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19/11/2020 | FRANCE | N°19NC01985

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 19 novembre 2020, 19NC01985


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune de Troyes à lui verser la somme totale de 347 385,62 euros en réparation du dommage causé par l'illégalité du permis de construire délivré par le maire de cette commune le 29 juin 2009 et de mettre à la charge de la commune de Troyes une somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1700484 du 25 a

vril 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné la commu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune de Troyes à lui verser la somme totale de 347 385,62 euros en réparation du dommage causé par l'illégalité du permis de construire délivré par le maire de cette commune le 29 juin 2009 et de mettre à la charge de la commune de Troyes une somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1700484 du 25 avril 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné la commune de Troyes à verser à M. A... une somme de 5 486 euros à titre d'indemnité et a mis à la charge de celle-ci le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée, sous le n° 19NC01985, le 24 juin 2019, et un mémoire enregistré le 4 août 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 avril 2019 en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires au-delà de la somme de 5 486 euros ;

2°) de condamner la commune de Troyes à lui verser :

- une somme de 25 884,34 euros TTC en réparation du préjudice subi au titre des frais engagés pour l'élaboration de la nouvelle demande de permis de construire ;

- une somme de 84 429,28 euros TTC en réparation du préjudice subi au titre de la mise en conformité de la construction avec la réglementation thermique 2012 ;

- une somme de 44 770,51 euros TTC en réparation du préjudice subi au titre de la mise en conformité de la construction au regard des règles d'implantation de la construction par rapport aux limites séparatives ;

- une somme de 18 519,03 euros TTC en réparation du préjudice subi au titre de la reprise des dégradations dues à l'interruption du chantier pendant plusieurs mois ;

- une somme de 45 577,46 euros TTC en réparation du préjudice subi du fait du renchérissement du coût de l'emprunt résultant de l'annulation du permis de construire illégal ;

- une somme de 108 205,00 euros en réparation de la perte de produit d'une vente en raison de la baisse de valeur des biens immobiliers ;

- une somme de 20 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Troyes une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premiers juges ont retenu son imprudence pour exonérer la commune d'une part de sa responsabilité ;

- les frais d'élaboration d'un nouveau permis de construire, qui apparaissent pour un montant de 26 675,87 euros sur la facture établie le 24 juin 2013, présentent un lien de causalité suffisant avec la faute commise par la commune de Troyes ;

- il existe un lien de causalité entre la faute commise par la commune de Troyes et les dépenses engagées au titre de la réglementation thermique ;

- il en va de même des frais de démolition, de démontage et de reprise, des frais liés à l'interruption de chantier, du préjudice financier lié au renchérissement du coût de l'emprunt contracté, du préjudice lié au retard dans la commercialisation des logements

- la somme allouée au titre des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral est insuffisante ;

Par trois mémoires en défense enregistrés les 15 octobre 2019, 24 avril 2020 et 13 octobre 2020, la commune de Troyes, représentée par Me E..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 avril 2019 en tant qu'il fait droit partiellement aux conclusions indemnitaire de M. A... ;

3°) au rejet de la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

4°) à ce que soit mis à la charge de M. A... le versement de la somme de 5 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu, pour la majeure partie, la responsabilité de M. A..., dès lors qu'il est un professionnel de l'immobilier et était entouré des conseils d'un architecte et qu'il a en outre commencé ses travaux sans apposer au droit de son terrain le panneau permettant de faire courir les délais contentieux ;

- les frais liés au constat d'affichage du second permis octroyé à M. A... ne sont pas liés à l'octroi illégal du premier permis ; la commune ne peut se voir imputer ces frais ; à cet égard, les premiers juges ont vraisemblablement opéré une confusion entre le certificat d'affichage du premier permis et du second permis ;

- il n'est pas établi de lien de causalité entre l'octroi illégal du premier permis de construire et les frais de démolition revendiqué par le requérant ;

- les dépenses de réalisation d'un enduit, de mise en place du placoplâtre d'isolation, de pose d'une porte coulissante et d'un carrelage et à la rédaction d'un règlement de copropriété sont sans rapport avec la faute imputée à la commune ;

- .le seul fait que le premier permis de construire ait été annulé n'a causé au requérant aucun trouble dans ses conditions d'existence, ni aucun préjudice moral ;

- l'appel interjeté par l'agence Soret-Defrance Architectes est irrecevable en raison de sa tardiveté et de l'absence d'intérêt à agir de cette agence ;

