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17/11/2020 | FRANCE | N°18NC03255

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 17 novembre 2020, 18NC03255


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale complémentaire aux fins d'évaluer le préjudice qu'elle a subi en lien avec son insuffisance hypophysaire, d'autre part, à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du tribunal de grande instance de Nancy et de condamner l'Etat au versement d'une indemnité provisionnelle de 10 000 euros, enfin, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme total

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale complémentaire aux fins d'évaluer le préjudice qu'elle a subi en lien avec son insuffisance hypophysaire, d'autre part, à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du tribunal de grande instance de Nancy et de condamner l'Etat au versement d'une indemnité provisionnelle de 10 000 euros, enfin, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 461 975, 97 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'accident de service survenu le 19 juin 2007.

Par un jugement n° 1502686 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à Mme F... une somme de 285 754,78 euros, ainsi qu'une rente viagère annuelle d'un montant de 2 964 euros, sur présentation de justificatifs et sous déduction éventuelle des sommes qui seront versées à l'intéressée au titre de la prestation du handicap, et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2018, et un mémoire complémentaire enregistré le 4 février 2020, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :

1°) d'ordonner avant dire droit une expertise complémentaire afin de déterminer s'il existe un lien d'imputabilité entre l'insuffisance hypophysaire de Mme F... diagnostiquée en 2017 et son accident de service du 19 juin 2007 ;

2°) de réformer le jugement n° 1502686 du 28 septembre 2018 ;

3°) de rejeter, dans cette mesure, la demande de première instance de Mme F....

Il soutient que :

- le lien d'imputabilité entre l'insuffisance hypophysaire de Mme F... et son accident de service du 19 juin 2007 n'est pas établi ;

- la somme de 128 271,77 euros que le tribunal lui a accordé au titre de ses dépenses de santé futures apparaît manifestement excessive ;

- le montant des préjudices patrimoniaux non indemnisés par la rente d'invalidité, à laquelle Mme E... peut prétendre, et celui des préjudices extrapatrimoniaux causés par son insuffisance hypophysaire doivent être ramenés à de plus justes proportions ;

- les conclusions à fin d'indemnisation présentées par Mme F..., par la voie de l'appel incident, sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;

- les chefs de préjudices, tels que l'assistance du médecin conseil après consolidation, les frais de déplacements après consolidation et les frais de chauffage, qui sont nouveaux en appel, sont également irrecevables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2019, et deux mémoires complémentaires enregistrés les 13 juin 2019 et 27 février 2020, Mme A... F..., représentée par Me C..., conclut, à titre principal, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement n° 1502686 du 28 septembre 2018, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné une expertise médicale complémentaire par un endocrinologue aux fins d'évaluer les préjudices subis en lien avec son insuffisance hypophysaire, en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le lien de causalité et d'imputabilité entre l'accident de service du 19 juin 2007 et l'insuffisance hypophysaire est établi ;

- ses conclusions à fin d'indemnisation présentées dans le cadre de son appel incident sont recevables ;

- elle est fondée à réclamer : s'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires, la somme de 50 euros au titre des dépenses de santé actuelles, les sommes de 244 020 euros ou, subsidiairement, de 46 480 euros au titre de l'assistance par tierce personne avant consolidation, la somme 37 348,52 euros au titre des frais divers avant consolidation ; s'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires, la somme de 27 600 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 6 000 euros au titre des souffrances endurées ; s'agissant des préjudices patrimoniaux permanents, la somme de 149 968 euros au titre de l'assistance par tierce personne après consolidation pour la période comprise entre le 30 juin 2011 et le 29 février 2020, les sommes de 1 003 384,80 euros ou de 191 130,19 euros, subsidiairement, de 840 240,22 euros ou de 160 053,52 euros, à défaut, une rente viagère annuelle de 22 248 euros ou de 4 237,92 euros, assortie d'une provision de deux ans, qui sera revalorisée conformément à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, pour la période postérieure au 29 février 2020, la somme de 865,46 euros au titre des dépenses de santé déjà exposées, les sommes de 739 323,90 euros ou, subsidiairement, de 619 547,10 euros au titre des dépenses de santé futures, les sommes de 71 332,70 euros ou, subsidiairement, de 62 100,51 euros au titre des frais divers après consolidation, la somme de 4 199,20 euros au titre de l'adaptation de son logement, la somme de 89 528,24 euros au titre des frais de l'adaptation de son véhicule ; s'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents, la somme de 418 700 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, la somme de 11 000 euros au titre du préjudice d'agrément, la somme de 55 000 euros au titre du préjudice d'établissement, la somme de 25 000 euros au titre du préjudice sexuel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Alors professeure des écoles titulaire, affectée au sein de l'école élémentaire Demangeot de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Mme A... F... a été victime, le 19 juin 2017, d'un traumatisme cranio-cervical après avoir été percutée par une perche en bois, manipulée par un élève et destinée à récupérer les ballons et autres objets perchés dans les arbres de la cour de récréation. Par une décision du 21 avril 2008, l'inspecteur de l'académie de Meurthe-et-Moselle a reconnu l'imputabilité au service de cet accident en application des dispositions du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. La commission de réforme ayant, le 27 novembre 2011, conclu à l'inaptitude totale et définitive de l'intéressée à tout emploi dans la fonction publique, Mme F... a été admise à la retraite d'office pour invalidité, à compter du 30 juin 2011, par un arrêté du 19 septembre 2012 du recteur de l'académie d'Aix-Marseille, dans le ressort de laquelle elle avait été mutée à compter du 1er septembre 2009. Ses demandes préalables d'indemnisation du 26 juin 2015 ayant été rejetées, Mme F... a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune de Lunéville à réparer les conséquences dommageables de l'accident de service du 19 juin 2007 et au versement d'une indemnité provisionnelle de 100 000 euros. Elle a également sollicité qu'il soit ordonné avant dire droit une expertise médicale aux fins de déterminer l'intégralité des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cet accident. Parallèlement, Mme F... a introduit une action en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Nancy contre le père de l'élève à l'origine de l'accident et son assureur. Par un jugement avant dire droit n° 1502686 du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Nancy a retenu la responsabilité sans faute de l'Etat, l'a condamné à verser à la requérante une provision de 10 000 euros et a ordonné avant dire droit une expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices résultant de l'accident de service du 9 juin 2007. Cette expertise ayant eu lieu le 17 janvier 2018, Mme F... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale complémentaire aux fins d'évaluer le préjudice qu'elle a subi en lien avec son insuffisance hypophysaire (ou hypopituitarisme), d'autre part, à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du tribunal de grande instance de Nancy et de condamner l'Etat au versement d'une indemnité provisionnelle de 10 000 euros, enfin, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 461 975,97 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'accident de service survenu le 19 juin 2007. Par un jugement n° 1502686 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à Mme F... une somme de 285 754,78 euros, ainsi qu'une rente viagère annuelle d'un montant de 2 964 euros, sur présentation de justificatifs et sous déduction éventuelle des sommes qui seront versées à l'intéressée au titre de la prestation du handicap, et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Le ministre de l'éducation nationale relève appel de ce jugement.

