Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à titre principal de prononcer la nullité des opérations de l'expertise ordonnée avant dire droit à la suite d'un diagnostic de myélome au centre hospitalier universitaire de Reims et d'ordonner une nouvelle expertise ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une contre-expertise et, en tout état de cause, de condamner ce même centre hospitalier à lui verser à titre de provision une somme de 100 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis.
Par un jugement n° 1701142 du 9 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 novembre 2018, M. H..., puis par un mémoire enregistré le 21 octobre 2020, ses ayants droits reprenant l'instance à la suite de son décès, Mme C... veuve F..., Mme K..., M. I... et M. J... représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif en date du 9 octobre 2018 ;
2°) de prononcer la nullité du rapport d'expertise du Docteur Rouger ;
3°) d'ordonner une nouvelle expertise confiée à un oncologue ;
4°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à leur verser à titre provisionnel une indemnité de 100 000 euros en réparation des postes de préjudices imputables à la faute commise du fait d'un retard de diagnostic et la perte de chance ;
5°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Reims à leur verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal ne pouvait se fonder sur l'expertise diligentée dans cette affaire compte tenu de ses insuffisances ;
- le tribunal a refusé de reconnaître la faute du centre hospitalier par une argumentation critiquable ;
- l'expertise ne contient aucune analyse ni aucune démonstration, l'examen du demandeur n'est nullement rapporté, les réponses aux questions sont notoirement insuffisantes voire totalement absentes ;
- l'expert a manqué de façon caractérisée à ses devoirs d'expert ; il y a une contradiction flagrante dans ses conclusions à propos du choix thérapeutique décidé par le centre hospitalier ; l'expert ne procède par aucune affirmation, le choix du vocabulaire n'est pas sérieux et révèle des approximations ; ce même rapport a été écarté par le tribunal de grande instance de Reims ;
- l'expert indique un taux sans aucune précision ; il évoque des souffrances surtout psychiques et morales sans évaluer la part imputable au centre hospitalier ;
- une nouvelle expertise ou contre-expertise est donc nécessaire pour apprécier la faute commise et évaluer les préjudices subis ;
- le centre hospitalier universitaire de Reims a commis des fautes du fait d'un retard de diagnostic lui faisant perdre une chance de guérison ; la littérature médicale et ses analyses démontrent qu'il présentait un risque et devait faire l'objet non d'une abstention mais d'un traitement thérapeutique ;
- M. H... en a subi de nombreux préjudices.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2019, le centre hospitalier universitaire de Reims représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le professeur Rouger expert a pleinement déféré à la mission qui lui a été confiée ;
- la perte de chance relevée par l'expert ne saurait justifier une nouvelle expertise puisqu'elle est imputable aux médecins libéraux ; les critiques de l'expertise concernent la phase pré-diagnostique qui est antérieure à la prise en charge par le centre hospitalier ;
- aucun manquement ne peut être retenu à l'encontre du centre hospitalier ; la faute invoquée n'est pas établie ;
- la demande d'indemnisation n'est donc pas fondée puisque les dommages sont imputables à la maladie de l'appelant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E..., présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. G..., auquel a été diagnostiqué une défaillance cardiaque au mois d'août 2009, a constaté que son état continuait de se détériorer malgré les séances de réadaptation cardiaque qui lui ont été prescrites. Il a été pris en charge par le centre hospitalier universitaire de Reims où un myélome de stade 1 lui a été diagnostiqué. A l'issue d'une réunion de concertation pluridisciplinaire le 8 septembre 2010, l'équipe médicale du centre hospitalier universitaire de Reims a décidé une abstention thérapeutique provisoire. Insatisfait de ce traitement, M. G... a consulté le service spécialisé de l'Institut Gustave Roussy de Villejuif où il a été traité par plusieurs cycles de chimiothérapie en septembre 2011 ainsi que par la réalisation d'une auto-greffe en novembre 2012. Il a introduit une demande devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne aux fins de voir ordonner une nouvelle expertise afin d'obtenir la condamnation du centre hospitalier universitaire de Reims à l'indemniser des préjudices qu'il estime causés par les fautes commises à l'occasion de sa prise en charge par ce dernier. Par un jugement en date du 9 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. M. G... puis à son décès ses ayants droits, ont relevé appel de ce jugement et présentent devant la cour les mêmes conclusions tendant à la nullité des opérations expertables, à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée et à l'allocation d'une indemnité provisionnelle.
Sur la demande d'une nouvelle expertise :
2. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. ".
