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04/02/2021 | FRANCE | N°18NC02393

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 04 février 2021, 18NC02393


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy à lui verser la somme de 11 235,17 euros au titre de la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'absence de prise en charge de son sevrage tabagique lors d'une intervention consistant en une abdominoplastie avec transposition de l'ombilic du 14 avril 2011.

Par un jugement n° 1702034 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné l

e centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy à verser à Mme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy à lui verser la somme de 11 235,17 euros au titre de la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'absence de prise en charge de son sevrage tabagique lors d'une intervention consistant en une abdominoplastie avec transposition de l'ombilic du 14 avril 2011.

Par un jugement n° 1702034 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy à verser à Mme D... une somme de 2 350 euros au titre des préjudices subis lors de l'intervention du 14 avril 2011 et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Meurthe-et-Moselle des sommes de 2 473,80 euros au titre de ses débours et de 824,60 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 4 septembre 2018 et le 5 octobre 2018, le CHRU de Nancy représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1702034 du tribunal administratif de Nancy en date du 5 juillet 2018 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme D... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal a été saisi ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que le CHRU de Nancy aurait dû s'interroger sur le sevrage tabagique de la patiente et que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que cette absence de sevrage n'a pas été porté à sa connaissance ; à la date des faits les données acquises de la science ne recommandaient nullement la réalisation de test pour confirmer l'arrêt du tabac ; l'information adaptée a été délivrée à Mme D..., or cette dernière a sciemment et délibérément caché la réalité des faits au praticien pour ne pas retarder l'intervention ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que le défaut de prise en charge pluridisciplinaire du sevrage tabagique et de l'absence de détection de la consommation tabagique sont constitutifs d'une faute ; aucune faute ne peut être retenue dès lors que le patient a été informé de la nécessité d'arrêter de fumer ;

- à titre subsidiaire c'est à tort que le tribunal a évalué la perte de chance de se soustraire à l'aggravation d'une nécrose à 20 % ;

- à titre subsidiaire si une faute était reconnue à l'encontre du CHRU de Nancy, le comportement de Mme D... doit être regardé comme de nature à exonérer totalement le centre hospitalier ; à supposer qu'une responsabilité partielle soit retenue, le comportement de Mme D... sera de nature à exonérer le centre hospitalier au moins à hauteur de 80 % ;

- à titre subsidiaire, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu une perte de chance à hauteur de 20 % de se soustraire à l'aggravation du préjudice ;

- le jugement sera infirmé en ce qu'il alloue une somme de 420,96 euros à la CPAM pour des frais d'appareillage sans que l'attestation d'imputabilité y fasse référence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2018, présenté par Me B..., Mme F... D... conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce que le jugement du tribunal administratif de Nancy soit infirmé en ce qu'il a sous-évalué le préjudice subi ;

- à la condamnation du CHRU de Nancy à lui verser une somme de 11 235,17 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHRU est engagée pour absence de prise en charge du sevrage tabagique et non-respect du délai minimal entre l'arrêt du tabac et l'intervention chirurgicale ;

- le CHRU ne saurait s'en tenir aux seules indications du patient et devait vérifier par un test préalable à l'intervention ;

- le CHRU se devra d'indemniser Mme D... de son entier préjudice ;

- la majoration du risque de nécrose ayant été chiffrée à 33 % dans le rapport d'expertise, ce taux doit être retenu et non l'application d'un taux de perte de chance de 20 %, il lui sera dès lors allouée la somme demandée de 11 235,17 euros.

Par des mémoires enregistrés le 11 septembre 2019 et le 7 février 2020 présentés par Me A..., la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle conclut :

- au rejet de la requête du CHRU et à la confirmation du jugement ;

- à la condamnation du CHRU à lui rembourser ses débours à hauteur d'une somme de 24 738,01 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la première demande, affectée par le taux de perte de chance et du partage de responsabilité retenu par la juridiction, ainsi qu'une indemnité de gestion de 1 090 euros ;

- au versement par le CHRU d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les frais sont parfaitement justifiés et ont été pris en charge par l'organisme social.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 22 novembre 2018, Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., présidente-asseseure,

