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04/02/2021 | FRANCE | N°18NC01983

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 04 février 2021, 18NC01983


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 11 avril 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Jury-les-Metz l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de deux années.

Par un jugement n° 1704128 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 18NC01983 le 13 juillet 2018, complétée par un mémoire enregistré le

17 décembre 2019, le centre hospitalier de Jury-les-Metz, représenté par Me B..., demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 11 avril 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Jury-les-Metz l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de deux années.

Par un jugement n° 1704128 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 18NC01983 le 13 juillet 2018, complétée par un mémoire enregistré le 17 décembre 2019, le centre hospitalier de Jury-les-Metz, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 mai 2018 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. D... C... ;

3°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 1 600 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a statué ultra petita, dès lors que M. C... n'avait pas soulevé le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction ;

- le harcèlement sexuel est établi ;

- la sanction prononcée à l'encontre de M. C... n'est pas disproportionnée ;

- les autres moyens soulevés devant le tribunal n'étaient pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 septembre 2018 et 6 janvier 2020, M. D... C..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Jury-les-Metz sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée ;

- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., pour le centre hospitalier de Jury-les-Metz.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... C..., infirmier diplômé d'Etat depuis 1986, a été recruté à compter du 1er octobre 2016 par le centre hospitalier de Jury-les-Metz, pour exercer les fonctions de cadre de santé au sein du service psychiatrique SPUL-CAC de l'Hôpital de Mercy de Metz. Après avoir été suspendu de ses fonctions le 25 novembre 2016, il a été exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de deux années, au motif [WC1]d'attitudes et de propos constitutifs de harcèlement sexuel, par une décision du directeur du centre hospitalier de Jury-les-Metz en date du 11 avril 2017. Le centre hospitalier de Jury-les-Metz fait appel du jugement du 17 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a, sur demande de M. C..., annulé cette décision, au motif que la sanction présentait un caractère disproportionné.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. A supposer même que le tribunal administratif ait statué ultra petita en jugeant que la sanction prononcée par le directeur du centre hospitalier de Jury-les-Metz présentait un caractère disproportionné, alors que M. C... n'aurait pas soulevé le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction, cela affecterait le bien-fondé du jugement, et non sa régularité. Au surplus, en soutenant, dans sa demande de première instance, que la décision contestée " a entraîné des conséquences extrêmement graves qui doivent être prises en compte par le juge dans son appréciation du bilan coût-avantage de la décision prononcée ", qu'elle " repose manifestement sur une erreur d'appréciation " et que ses conséquences sont " manifestement excessives ", M. C... doit être regardé comme ayant soulevé le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction qui lui a été infligée.

3. Par suite, le centre hospitalier de Jury-les-Metz n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Il ressort des termes de la décision contestée, qui se fonde notamment sur les dispositions de l'article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, qu'elle a été prise au motif que M. C... avait eu des propos et des attitudes constitutifs de harcèlement sexuel, dès lors, d'une part, qu'il avait tenu, à l'égard de certaines collègues féminines et de deux élèves-infirmières en stage, des propos " à caractère sexuel déplacés, répétés, corroborés et systématiques ", et ce " en dépit des demandes réitérées des intéressées de les voir cesser " et, d'autre part, qu'il avait eu " des attitudes menaçantes et des paroles, dont la teneur était parfaitement étrangère au service, à l'égard de personnels féminins, lors de la fixation de leurs plannings, dans le seul but d'exercer une pression morale à leur endroit ".

5. D'une part, aux termes de l'article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droit et obligation des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. (...) Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas ".

6. Il résulte de ces dispositions que sont constitutifs de harcèlement sexuel des propos ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante.