2. D'une part, selon le rapport de l'expertise judiciaire réalisée le 17 janvier 2018 par un neurologue, Mme F... souffre de migraines, d'une raideur cervicale et de douleurs séquellaires, ainsi que d'un syndrome de décompensation psychique avec somatisations diverses et troubles cognitifs, qui sont en lien direct avec le traumatisme cranio-cervical subi à l'occasion de l'accident de service survenu le 19 juin 2007. Il résulte cependant de l'interprétation donnée par un praticien hospitalier du centre hospitalier universitaire de Montpellier, spécialisé en endocrinologie, dans deux comptes rendus datés des 14 septembre 2017 et 15 mars 2018, aux résultats du bilan hormonal et de l'imagerie à résonnance magnétique pratiqués sur Mme F... les 30 mai et 28 août 2017, que la symptomatologie post-traumatique décrite par l'expert s'explique principalement par une insuffisance hypophysaire. Celle-ci, en effet, se manifeste par une grande variété de symptômes invalidants, qui concordent avec la symptomatologie post-traumatique constatée par de nombreux médecins chez la défenderesse depuis son accident de service jusqu'à ce jour, à savoir une pâleur, une asthénie, une hypersomnie, une adynamie, une perte de libido, une hypotension artérielle et une hypoglycémie. Dans son rapport, l'expert a estimé que l'existence d'une telle affection, qui n'était attestée par aucun élément probant, ne pouvait être prise en considération et que, en tout état de cause, compte tenu du délai séparant le traumatisme initial de la survenance de ces troubles hormonaux, aucun lien de causalité et d'imputabilité ne pouvait être retenu. Ces conclusions sont démenties par les comptes rendus particulièrement circonstanciés du spécialiste en endocrinologie du centre hospitalier universitaire de Montpellier, dont il ressort que cette insuffisance hypophysaire résulte directement du traumatisme crânien subi par l'intéressée à l'occasion de l'exercice de ses fonctions et qu'elle est donc imputable à l'accident de service du 19 juin 2007. Cette position est partagée par le médecin expert de la sécurité sociale qui, émettant un avis favorable à la prise en charge de la pathologie au titre d'une affection de longue durée dans son rapport du 12 avril 2008, rappelle que " la patiente souffre depuis 2007 d'une symptomatologie post-traumatique dont l'organicité n'avait pas été reconnue, ce qui a eu de graves conséquences sur le plan de son insertion professionnelle et de ses conditions de vie " et qu' " il s'agit en fait d'une insuffisance hypophysaire post-traumatique formellement diagnostiquée et justifiant un traitement spécifique substitutif ". Par suite, le lien d'imputabilité entre l'insuffisance hypophysaire de Mme F... et son accident de service du 19 juin 2017 est établi par les pièces du dossier.

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l'article L. 213-2, l'expert remet son rapport d'expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation. ".

4. Il résulte de l'instruction que l'état du dossier, notamment le rapport de l'expertise du 17 janvier 2018, qui ne prend pas en considération l'insuffisance hypophysaire diagnostiquée à Mme F... le 14 septembre 2017, ne permet pas à la cour de déterminer la nature et l'étendue des préjudices matériels et personnels présentant un lien direct et certain avec une telle pathologie. Par suite, il y a lieu d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise médicale aux fins précisées ci-après.

D E C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, procédé, par un expert spécialisé en endocrinologie désigné par la présidente de la cour, à une expertise avec pour mission de :

1°) de déterminer la nature et l'étendue des préjudices matériels et personnels présentant un lien direct et certain avec l'insuffisance hypophysaire de Mme F... ;

2°) de préciser les soins, les traitements et les aides techniques compensatoires du handicap, nécessités par l'état de santé de Mme F..., ainsi que la fréquence de leur renouvellement ;

3°) d'indiquer si la prise en considération de cette affection a une incidence sur la détermination de la date de consolidation initialement fixée au 30 juin 2011 ;

4°) de fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.

Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme F..., notamment ceux concernant les diagnostics, les actes de soins et le suivi médical pratiqués, et pourra entendre toute personne ayant participé au traitement de l'intéressée.

Article 3 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme F... et le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. Il déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant.

Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Copie en sera adressée à l'expert désigné.

N° 18NC03255 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03255
Date de la décision : 17/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise - Recours à l'expertise.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : DHEROT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-11-17;18nc03255 ?
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