- en cas de difficulté d'interprétation du plan local d'urbanisme, il pesait sur cette agence une obligation de conseil ; il n'est pas établi que la commune ait induit l'architecte en erreur ; au demeurant, l'obligation de conseil ne pesait pas sur elle ;

- les dispositions litigieuses ne présentaient pas de difficulté d'interprétation.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 17 février 2020, l'agence Soret-Defrance Architectes, représentée par Me B..., conclut :

1°) à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 avril 2019 en tant qu'il a limité la responsabilité de la commune de Troyes au tiers des conséquences dommageables de l'illégalité fautive résultant de la délivrance à M. A... de son premier permis de construire ;

2°) à la condamnation de la commune de Troyes à indemniser M. A... à hauteur de l'intégralité des préjudices que la cour jugera comme présentant un lien de causalité direct et certain avec l'annulation du permis de construire octroyé à l'intéressé.

Elle fait valoir que :

- son intervention est recevable ;

- en délivrant à M. A... un permis de construire illégal par arrêté du 29 juin 2009, la commune de Troyes, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- pas plus qu'à M. A..., il ne saurait lui être reproché d'avoir procédé à une mauvaise interprétation de l'article UCA7 du plan local d'urbanisme alors même que la commune de Troyes, qui en est l'auteur, n'a pas été en mesure de l'expliciter ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- les observations de Me F..., pour M. A...,

- et les observations de Me E..., pour la commune de Troyes.

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 avril 2009, M. A... a sollicité du maire de Troyes la délivrance d'un permis de construire portant sur la construction, 9 boulevard Danton à Troyes, d'un bâtiment composé de deux logements T7 et d'un local annexe ainsi que sur l'aménagement d'une maison existante en trois logements T2. Le maire de Troyes a délivré ce permis de construire par un arrêté du 29 juin 009, que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi par M. et Mme G..., riverains, a annulé en tant qu'il autorisait la construction du bâtiment comprenant deux logements et limitait à cinq le nombre de places de stationnement pour les véhicules, par un jugement n° 0902069 du 16 février 2012. Par un arrêté du 19 juillet 2013, le maire de Troyes a délivré à M. A... un nouveau permis de construire destiné à régulariser l'immeuble construit en exécution du permis initial annulé. Le recours formé contre ce nouveau permis par les époux G... a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 1301660 du 5 décembre 2014. Par un courrier du 8 novembre 2016, M. A... a saisi la commune de Troyes d'une demande préalable d'indemnisation portant sur un montant de 342 385,62 euros, à lui verser en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de la délivrance du permis de construire illégal. La commune de Troyes a rejeté cette demande par un courrier du 10 janvier 2017. M. A... relève appel du jugement n° 1700484 du 25 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a fait droit à sa demande indemnitaire qu'à hauteur de 5 486 euros. La commune de Troyes conclut au rejet de cette requête et relève appel incident du jugement du 25 avril 2019 en tant qu'il fait partiellement droit à la demande indemnitaire de M. A.... L'agence Soret-Defrance Architectes, dont l'intervention a été admise en première instance, relève également appel du jugement en tant qu'il a limité la responsabilité de la commune de Troyes au tiers des conséquences dommageables de l'illégalité fautive résultant de la délivrance à M. A... d'un permis de construire illégal.

Sur la recevabilité des conclusions de l'agence Soret-Defrance Architectes :

2. Est recevable à former une intervention devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. M. A... ayant mis en cause l'agence Soret-Defrance architectes devant le tribunal de grande instance de Troyes afin d'obtenir la réparation du dommage qu'il estime avoir subi du fait des irrégularités du dossier ayant entraîné l'illégalité du permis de construire délivré le 29 juin 2009, le présent arrêt est susceptible d'avoir une incidence sur la somme que ce tribunal est appelée à mettre à la charge de l'agence. Dans ces conditions, l'intervention de celle-ci est recevable. Il y a lieu, par suite, de l'admettre.

Sur la responsabilité de la commune de Troyes et le partage de responsabilité :

3. Il résulte de l'instruction que, par jugement du 16 février 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé, en tant qu'il autorisait la construction 9 boulevard Danton d'un nouveau bâtiment, comprenant deux logements, et limitait à cinq le nombre de places de stationnement pour les véhicules, l'arrêté du maire de Troyes du 29 juin 2009 accordant à M. A... un permis de construire, au motif que le projet autorisé ne respectait pas les dispositions des articles UCA7 et UCA12 du plan local d'urbanisme relatifs respectivement à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives et aux obligations en matière de réalisation d'aires de stationnement. L'illégalité dont est ainsi entaché ce permis de construire est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Troyes.

