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22/12/2020 | FRANCE | N°18NC01803

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 22 décembre 2020, 18NC01803


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les délibérations n° 39275160505 et n° 39275160506 du 2 mai 2016 par lesquelles le conseil municipal de Lamoura a décidé de vendre l'immeuble " Chalet de la Frasse " à Mme I... au prix de 170 000 euros, d'enjoindre à la commune de Lamoura de solliciter la résiliation de la vente conclue avec Mme I... ou, à défaut, de saisir le juge des contrats aux fins de constatation de sa nullité, dans un délai de trente jours à compter du jug

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les délibérations n° 39275160505 et n° 39275160506 du 2 mai 2016 par lesquelles le conseil municipal de Lamoura a décidé de vendre l'immeuble " Chalet de la Frasse " à Mme I... au prix de 170 000 euros, d'enjoindre à la commune de Lamoura de solliciter la résiliation de la vente conclue avec Mme I... ou, à défaut, de saisir le juge des contrats aux fins de constatation de sa nullité, dans un délai de trente jours à compter du jugement à intervenir et de mettre à la charge de la comme de Lamoura la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1601120 du 26 avril 2018, le tribunal administratif de Besançon a annulé les délibérations du conseil municipal de Lamoura du 2 mai 2016, a enjoint à la commune de solliciter la résiliation amiable de la vente conclue avec Mme I... ou, à défaut, de saisir le juge des contrats aux fin de constatation de sa nullité, dans un délai de deux mois à compter du jugement et a mis à la charge de la commune de Lamoura le versement à M. A... C... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée, sous le n° 18NC01803, le 22 juin 2018, et trois mémoires enregistrés les 28 août, 18 octobre et 16 décembre 2019, la commune de Lamoura, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 26 avril 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Besançon ;

3°) de mettre à la charge de la commune de M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que le chalet de la Frasse était une dépendance du domaine public, dès lors qu'il n'était affecté ni à l'usage direct du public, ni à une activité érigée en service public et ne bénéficiait au demeurant d'aucun aménagement indispensable à un tel service public ;

- M. C... n'est pas fondé à se prévaloir de l'absence d'inscription à l'ordre du jour de la vente du chalet de la Frasse ;

- la commune n'était donc pas tenue de recourir au procédé de l'adjudication, ni de faire précéder la vente de mesures de publicité ou d'organiser une mise en concurrence des acquéreurs éventuels ; la délibération litigieuse n'est entachée d'aucun favoritisme ;

- la décision de vendre le chalet relevait de son pouvoir discrétionnaire et ne saurait être discutée devant la juridiction de l'excès de pouvoir.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 7 janvier et 20 septembre 2019, M. A... C..., représenté par la SCP Chaton-Grillon-Brocard-Gire conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mis à la charge de la commune de Lamoura le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la commune requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 4 décembre 2020, Mme B... I..., représentée par Me G..., conclut :

1°) à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Besançon du 26 avril 2018 ;

2°) au rejet de la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Besançon ;

3°) à ce que soit mise à la charge de M. C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le défaut d'information des conseillers municipaux affectant les délibérations du 2 mai 2016 est resté sans influence sur le sens de leur décision ;

- en l'absence d'affectation au service public et d'aménagement spécial, le chalet de la Frasse ne constituait pas une dépendance du domaine public ;

- le prix de cession du chalet était justifié par les travaux d'investissement à y réaliser ;

- l'annulation des délibérations du 2 mai 2016 ne saurait, en tout état de cause, justifier l'annulation de la vente, également autorisée par une délibération du 9 janvier 2017, contre laquelle aucun recours n'a été exercé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales,

- le code général de la propriété des personnes publiques,

- le code de justice administrative,

- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- les observations de Me E..., pour la commune de Lamoura, présentées par la voie d'un procédé de télécommunication audiovisuelle,