- les conclusions de M. Goujon-Fischer, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., née le 23 septembre 1964, a été hospitalisée CHRU de Nancy le 14 avril 2011 pour une abdominoplastie avec transposition de l'ombilic. Dans les suites de l'intervention, Mme D... a développé plusieurs complications post-opératoires relatives à des difficultés de cicatrisation se manifestant par une nécrose sous ombilicale. Ces complications ont justifié deux reprises chirurgicales, les 11 mai 2011 et 6 mars 2014, cette dernière intervention ayant été suivie d'une désunion de la cicatrice et d'un abcès purulent. Le CHRU de Nancy relève appel du jugement en date du 5 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser à Mme D... une somme de 2 350 euros au titre des préjudices subis lors de l'intervention du 14 avril 2011 et à la CPAM de Meurthe-et-Moselle une somme de 2 473,80 euros au titre de ses débours et une somme de 824,60 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur la régularité du jugement :

2. En se bornant à soutenir que le jugement attaqué est insuffisamment motivé par rapport aux conclusions dont les premiers juges étaient saisis, le CHRU de Nancy ne permet pas aux juges d'apprécier la pertinence de ce moyen, qui devra dès lors être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité du CHRU de Nancy :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction et notamment d'une expertise diligentée par une ordonnance en date du 26 avril 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy et confiée au Docteur Sitbon qui a déposé son rapport le 29 mars 2017, que si l'intervention à visée esthétique a été réalisée selon les règles de l'art, il est très vite apparu dans les suites de l'intervention une nécrose de la partie basse de la peau décollée pour réaliser le lifting de l'abdomen. Cette complication de cicatrisation est imputable à l'absence de tout sevrage tabagique de la patiente puisqu'il est désormais connu que l'arrêt du tabac doit être total pour limiter la vasoconstriction liée tant au monoxyde de carbone qu'à la nicotine, surtout dans les jours précédant l'intervention. En l'espèce, l'addiction tabagique de Mme D... était importante puisqu'évaluée à 20 à 27 paquets-années et accompagnée d'une bronchopathie chronique connue. Elle est ancienne et cette forte dépendance impliquait un risque pour l'intéressée de ne pouvoir interrompre seule cette addiction et parallèlement de dissimuler la réalité des faits pour ne pas retarder une intervention à visée esthétique. L'addiction tabagique de Mme D... était connue du chirurgien, lequel a certes préconisé un arrêt du tabac à sa patiente et lui a fourni une documentation écrite relatant les risques, mais sans aucun accompagnement au sevrage, ni même trace d'une information verbale. Plusieurs éléments auraient toutefois dû attirer l'attention du chirurgien, d'abord l'ancienneté et l'importance du tabagisme, puis la consultation avec l'anesthésiste qui a fait ressortir un tabagisme mais ne précisait aucunement un quelconque sevrage. Contrairement à ce que soutient le CHRU de Nancy, cette demande de sevrage total de tabac avec accompagnement devait émaner du chirurgien lui-même dès lors notamment que Mme D... présentait un risque connu de nécrose de la paroi abdominale liée à son tabagisme et que dès le début des années 2000 tant la littérature médicale que des prescriptions adressées aux soignants par voie de circulaire préconisaient l'évaluation de la dépendance des fumeurs en plus des questionnaires par le dosage des métaboliques urinaires de la nicotine parallèlement à la détermination du taux de monoxyde de carbone dans l'air expiré. En conséquence, comme l'ont relevé les premiers juges, compte tenu de l'absence de sevrage tabagique de l'intéressée et de la nécessité d'une prise en charge, qui était particulièrement justifiée en l'espèce en raison du caractère non urgent d'une intervention à visée uniquement esthétique, le défaut de prise en charge pluridisciplinaire du sevrage tabagique de Mme D... ainsi que l'absence de détection de l'arrêt de consommation tabagique sont constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité du CHRU de Nancy.

En ce qui concerne l'appel incident de Mme D... :

S'agissant du taux de perte de chance :

5. Il résulte de l'instruction que de manière générale selon la littérature médicale, une personne tabagique présente une majoration de 33 % du risque de développement de nécrose. Contrairement à ce que soutient Mme D..., ce taux ne correspond pas à la perte de chance de l'intéressée de se soustraire au risque d'aggravation de la nécrose mais constitue l'estimation de l'accroissement du risque de survenue d'une nécrose en cas de consommation tabagique. Compte tenu de la faute commise par le CHRU et du risque de ne pas réussir un sevrage dans le cas d'une forte et ancienne addiction, c'est par une exacte appréciation que les premiers juges ont pu estimer que Mme D... avait perdu une chance, à hauteur de 20 %, de se soustraire à l'aggravation de la nécrose dont elle a été victime.