4. Toutefois, la présentation, par M. A..., d'un projet non conforme à ces dispositions du plan local d'urbanisme était en l'espèce, compte tenu de la qualité de professionnel de l'immobilier de l'intéressé et de son recours aux prestations d'un architecte, de nature à atténuer la responsabilité de la commune, alors qu'il ne résulte pas de la lecture des articles UCA7 et UCA12 du plan local d'urbanisme que ces textes présentaient des difficultés d'interprétation ou d'application susceptibles d'égarer un intervenant professionnel normalement averti et vigilant, bénéficiant de surcroît du concours d'un cabinet d'architecte. Par suite et au regard des circonstances de l'espèce, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges auraient porté une appréciation inexacte de la part de responsabilité de la commune en retenant celle-ci à hauteur d'un tiers des conséquences dommageables résultant de l'illégalité fautive de l'arrêté du 29 juin 2009.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les frais engagés pour l'élaboration de la nouvelle demande de permis de construire :

5. En premier lieu, M. A... se prévaut à nouveau d'une facture d'un montant de 600 euros TTC, datée du 1er avril 2013, émanant de l'entreprise 3ECAD et correspondant à la réalisation de plans d'étude. Toutefois, cette facture fait état d'une prestation consistant notamment dans le relevé de l'état existant et la mise en plans complète d'un bâtiment neuf non terminé, ainsi que des façades d'une maison ancienne, alors que l'annulation partielle prononcée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne le 16 février 2012 ne concernait pas cette dernière maison. Il n'est par suite pas établi que cette prestation aurait été réalisée dans le cadre des opérations nécessaires pour remédier à l'illégalité du permis délivré par le maire de Troyes le 29 juin 2009.

6. En deuxième lieu, l'élaboration d'un nouveau dossier architectural destiné, notamment, à mettre le projet de construction de M. A... en conformité avec les dispositions des articles UCA7 et UCA12 du plan local d'urbanisme de la commune de Troyes trouve uniquement son origine dans la non-conformité au regard de ces dispositions du dossier présenté par l'intéressé à l'appui de sa première demande de permis de construire et non dans la décision illégale par laquelle le maire de Troyes a fait droit à cette demande. La circonstance, alléguée par M. A..., qu'il a exposé une dépense en confiant cette seconde prestation à un autre cabinet d'architectes que l'agence Sorbet-Defrance architectes, à l'origine des erreurs contenues dans le dossier initial, alors que celle-ci avait à répondre de ces erreurs, sans frais supplémentaires, au titre de sa responsabilité contractuelle, d'ailleurs mise en cause devant le juge judiciaire, n'est pas davantage la conséquence de l'illégalité fautive entachant l'arrêté du maire de Troyes du 29 juin 2009. Enfin, il n'est ni établi, ni même allégué que la réalisation du nouveau dossier architectural ait été rendue plus coûteuse en raison des travaux destinés à la reprise des constructions érigées sur la base du permis délivré illégalement à M. A.... Il suit de là que les frais exposés par ce dernier, pour un montant de 24 675,87 euros TTC, en vue de la constitution du nouveau dossier architectural n'ont pas pour cause la faute commise par la commune.

7. En troisième lieu, si les frais d'affichage éventuellement supportés par M. A... à l'occasion de la délivrance d'un premier permis de construire ont été rendus inutiles et, ainsi, exposés en pure perte en raison de l'annulation de la décision du 29 juin 2009 octroyant illégalement ce permis, il n'en va pas de même des frais d'huissier exposés pour la réalisation d'un constat d'affichage à la suite de la délivrance du second permis de construire, dès lors que cette annulation ne les a pas rendus inutiles. En conséquence, M. A..., qui par ailleurs ne justifie ni ne demande réparation des frais engagés pour l'affichage du premier permis, ne peut prétendre à l'indemnisation des frais d'affichage correspondant au second permis. La commune de Troyes est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a fait droit à cette demande.

8. Il résulte de ce qui précède que M. A... ne peut prétendre à aucune indemnité à raison des frais engagés par lui pour l'élaboration de la nouvelle demande de permis de construire.

