Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 7 décembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 1700137 du 24 avril 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juin 2018, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 24 avril 2018 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 7 décembre 2016 portant autorisation de son licenciement pour motif disciplinaire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement lorsqu'il a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire au regard des témoignages anonymisés ;
Sur le bien-fondé du jugement :
- la décision de l'inspectrice du travail est entachée d'un défaut de motivation ;
- le principe du contradictoire a été méconnu car il n'a pu connaitre l'identité des auteurs des témoignages, ce qui lui aurait permis de les contredire et éventuellement d'apporter des explications ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis et ne pouvaient en tout état de cause justifier l'autorisation de licenciement attaquée ;
- la demande de licenciement est en lien avec ses mandats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2018, la SAS Eurostamp, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que M. D... lui verse la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet à son mémoire de première instance.
Par une ordonnance du 13 novembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 5 décembre 2019 à12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me B... pour la société Eurostamp.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... était employé au sein de la société Eurostamp, où il occupait le poste de pilote à la cellule de production et exerçait les mandats de délégué du personnel titulaire et de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Son licenciement, sollicité le 10 octobre 2016 par la société Eurostamp pour motif disciplinaire, a été autorisé le 7 décembre 2016 par l'inspectrice du travail au motif que l'intéressé avait commis des fautes suffisamment graves dans l'exercice de son activité professionnelle pour justifier une telle mesure. Par une décision du 2 juin 2017, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. D... contre cette décision. M. D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 7 décembre 2016. M. D... relève appel du jugement du 24 avril 2018, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a expressément répondu, au point 4 de son jugement, au moyen contenu dans la demande du requérant et tiré de de la méconnaissance du principe du contradictoire au regard des témoignages anonymisés. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'une irrégularité sur ce point.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 7 décembre 2016 de l'inspectrice du travail :
4. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article R. 2421-5 du code du travail, la décision de l'inspecteur du travail doit être motivée. En l'espèce, la décision du 7 décembre 2016 de l'inspectrice du travail qui vise les dispositions du code du travail applicable, détaille, avec une précision suffisante, les faits reprochés à M. D..., cite les propos tenus par le requérant envers une opératrice de production et décrit les comportements concrets qu'il a eus. Elle précise également que les faits reprochés sont suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement. Ainsi, les mentions qu'elle comporte sont de nature à mettre en mesure le requérant d'en discuter utilement les motifs. La circonstance que l'autorité administrative n'ait pas mentionné le nom des témoins des faits reprochés au salarié n'est pas de nature à faire regarder cette motivation comme insuffisante. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions du code du travail impose à l'autorité administrative d'informer le salarié concerné, de façon suffisamment circonstanciée, des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui s'en estiment victimes. Le caractère contradictoire de cette enquête implique en outre que le salarié protégé puisse être mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, notamment des témoignages et attestations. Toutefois, lorsque l'accès à ces témoignages et attestations serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
6. Il ressort des pièces du dossier que l'inspectrice du travail a reçu M. D... le 24 octobre 2016. A cette occasion, elle a remis à ce dernier les témoignages oraux qu'elle avait recueillis auprès de deux salariés de l'entreprise. Si le requérant se prévaut de ce que le caractère anonyme des témoignages ne lui a pas permis de les contredire et éventuellement d'apporter des explications, M. D..., qui a pris connaissance de leur teneur, a pu présenter utilement sa défense malgré l'occultation de l'identité des témoins entendus par l'inspectrice, comme en atteste son courrier du 7 novembre 2016 adressé à l'inspectrice du travail et dans lequel il réfute les témoignages de X et Y. Il ressort également du compte-rendu du rapport du 21 février 2017 de l'inspectrice du travail, rédigé dans le cadre du recours hiérarchique, que celle-ci a estimé qu'il existait un risque de représailles au regard des nombreuses craintes exprimées par les personnes entendues par rapport au comportement de M. D... de sorte que l'identité des témoins n'a pas été révélée. Dans ces circonstances, l'inspectrice du travail a pu, sans entacher d'irrégularité la procédure suivie, transmettre à M. D... ces témoignages de manière anonymisée, en vue de protéger leurs auteurs. Le requérant, ayant donc en tout état de cause été mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des éléments à charge recueillis par l'autorité administrative, il n'est pas fondé à soutenir que le principe du contradictoire aurait été méconnu.
7. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.
8. La société Eurostamp a demandé, par un courrier du 10 octobre 2016, à l'administration l'autorisation de licencier M. D... en raison de gestes et de propos déplacés, à caractère sexuel, à l'égard de deux salariées affectées dans le même service que lui, après en avoir eu connaissance le 13 juillet 2016. Il ressort de la décision litigieuse du 7 décembre 2016 que l'inspectrice du travail, après avoir écarté comme insuffisamment établis les faits relatés par une des deux salariées eu égard au fait qu'en l'absence de preuve, le doute doit profiter au salarié, elle a considéré que deux des faits rapportés par la seconde salariée, consistant, d'une part, en des propos à connotation sexuelle tenus au mois de février 2016 au cours du service de nuit et, d'autre part, à une date indéterminée, entre 2015 et 2016, lors d'une pause pendant le service de nuit, à avoir soulevé du sol cette salariée, à l'avoir posée sur son épaule, puis forcée à s'asseoir de force sur ses genoux pour lui administrer une fessée, devaient être regardés comme établis et justifiaient le licenciement pour motif disciplinaire de l'intéressé. L'inspectrice du travail s'est fondée sur le récit circonstancié de cette salariée, lequel est corroboré par deux témoins, présents au moment des faits, qui attestent avoir vu M. D... commettre ces deux actes mais dont l'anonymat a été préservé au regard du risque de représailles identifié par l'inspectrice du travail. Ces témoignages qui relatent de façon précise les conditions dans lesquelles M. D... a commis ces agissements déplacés, sont revêtus de force suffisamment probante et ne sont pas sérieusement remis en cause par les attestations produites de collègues de travail de M. D... louant ses qualités professionnelles et relationnelles. Ainsi, il est établi que M. D... a eu une attitude inappropriée sur son lieu de travail avec une de ses collègues, caractérisée par des propos et des gestes à connotation sexuelle. La circonstance que l'un des témoins des faits aurait eu une altercation avec M. D... quelques mois avant de témoigner en sa défaveur, ne permet pas de mettre en doute la réalité des agissements de M. D... retenus par l'inspectrice. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail se serait fondée sur des faits matériellement inexacts doit être écarté.
9. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que M. D... a eu des propos et des gestes indécents vis-à-vis de sa collègue de travail, placée au demeurant sous son autorité hiérarchique. Dans ces conditions, eu égard aux faits reprochés à l'intéressé et révélateur d'un comportement déplacé sur le lieu de travail, l'inspectrice du travail a pu estimer que les fautes commises par M. D... étaient d'une gravité suffisante pour autoriser son licenciement.
10. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait un lien entre le licenciement de M. D... et ses mandats ou son appartenance syndicale.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 décembre 2016.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société Eurostamp, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... une somme au titre des frais exposés par la société Eurostamp et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Eurostamp sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à la société Eurostamp et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
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N° 18NC01720