7. D'autre part, il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve qui lui incombe de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

8. S'il ressort des pièces du dossier, notamment du compte rendu des nombreux entretiens effectués dans le cadre de l'enquête administrative, que plusieurs membres du personnel féminin ont reconnu n'avoir pas été les témoins directs des faits reprochés à M. C... et s'être contenté de rapporter les rumeurs ayant couru à son propos, il ressort également des pièces du dossier, notamment des témoignages concordants d'agents féminins ayant fait l'objet des propos et attitudes de M. C... ou ayant été les témoins directs de ces propos et attitudes, que l'intéressé s'exprimait fréquemment de façon vulgaire, en particulier pour exprimer son agacement à l'égard du logiciel de gestion des plannings, qu'il faisait preuve d'un humour systématiquement salace, qu'il avait des gestes déplacés et qu'il employait des termes à connotation sexuelle ou exprimant sa misogynie. C'est ainsi, par exemple, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C... a appelé de ses voeux le retour au " droit de cuissage " et qu'il a touché les cheveux d'une élève-infirmière, lui reprochant de s'être lissé les cheveux sans lui demander sa permission et en évoquant à cette occasion ses poils pubiens. [WC2]Dès lors, la matérialité des faits reprochés à M. C... à l'égard du personnel féminin du service doit être regardée comme établie.

9. Ainsi qu'il a été dit plus haut, les propos et attitudes reprochés à M. C... et dont la matérialité est établie étaient à connotation sexuelle. En outre, loin d'être isolés, et nonobstant la circonstance que l'intéressé était présent depuis moins de deux mois dans le service quand il a fait l'objet de la décision de suspension de ses fonctions, ces propos et attitudes présentaient un caractère répétitif, dès lors qu'ils correspondaient à la manière habituelle de M. C... de s'exprimer à l'égard du personnel féminin et, tout spécialement, à l'égard d'une aide médico- administrative, de deux adjointes administratives et d'une infirmière. Ces comportements, non désirés par les agents qui en étaient les destinataires, comme en témoigne le malaise qu'ils ont créé dans le service, étaient de nature à porter atteinte à la dignité des personnels concernés ou à créer à leur encontre une situation intimidante ou offensante. Dès lors, ils constituent un harcèlement sexuel, au sens des dispositions de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983, sans qu'y fasse obstacle les circonstances, d'une part, qu'ils soient intervenus dans un contexte de laisser-aller généralisé au sein du service, où les attitudes et propos à caractère sexuel étaient fréquents et, d'autre part, que l'on ne puisse pas regarder l'intéressé comme ayant cherché à exercer des pressions dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle. Il s'ensuit que le tribunal administratif ne pouvait pas, sans commettre une erreur de qualification juridique, juger que, quoique fautifs et de nature à justifier une sanction disciplinaire, ces faits n'étaient pas constitutifs de harcèlement sexuel.

10. Toutefois, si le statut de M. C..., cadre de santé, aurait dû lui commander de faire preuve d'un comportement irréprochable, en particulier à l'égard du personnel féminin du service, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de la séance du 23 mars 2017 de la commission administrative paritaire locale réunie en conseil de discipline, que l'habitude avait été prise de tenir des propos à connotation sexuelle dans le service, antérieurement à l'arrivée de M. C.... En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le comportement de ce dernier, infirmier depuis 1986, ait posé des problèmes avant son arrivée récente dans le service psychiatrique SPUL-CAC de l'Hôpital de Mercy. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la hiérarchie de l'intéressé l'aurait mis en garde officiellement et par écrit, avant d'engager à son encontre une procédure disciplinaire moins de deux mois seulement après sa prise de fonction, ni qu'elle aurait tenté de remédier aux pratiques délétères qui avaient déjà cours avant son arrivée dans le service. Par suite, la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux années présente un caractère disproportionné.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Jury-les-Metz n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de son directeur en date du 11 avril 2017.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le centre hospitalier de Jury-les-Metz demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Jury-les-Metz le versement de la somme que M. C... demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Jury-les-Metz est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. C... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Jury-les-Metz et à M. D... C....

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

[WC1]Pour ne pas paraître juger à l'avance

[WC2]Cela ne paraît pas entrer dans les critères du harcèlement sexuel.

2

N° 18NC01983


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01983
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-04-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Sanctions. Erreur manifeste d'appréciation.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : DAVID DAVID-LENHOF VELER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-04;18nc01983 ?
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