En ce qui concerne les dépenses de mise en conformité de la construction avec la réglementation thermique 2012 et les règles d'implantation par rapport aux limites séparatives :

9. En premier lieu, M. A... soutient avoir supporté une charge financière en raison de la nécessité dans laquelle il se s'est trouvé, après l'annulation partielle de l'arrêté du maire de Troyes du 29 juin 2009, de mettre le bâtiment érigé sous couvert de cet arrêté en conformité avec la règlementation thermique 2012. Il résulte toutefois de l'article R. 111-20 du code de la construction et de l'habitation que cette réglementation ne trouve à s'appliquer qu'aux bâtiments nouveaux et parties nouvelles de bâtiments. Compte tenu de leur imprécision, les factures présentées par le requérant pour justifier des dépenses engagées en vue de la mise en conformité du bâtiment concerné avec cette réglementation nouvelle ne permettent pas d'établir si les dépenses engagées à cette fin ont concerné des parties nouvelles de bâtiment, alors que les travaux de reprise nécessités par l'annulation partielle intervenue le 16 février 2012 étaient, comme l'ont rappelé les premiers juges, de faible ampleur. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander la condamnation de la commune de Troyes à l'indemniser du montant de ces factures, indépendamment de la question de savoir s'il aurait été en mesure de déposer sa seconde demande de permis de construire avant la date du 1er janvier 2013, à compter de laquelle le dépôt d'un permis de construire entraîne l'application de l'article R. 111-20 du code de la construction et de l'habitation.

10. En deuxième lieu, M. A... se prévaut de deux factures établies à son nom, relatives à des prestations réalisées boulevard Danton, l'une par l'entreprise Henriot, le 30 septembre 2015, faisant notamment apparaître des travaux de dépose de couvertines, pour un montant de 1 056 euros TTC, l'autre par l'entreprise Selimi le 1er octobre 2015, relative à des travaux de démolition de murs et dalle, réalisation d'une poutre et d'un chaînage, d'une arase et d'un pignon, d'évacuation des gravats et de nettoyage de l'intérieur, pour un montant total de 9 793,20 euros TTC. Ces travaux sont cohérents avec ceux décrits dans le dossier de demande de permis de construire déposé en 2013 par M. A..., destinés à remédier aux non-conformités relevées par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne dans son jugement du 16 février 2012 et résultant de la hauteur excessive, côté rue, de la construction, érigée en limite de propriété, ainsi que du non-respect de l'exigence d'un plan oblique de 45°. Dans ce contexte, la commune de Troyes n'apporte aucun élément de nature à établir que les travaux en cause auraient été effectués sur un autre immeuble que celui érigé irrégulièrement sous couvert du permis délivré le 29 juin 2009. En l'absence de caractère manifeste de l'illégalité entachant l'arrêté du 29 juin 2009, par lequel le maire de Troyes lui avait délivré ce premier permis de construire, il ne saurait être reproché à M. A... d'avoir poursuivi les travaux de construction de l'immeuble en cause malgré le recours pour excès de pouvoir introduit par des riverains devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Il ne résulte pas de l'instruction, alors qu'il apparaît, au vu du jugement du tribunal de grande instance de Troyes du 28 juillet 2016 et du dossier de demande de permis de construire déposé en 2013, que le bâtiment en cause a été érigé, hors charpente et toiture, entre 2009 et 2011, que les travaux de construction de cet immeuble se seraient poursuivis irrégulièrement entre la date d'annulation du premier permis de construire et celle de la délivrance du second. Le requérant, au nom duquel sont établies ces deux factures, justifie ainsi avoir été personnellement débiteur des sommes correspondantes. La commune de Troyes n'est par suite pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le coût des travaux décrits dans la facture de l'entreprise Henriot, pour un montant de 1 056 euros TTC et dans celle de l'entreprise Selimi, pour un montant de 9 793,20 euros TTC ci-dessus devait être inclus dans le préjudice dont M. A... pouvait demander l'indemnisation.

11. En troisième lieu, si M. A... se prévaut d'une série de factures émanant de la SARL Les Façadiers pour des travaux d'enduit, de la société CDM pour la pause d'une porte coulissante, de la société Pérez pour la pose de carrelages, de l'entreprise Barbot pour l'achat de matériels de peinture, de la SCP F. Privé - A. Piechowski pour la réalisation de plans et calculs et l'établissement d'un règlement de copropriété, et enfin de l'entreprise Henriot pour la réalisation d'une charpente, ces diverses factures sont dépourvues de toute mention permettant de s'assurer qu'elles concernent des travaux rendus nécessaires pour la mise en conformité de l'immeuble construit irrégulièrement sur la base du permis de construire annulé. En revanche, M. A... est fondé, dans la limite du partage de responsabilité retenu précédemment, à demander réparation du coût des travaux figurant pour un montant de 1 918, 80 euros TTC sur la facture établie le 19 août 2015 par l'entreprise Platerie Savinienne, concernant des travaux de reprise des plâtres, au regard de la mention explicite indiquant " reprises neuves suite démolition pour remise conformité ".

