articles D. 99 à D. 102 du code de procédure pénale que le travail auquel les détenus peuvent prétendre constitue pour eux non seulement une source de revenus mais encore un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l'établissement, tout en leur permettant de faire valoir des capacités de réinsertion. Si une décision de suspension d'emploi, quelle qu'en soit le fondement, revêt par nature le caractère d'une mesure temporaire, elle n'en constitue pas moins un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets propres sur la situation des détenus, tout particulièrement dans le cas où cette décision est prise, comme en l'espèce, en vue d'assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité de l'établissement ou la protection de la sécurité des personnes, y compris de celle du détenu classé, pour une durée fixée, non en référence à un plafond légal, mais de manière strictement proportionnelle à ce qu'exige le but qui justifie cette mesure provisoire.

5. Dès lors, en rejetant comme irrecevable la demande de M. D... tendant à l'annulation de la décision du 9 septembre 2016 l'ayant suspendu de son emploi, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité. M. C... est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de ce jugement.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de M. D....

Sur la légalité de la décision du 9 septembre 2016 :

7. En premier lieu, la décision du 9 septembre 2016 énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfait dès lors à l'obligation de motivation.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Ces dispositions impliquent que l'intéressé ait été averti de la mesure que l'administration envisage de prendre et des motifs sur lesquels elle se fonde, et qu'il bénéficie d'un délai suffisant pour présenter ses observations.

9. Il ressort des pièces du dossier que, par un document notifié en mains propres à M. D... le 6 septembre 2016 à 19 heures, celui-ci a été informé par la directrice de la maison centrale de Clairvaux qu'il était susceptible de faire l'objet d'une décision de déclassement d'emploi et que cette décision pourrait être mise à exécution à titre conservatoire. Ce document précisait que le motif de ces éventuelles mesures était l'altercation survenue le jour même entre M. D... et un de ses codétenus. Au surplus, il informait l'intéressé de sa faculté de présenter des observations et d'être assisté ou représenté par un avocat ou un défenseur de son choix. Les pièces se rapportant à cette procédure de déclassement ont par ailleurs été transmises au requérant le 7 septembre 2016 en vue d'une audience qui s'est déroulée le 9 septembre 2016. Dès lors, celui-ci a été mis à même, dans un délai suffisant, de présenter utilement ses observations écrites et orales avant l'édiction de la décision de suspension intervenue le 9 septembre 2016. Le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration doit dès lors être écarté.

10. En troisième lieu, la mesure de suspension d'emploi prise à l'égard de M. D... avait pour objet, ainsi qu'il a été dit, le maintien de l'ordre public au sein de l'établissement pénitentiaire. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette mesure aurait présenté le caractère d'une sanction déguisée.

11. En dernier lieu, M. D... soutient que la mesure de suspension d'emploi dont il a fait l'objet est illégale dès lors qu'elle ne constituait pas, selon lui, l'unique moyen de mettre fin à la faute ou de faire cesser le trouble occasionné au sens des dispositions de l'article R. 57-7-22 du code de procédure pénale. Il ne saurait toutefois utilement se prévaloir de ces dispositions à l'encontre de la décision attaquée, qui ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 9 septembre 2016 par laquelle la directrice de la maison centrale de Clairvaux l'a suspendu, à titre préventif, de ses fonctions à l'atelier de couture.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. C... au titre des frais non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 juin 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

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N° 18NC02894


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02894
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. Exécution des jugements. Exécution des peines. Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-04;18nc02894 ?
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