3. Il résulte de l'instruction qu'une expertise a été diligentée par une ordonnance du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne par ordonnance du 4 mars 2014 et confiée au professeur Rouger, lequel a déposé son rapport le 23 mars 2015. Dans le même temps, le professeur Rouger s'est également vu confier une expertise par ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Reims du 6 novembre 2012 et a déposé ses conclusions le 8 décembre 2014.
4. Dans son jugement du 9 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a relevé une irrégularité dans la procédure d'expertise tenant à l'absence de consignation des observations des parties dans le rapport et a toutefois conservé le rapport d'expertise comme élément d'information en tenant compte des observations présentées par les parties sur ses conclusions.
5. Le rapport d'expertise déposé le 23 mars 2015 prend position dans ses conclusions à la fois sur la responsabilité des médecins libéraux ayant suivi M. G... et sur la responsabilité des médecins exerçant au sein du centre hospitalier universitaire de Reims. Le Professeur Rouget n'évoque pas l'entière prise en charge du patient au sein du centre hospitalier de Reims mais le seul diagnostic et la thérapeutique choisie par les docteur Adjizian et professeur Delmer, dont on apprend dans les pièces du dossier médical qu'ils exercent au centre hospitalier universitaire de Reims. Si l'expert admet que l'intervention des deux praticiens a été claire et efficace aboutissant à un diagnostic précis, il conclut que " le choix thérapeutique est affaire d'école, une voie plus agressive aurait pu être choisie comme à l'IGR. La perte de chance est plutôt liée à la première catégorie de médecins, les 3 suscités ; le choix du Pr Delmer est validé par un comité légitime (RCP) ; le RCP est-il local ou élargi ' certains se posent la question ". Ces affirmations sont faites sans explication ni démonstration scientifique. Plus loin, l'expert se prononce sur les préjudices qui sont évalués sans aucune explication, ni même taux ou date précis.
6. En conséquence, le rapport d'expertise du 23 mars 2015 ne repose pas sur une analyse minutieuse et complète des éléments du dossier médical de M. G.... Ses conclusions pour le moins lacunaires procèdent, sur certains points, d'un raisonnement dénué de toute rigueur scientifique et de toute référence à la littérature médicale. Pourtant, les nombreux éléments médicaux apportés par les parties sont contradictoires sur plusieurs points et, notamment, par rapport aux analyses de sang du patient en lien avec le développement du myélome. Le rapport d'expertise et les éléments médicaux nombreux versés au dossier par l'appelant ne permettent ainsi de déterminer ni les conditions de prise en charge du patient au centre hospitalier universitaire de Reims, ni la pertinence ou les éventuelles conséquences du choix thérapeutique retenu, ni la part respective des différents facteurs qui ont pu concourir au développement du myélome, ni l'ampleur de la perte de chance qu'aurait fait courir un retard dans la mise en place d'un traitement, ni celle des préjudices subis. Au demeurant, par un arrêt du 12 décembre 2017, la cour d'appel de Reims a écarté l'expertise judicaire du professeur Rouget et a ordonné une nouvelle expertise judiciaire pour statuer sur la responsabilité des médecins libéraux. L'expertise du Professeur Rouget dont le rapport a été déposé le 23 mars 2015 ne met ainsi pas la cour en mesure de statuer sur la demande de condamnation du centre hospitalier défendeur.
7. Il suit de là qu'une nouvelle mesure d'expertise sollicitée apparaît ainsi non seulement utile mais également indispensable pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité contre le centre hospitalier universitaire de Reims. Il y a ainsi lieu, sans qu'il soit besoin de prononcer la nullité de l'expertise du 23 mars 2015, d'ordonner une nouvelle expertise médicale aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
8. Il résulte de ce qui précède que les consorts G... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de M. G... tendant à ce que soit ordonnée une nouvelle expertise médicale.