En ce qui concerne les frais de reprise des dégradations dues à l'interruption du chantier :

12. Il résulte du constat d'huissier établi le 28 avril 2015 à la demande de M. A... que l'immeuble construit irrégulièrement 9 boulevard Danton en exécution du permis de construire délivré le 29 juin 2009 était affecté, à la date de ce constat, d'importantes dégradations liées en particulier à l'humidité. Toutefois, il ne résulte ni de ce constat d'huissier, ni d'aucune autre pièce versée à l'instruction que M. A... aurait entrepris en temps utile les démarches et travaux éventuels permettant d'éviter ou de limiter les dégradations en cause, notamment le raccordement de l'immeuble à l'électricité en vue d'y assurer le chauffage. Il n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que cette carence était de nature à exonérer la commune de Troyes de sa responsabilité au regard de ce chef de préjudice.

En ce qui concerne les dépenses liées au renchérissement du coût de l'emprunt :

13. Il ressort de l'attestation du CIC du 4 décembre 2015 que M. A... a supporté des frais financiers pour un montant total de 44 577,46 euros TTC incluant 3 150 euros au titre des intérêts de retard des échéances impayées, 169,51 euros au titre de la majoration de l'assurance sur les échéances impayées et 41 257,40 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de 7% à la suite de la déchéance du terme de l'emprunt. Cette attestation n'apporte cependant aucun détail s'agissant de la période sur laquelle ces frais financiers ont couru ni sur la date de la déchéance, alors qu'il résulte de l'instruction, comme l'ont relevé les premiers juges, que, bien que bénéficiaire, à compter du 19 juillet 2013, d'un permis de construire de régularisation, M. A... n'a entrepris les travaux correspondants qu'au cours du deuxième trimestre 2015. Dès lors, l'intéressé n'établit pas que l'interruption du chantier l'a empêché d'assumer le remboursement de l'emprunt qu'il a contracté pour financer son projet ni, par suite, que son préjudice financier aurait directement été causé par la faute de la commune.

En ce qui concerne le manque à gagner :

14. Du fait de l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire qui lui avait été délivré le 29 juin 2009, M. A... doit être regardé comme n'ayant jamais obtenu un droit à construire à raison de cet acte. Par suite, le bénéfice qu'il aurait pu retirer de la construction envisagée serait résulté d'une opération elle-même illégale. Il ne saurait dès lors, en tout état de cause, prétendre à être indemnisé de son manque à gagner sur cette opération.

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral :

15. M. A... soutient avoir subi des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral liés, notamment, aux procédures auxquelles il a été attrait devant le tribunal de grande instance de Troyes, ainsi qu'aux retards de commercialisation et aux contraintes d'ordre financier auxquels il a dû faire face. Toutefois, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la somme allouée à M. A... par le tribunal de grande instance de Troyes dans son jugement du 28 juillet 2016 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de ce que l'intéressé ne saurait se prévaloir d'un retard de commercialisation ou d'un manque à gagner, ainsi qu'il a été dit au point précédent, et des tracas inhérents à une activité immobilière exercée à titre professionnel, les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral subis par M. A... ne sauraient être évalués à une somme supérieure à 3 000 euros. Il y a lieu, dès lors, de ramener à cette somme l'évaluation du préjudice subi de ce chef par l'intéressé.

16. Il résulte de ce qui précède et eu égard au partage de responsabilité retenu au point 4 cidessus que le montant de l'indemnité due à M. A... doit être ramené à la somme de 5 256 euros. La commune de Troyes est ainsi fondée à demander la réformation, dans cette mesure, de l'article 1er du jugement attaqué.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Troyes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la commune de Troyes tendant à l'application de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'agence Soret-Defrance Architectes est admise.

Article 2 : La somme de 5 486 euros que la commune de Troyes a été condamnée à verser à M. A... par l'article 1er du jugement n° 1700484 du 25 avril 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée à 5 256 euros.

Article 3 : Le jugement n° 1700484 du 25 avril 2019 du tribunal administratif de Châlon-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., à la commune de Troyes et à l'agence Soret-Defrance Architectes.

2

N° 19NC01985


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01985
Date de la décision : 19/11/2020
Type d'affaire : Administrative

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de l'urbanisme - Permis de construire.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Causes exonératoires de responsabilité - Faute de la victime.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : SELAS L ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-11-19;19nc01985 ?
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