- et les observations de Me H..., pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 39275160505 du 2 mai 2016, le conseil municipal de la commune de Lamoura a autorisé la vente d'un ensemble immobilier composé d'un chalet d'alpage et d'un terrain de pâtures et de bois, situé au lieu-dit " La Frasse ". Par une délibération n° 39275160506 du même jour, le conseil municipal a autorisé le maire à réaliser cette vente au prix de 170 000 euros au profit de Mme I..., en charge depuis 2010 de la gestion de ce chalet dans le cadre d'un contrat de location avec la commune. Par un jugement du 26 avril 2018, le tribunal administratif de Besançon a fait droit à la demande de M. A... C... tendant à l'annulation de ces délibérations et a enjoint à la commune de solliciter la résiliation amiable de la vente conclue avec Mme I... ou, à défaut, de saisir le juge des contrats aux fin de constatation de sa nullité, dans un délai de deux mois à compter de son jugement. La commune de Lamoura relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance au domaine public d'un bien était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entrainer le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1. En vertu du principe désormais énoncé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles. Leur cession ne peut intervenir, s'agissant de biens affectés à un service public, qu'après qu'ils ont fait l'objet d'une désaffectation et d'une décision expresse de déclassement.

3. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Lamoura a fait l'acquisition, le 21 novembre 1920, d'un ensemble immobilier comprenant notamment un chalet, situé en altitude au lieu-dit La Frasse, au coeur de la forêt du Massacre dans le parc du Haut-Jura. Après avoir été loué, avec sa pâture, à un exploitant agricole, ce chalet a été mis à la disposition de l'Office national des forêts dans le cadre d'une opération d'amélioration du massif forestier du Massacre entre les années 1950 et l'année 1976. Il a ensuite été mis à la disposition de l'association Le Foyer rural de 1976 à 2001 en tant que gîte d'étape et de refuge, assurant des prestations d'hébergement et de restauration au profit des usagers de la montagne et des pistes de ski voisines. Ce chalet a ensuite été exploité aux mêmes fins dans le cadre de contrats de location conclus avec des personnes physiques, par un premier preneur, de 2001 à 2009, puis par Mme I..., à compter du 12 janvier 2010.

4. La circonstance que, depuis 1976 et sa mise à disposition de l'association Le Foyer rural, puis sa location successive à deux autres exploitants, le chalet de la Frasse ait reçu des randonneurs, usagers des pistes de ski voisines ou autres usagers de la montagne ne suffit pas à le faire regarder comme ayant été affecté à l'usage direct du public, dès lors qu'il n'était accessible à ces usagers que dans le cadre des prestations d'hébergement et de restauration qu'il leur délivrait, au demeurant à titre onéreux.