Sur la demande de versement d'une indemnité provisionnelle :
9. Compte tenu de ce qui précède et en l'absence de tout élément sur la prise en charge du requérant au centre hospitalier de Reims et les éventuels manquements dans le choix thérapeutique, les conclusions des consorts G... tendant à obtenir la condamnation du centre hospitalier à leur verser une indemnité provisionnelle ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
:
Article 1er : Le jugement n° 1701142 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 9 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : Une expertise médicale est ordonnée. L'expert spécialisé en oncologie aura pour mission de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. H... et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués sur lui lors de sa prise en charge par le centre hospitalier universitaire de Reims ; prendre connaissance du rapport d'expertise du Pr Rouget du 23 mars 2015 ; convoquer et entendre les parties et tous sachant ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de M. H... ;
2°) décrire l'état de santé de M. H... et, notamment, l'état pathologique de M. H... ayant conduit aux soins et aux traitements pratiqués au sein du centre hospitalier universitaire de Reims ;
3°) décrire les conditions dans lesquelles le choix de l'abstention thérapeutique a été arrêté le 8 septembre 2010 en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si la prise en charge (investigations, soins, surveillance, organisation du service) a été exempte de manquement, c'est-à-dire, concernant la prise en charge médicale proprement dite, si elle a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits en litige, notamment concernant le délai d'intervention, et, concernant l'organisation et le fonctionnement du service, s'ils ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations existantes ;
4°) déterminer l'origine des séquelles et troubles en lien avec le développement du myélome de M. H... en appréciant, le cas échéant, la part respective prise par les différents facteurs qui y auraient concouru en recherchant, à cet égard, quelle incidence sur la survenance du dommage ont pu avoir la présence d'autres pathologies, les soins et traitement mis en oeuvre par les médecins libéraux et l'état antérieur ; le cas échéant, déterminer la part du dommage présentant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec un manquement reproché au centre hospitalier universitaire de Reims ou à un accident médical non fautif ;
5°) dans le cas où le dommage serait directement imputable à un accident médical survenu sans manquement aux règles de l'art et aux données acquises de la science, d'évaluer le taux du risque qui s'est, le cas échéant, réalisé en l'espèce, c'est-à-dire la probabilité que le dommage avait de survenir en raison du choix thérapeutique en cause, eu égard aux séries statistiques disponibles et aux caractéristiques particulières de l'état de santé de M. H... ; de quantifier également la probabilité qu'avait M. H..., avant le choix thérapeutique litigieux, d'être atteint à court terme et à moyen terme (préciser le délai), du fait de l'évolution spontanée de son état antérieur, c'est-à-dire en l'absence de tout geste médical, des mêmes séquelles que celles dont il a été effectivement atteint à l'issue de la prise en charge litigieuse ; de préciser les références des données médicales sur lesquelles il se fonde, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique pertinents ;
6°) préciser, dans le cas où le manquement éventuellement commis au cours de la prise en charge médicale n'a entraîné pour M. H... qu'une perte de chance d'échapper au dommage constaté, le taux de cette perte de chance, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui lui paraîtraient pertinents ;
7°) décrire, sans imputer le taux de perte de chance éventuellement retenu, la nature et l'étendue des préjudices résultant de la prise en charge hospitalière de M. H..., en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles de sa prise en charge médicale si celle-ci s'était déroulée normalement ; à cet égard, d'apporter les éléments suivants :
a) proposer, si possible, une date de consolidation de l'état de l'intéressé en fixant notamment la période d'incapacité temporaire et le taux de celle-ci, ainsi que le taux d'incapacité permanente ;
b) donner son avis sur les dépenses de santé rendues nécessaires par l'état de M. H... en lien avec les faits en litige ;
c) préciser les frais liés aux séquelles en lien avec les faits en litige ;
d) décrire et évaluer les souffrances physiques, psychiques ou morales subies, et préciser leur lien avec les faits en litige ;
e) évaluer le préjudice d'agrément ;
f) donner tous autres éléments d'information nécessaires à la réparation de l'intégralité du dommage subi par M. H... à raison des faits en litige, notamment apprécier le besoin en aide d'une tierce personne, le préjudice sexuel et d'établissement ;
8°) préciser clairement, pour chacun de ces postes de préjudices :
a) la part qui résulte du manquement en cause ;
b) la part éventuelle qui résulterait de l'état de santé antérieur du patient ;
c) la part éventuelle qui résulterait de faits postérieurs au manquement ou à l'accident médical, survenus dans un autre établissement de santé que celui dans lequel sont survenus le manquement ou l'accident en litige.
Article 3 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre les consorts G..., la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, le centre hospitalier universitaire de Reims et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles et notamment, tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.
Article 5 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : Les conclusions des consorts G... tendant à obtenir la condamnation du centre hospitalier universitaire de Reims à leur verser une indemnité provisionnelle sont rejetées.
Article 7 : Tous droits et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à l'intervention de l'arrêt au fond.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... veuve F..., Mme K..., M. I... et M. J..., la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, le centre hospitalier universitaire de Reims et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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N° 18NC03207