En ce qui concerne le fait exonératoire :

6. Il résulte de l'instruction que Mme D..., avisée des risques de la consommation de tabac dans les jours précédant l'intervention chirurgicale, n'a pas informé le corps médical de son impossibilité d'interrompre sa consommation. Elle a par suite sciemment dissimulé la vérité malgré les risques encourus. En conséquence, comme l'ont retenu les premiers juges, Mme D... doit être regardée comme ayant par son attitude commis un fait de nature à exonérer à hauteur de 50 % la responsabilité du CHRU de Nancy.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

7. Il résulte de l'instruction en premier lieu que Mme D... a connu six jours de déficit fonctionnel temporaire total, au titre de la période du 13 au 16 mai 2011 et du 7 au 10 mars 2014, une journée de déficit fonctionnel temporaire de 75 % le 8 juin 2011, un déficit fonctionnel temporaire de 33 % du 17 mai au 4 novembre 2011 puis du 10 mars 2014 au 24 septembre 2014 et enfin un déficit fonctionnel temporaire de 15 % au titre de la période du 5 novembre 2011 au 9 mars 2014. En conséquence, compte tenu du taux de perte de chance et de l'exonération partielle de responsabilité, c'est par une exacte appréciation que les premiers juges ont évalué ce préjudice à une somme de 400 euros.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les souffrances endurées par Mme D... ont été évalués à 3,8/7. Il a été fait une juste appréciation par le tribunal du préjudice ainsi subi en l'évaluant à 600 euros compte tenu du taux de perte de chance et de l'exonération partielle de responsabilité.

9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que Mme D... a subi un préjudice esthétique temporaire, évalué à 3,6 sur une échelle de 0 à 7 par l'expert, au cours d'une durée de 39 mois et un préjudice esthétique définitif évalué à 3,1 sur 7. C'est par une exacte évaluation que les premiers juges ont condamné le CHRU de Nancy à indemniser ces préjudices à l'intéressée par les sommes respectives de 200 et 350 euros.

10. En quatrième et dernier lieu, il résulte de l'instruction que le déficit fonctionnel permanent dont reste atteinte Mme D... est évalué à 7 %. Compte tenu de son âge à la date de consolidation de son dommage et de l'ampleur de la chance qu'elle a perdue ainsi que de l'exonération pour moitié de la responsabilité du CHRU de Nancy, il a été fait une juste appréciation de ce préjudice en première instance en l'évaluant à une somme de 800 euros.

11. Il résulte de ce qui précède que l'appel incident de Mme D... ne peut qu'être rejeté.

Sur la demande de la CPAM de Meurthe-et-Moselle :

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la somme contestée par le CHRU de Nancy de 420,96 euros figurant parmi les débours alloués à la CPAM pour des frais d'appareillage est justifiée par l'attestation d'imputabilité du médecin conseil au titre des matériels et appareils de traitement divers pour la période du 31 janvier au 4 avril 2014. En conséquence, le CHRU n'est pas fondé à soutenir que la somme de 24 738,01 euros correspondant aux débours de la CPAM n'aurait pas dû être retenue par les premiers juges.

13. En second lieu, c'est par une exacte application de l'arrêté du 20 décembre 2017 alors en vigueur que les premiers juges ont accordé à la CPAM de Meurthe-et-Moselle une indemnité forfaitaire de gestion à hauteur de 824,60 euros. La demande de la CPAM présentée à ce titre doit dès lors être rejetée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le CHRU de Nancy n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser à Mme D... une somme de 2 350 euros au titre des préjudices subis lors de l'intervention du 14 avril 2011 et à la CPAM de Meurthe-et-Moselle une somme de 2 473,80 euros et que Mme D... et la CPAM ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est borné à leur allouer les sommes susmentionnées ainsi que, s'agissant de la caisse, une somme de 824,60 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les frais d'instance :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la CPAM de Meurthe-et-Moselle présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du CHRU et les conclusions de Mme F... D... et de la CPAM de Meurthe-et-Moselle sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier régional universitaire de Nancy, à Mme F... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

Copie en sera adressée au préfet de la Meurthe-et-Moselle.

2

N° 18NC02393


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02393
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: M. GOUJON-FISCHER
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-04;18nc02393 ?
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