Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 15 juin 2017, confirmée par une décision implicite, par lesquelles le préfet du Haut-Rhin a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son époux, M. F... A....
Par un jugement no 1706116 du 12 juin 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2018, Mme B... D... épouse A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 juin 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 15 juin 2017 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son époux, M. F... A... et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin à titre principal de faire droit à sa demande de regroupement familial et subsidiairement de réexaminer sa demande de regroupement familial ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la compétence de l'auteur de la décision n'est pas établie ;
- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet du Haut-Rhin qui n'a pas produit d'observations en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante marocaine, est entrée en France, selon ses déclarations en 2010, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour d'une durée d'un an à compter du 13 décembre 2013 portant la mention " vie privée et familiale ". Elle a sollicité en 2014 un titre de séjour en qualité de conjoint de français, que le préfet du Haut-Rhin lui a délivré et qui a été renouvelé, par trois fois, puis elle a bénéficié d'une carte de résidence pour la période du 13 décembre 2013 au 12 décembre 2023. Après avoir divorcé de son conjoint français, l'intéressée a épousé, le 29 janvier 2016, M. F... A.... La requérante a alors déposé, le 30 septembre 2016, une demande de regroupement familial en faveur de son époux. Par une décision du 15 juin 2017, le préfet du Haut-Rhin a rejeté cette demande. Le recours gracieux présenté le 31 juillet 2017 par Mme A... a été implicitement rejeté par le préfet. Par un jugement du 12 juin 2018, dont Mme A... fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ".
3. Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. (...) ".
4. Aux termes de l'article R. 411-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : / - cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes ; (...) ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le caractère suffisant du niveau de ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période, même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande.
6. Il est constant qu'au cours de la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, soit le 30 septembre 2016, Mme A..., a perçu de septembre 2015 à août 2016, la somme de 7 223,83 euros bruts au titre de salaires et la somme de 1 746 euros au titre de l'allocation de retour à l'emploi versée par Pôle emploi, soit un revenu mensuel brut de 747,49 euros. Elle justifie également, par la production d'attestations de salaires d'octobre 2015 et décembre 2016 établies par le ministère de l'économie et des finances du Royaume du Maroc, que sur la période de référence, son conjoint, en sa qualité de fonctionnaire, a perçu un salaire brut mensuel de 19 301,74 dirhams, soit, sur la base d'un taux de change moyen de 0,092 euros, un salaire équivalent à 1 775,76 euros bruts (1223 euros nets) et qu'il perçoit, depuis janvier 2017, une pension mensuelle nette de 13 210 dirhams, soit environ 1 215 euros nets. Ainsi, les ressources stables de Mme A... et de son conjoint sont supérieures à la moyenne du salaire minimum de croissance sur cette même période, dont le montant brut s'élevait à la somme de 1 462,07 euros (SMIC 2015 et 2016 respectivement de 1457,52 et 1466,62 euros). Contrairement à ce que soutient le préfet du Haut-Rhin, les dispositions précitées n'impliquent pas que les ressources du conjoint bénéficiaire du regroupement soient versées sur un compte situé sur le territoire français, ni même que le conjoint réside déjà en France. Par suite, en refusant le bénéfice du regroupement familial sollicité, au motif que Mme A... ne justifiait pas de ressources suffisantes et stables au cours des douze mois précédant sa demande, le préfet du Haut-Rhin a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il s'ensuit que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 15 juin 2017 ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Haut-Rhin fasse droit à la demande de regroupement familial présentée par la requérante. Il y a lieu, par suite, de lui enjoindre de délivrer l'autorisation de regroupement au bénéfice de son époux dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement no 1706116 du 12 juin 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La décision du 15 juin 2017 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a rejeté la demande de regroupement de Mme A... et la décision implicite de rejet de son recours gracieux sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin d'autoriser le regroupement familial au bénéfice de l'époux de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... pour Mme B... A... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Haut-Rhin.
N° 18NC02111 2