5. En revanche, il ressort des pièces du dossier que la gestion du chalet de la Frasse a été confiée en 1976 à l'association Le Foyer rural. D'importants travaux ont été réalisés d'abord en 1980, puis en 1995-1996, avec les concours financiers de la commune de Lamoura, de la communauté de communes de la Station des Rousses Haut-Jura, de la région Franche-Comté, de l'Etat et de l'Union européenne afin de doter le chalet des équipements électriques, sanitaires, thermiques et de sécurité, ainsi que des aménagements intérieurs nécessaires à l'accueil du public et à la fourniture des prestations de restauration et d'hébergement, notamment la restructuration complète de l'accueil, du bar et des cuisines du chalet. En décidant ainsi, avec le concours des autres collectivités publiques, la mise en place de cette activité d'accueil, de restauration et d'hébergement sur un site situé en altitude à proximité de pistes de skis et de lieux de randonnées et ouvert aux divers usagers de la montagne, la commune de Lamoura a affecté le chalet en cause au service public de développement touristique. Cette affectation au service public a d'ailleurs été confirmée par la conclusion en 1997, d'une convention tripartite entre la commune de Lamoura, la communauté de communes de la Station des Rousses Haut-Jura et l'association Le Foyer rural, qui prévoyait, outre la mise à disposition gratuite du chalet à l'association, la prise en charge des frais d'entretien du bâtiment et la responsabilité de l'équipement et des installations techniques par la commune, l'obligation, pour l'association de réinvestir l'excédent de recettes de son exploitation dans le chalet et un contrôle exercé par la commune et la communauté de communes sur la gestion et les activités du chalet. Eu égard aux aménagements spéciaux dont le chalet de la Frasse a été doté, à la suite des travaux réalisés en 1980 et en 1995-1996, en vue de ce service public, ce chalet constituait une dépendance de domaine public communal, sans qu'y fassent obstacle la circonstance qu'il ait été érigé sur le domaine forestier, ou que la compétence de l'action touristique ait été transférée à la communauté de communes. Si, à compter de 2001, le chalet de la Frasse a fait l'objet d'une exploitation commerciale, dans le cadre de contrats de location, par plusieurs personnes physiques, dont, en dernier lieu, Mme I..., cette circonstance n'a pas été de nature à retirer à cet immeuble le caractère de dépendance du domaine public qu'il avait précédemment acquise. A défaut de décision de déclassement, ce chalet ne pouvait, en conséquence de son appartenance au domaine public, légalement faire l'objet d'une cession.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Lamoura n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a fait droit à la demande de M. C... dirigée contre les délibérations du 2 mai 2016 autorisant la cession du chalet à Mme I....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. L'annulation d'un acte détachable d'un contrat de droit privé n'impose pas nécessairement à la personne publique partie au contrat de saisir le juge du contrat afin qu'il tire les conséquences de cette annulation. Il appartient au juge de l'exécution de rechercher si l'illégalité commise peut être régularisée et, dans l'affirmative, d'enjoindre à la personne publique de procéder à cette régularisation. Lorsque l'illégalité commise ne peut être régularisée, il lui appartient d'apprécier si, eu égard à la nature de cette illégalité et à l'atteinte que l'annulation ou la résolution du contrat est susceptible de porter à l'intérêt général, il y a lieu d'enjoindre à la personne publique de saisir le juge du contrat afin qu'il tire les conséquences de l'annulation de l'acte détachable.

8. Il résulte de ce qui a été dit au points 2 à 5 que la cession du chalet de la Frasse, qui constitue une dépendance du domaine public, ne pouvait intervenir qu'après que ce chalet ait fait l'objet d'une décision expresse de déclassement. En l'absence de disposition permettant son déclassement à titre rétroactif, l'illégalité des délibérations du 2 mai 2016 autorisant sa vente ne peut faire l'objet d'aucune régularisation. En outre, l'annulation ou la résolution du contrat de vente conclu par le maire de Lamoura le 21 décembre 2017 au profit de Mme I... ne sont pas susceptibles, dans les circonstances de l'espèce, de porter à l'intérêt général une atteinte disproportionnée au regard de la nature de l'illégalité commise. Ainsi, et alors même que l'autorisation de vendre le chalet a été réitérée par une délibération du 9 janvier 2017, sans déclassement préalable, l'annulation des délibérations du 2 mai 2016 implique nécessairement la résolution de ce contrat de vente, sans préjudice de la possibilité ouverte à la commune de Lamoura de conclure un nouveau contrat de vente à la suite d'une décision régulière de déclassement. Il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre à la commune de Lamoura, si elle ne peut obtenir de sa cocontractante qu'elle accepte la résolution amiable de ce contrat, de solliciter du juge du contrat cette résolution, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par la commune de Lamoura et par Mme I... au titre des frais non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Lamoura la somme de 2 000 euros au titre de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Lamoura est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Lamoura, si elle ne peut obtenir de Mme I... qu'elle accepte la résolution amiable du contrat de vente conclu avec elle le 21 décembre 2017, de saisir le juge du contrat afin qu'il prononce la résolution de ce contrat, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : La commune de Lamoura versera à M. C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lamoura, à M. A... C... et à Mme B... I....

2

N° 18NC01803


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01803
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Domaine - Domaine public.

Domaine - Domaine public - Régime - Déclassement.

Procédure - Incidents.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FAVIER
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : REMOND

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-22;18nc01803 ?
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