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20/10/2020 | FRANCE | N°18NC03309

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 20 octobre 2020, 18NC03309


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 14 novembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Jura a autorisé l'association médicale du travail du Jura à le licencier.

Par un jugement no 1601933 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette autorisation de licenciement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 décembre 2018 et le 25 octobre 2019,

l'Organisme pour la prévention et la santé au travail, qui a succédé à l'association médicale ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 14 novembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Jura a autorisé l'association médicale du travail du Jura à le licencier.

Par un jugement no 1601933 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette autorisation de licenciement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 décembre 2018 et le 25 octobre 2019, l'Organisme pour la prévention et la santé au travail, qui a succédé à l'association médicale du travail du Jura, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 16 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de M. D....

Il soutient que :

- le caractère contradictoire de l'enquête n'a pas été méconnu ;

- les griefs imputés à M. D... sont établis ;

- les faits imputés à M. D... dans leur globalité caractérisent un harcèlement qui constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2019, M. E... D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Organisme pour la prévention et la santé au travail en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Il soutient que :

- le comportement qui lui est reproché n'est pas fautif ; les plaintes des salariés concernent ses méthodes de travail ; il n'a pas eu de propos déplacés ou humiliants ;

- le rapport sur les risques psycho-sociaux met en évidence des méthodes en décalage avec la pratique habituelle qui ne sont pas constitutives d'un harcèlement ;

- le caractère contradictoire de l'enquête a été méconnu.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

1. M. D... a été engagé, par contrat à durée indéterminée par l'association médicale du travail du Jura en qualité de médecin du travail à compter du 11 janvier 2016. Par un courrier du 15 septembre 2016, l'association a demandé à l'inspectrice du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire en invoquant des faits constitutifs d'un harcèlement moral ayant entraîné la dégradation de l'état de santé de salariés. Par une décision du 14 novembre 2016, l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation sollicitée. Par un jugement du 16 octobre 2018, dont l'Organisme pour la prévention et la santé au travail, qui a succédé à l'association médicale du travail du Jura, fait appel, le tribunal administratif de Besançon a annulé cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 4623-5 du code du travail : " Le licenciement d'un médecin du travail ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend le service de santé au travail, après avis du médecin inspecteur du travail. / Toutefois, en cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive. En cas de refus de licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il résulte des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de sa prise de fonction en janvier 2016, M. D... a mis en place, au sein de son service, une organisation différente de celle des autres services. Dans un courriel du 24 mars 2016 adressé à la direction, la secrétaire médicale, placée sous l'autorité de M. D..., a sollicité son changement de service compte tenu de cette nouvelle organisation, qu'elle a qualifiée de " directive et d'ultra protocolisée ". L'infirmière, également placée sous la subordination de ce dernier, a aussi demandé, dans un courrier du 29 avril 2016, un changement d'équipe en se plaignant de la restriction de ses tâches. Les témoignages concordants de la secrétaire et de l'infirmière, dont la teneur a été corroborée par les éléments recueillis par l'inspectrice du travail lors de l'enquête contradictoire, établissent que M. D... a drastiquement réduit l'activité des intéressées et leur marge d'initiative en leur adressant des directives excessivement précises, notamment sur la manière de tenir le dossier médical qui devait être établi sans rature avec un alignement au millimètre des mentions qui y étaient retranscrites, l'interdiction pour la secrétaire de fixer directement des rendez-vous aux salariés, dont elle devait se borner à mentionner les appels dans un cahier. Toujours selon ces attestations, lors des réunions de fin de semaine, M. D... remettait régulièrement en cause l'orientation des salariés décidée par l'infirmière, en lui demandant de justifier ses choix, lui faisait des remontrances sur la tenue des dossiers sur un ton autoritaire et, progressivement, il l'a cantonnée à la réalisation de questionnaires. En dépit de plusieurs demandes de la direction, M. D... a persisté dans son comportement plutôt que d'accepter de suivre les pratiques en cours au sein de l'association. Il est constant qu'à la suite de ces agissements, la secrétaire médicale et l'infirmière ont été placées en arrêt de travail respectivement les 23 et 24 juin 2016.

5. L'audit d'évaluation des risques psychosociaux, sollicité par l'employeur à la suite des plaintes des salariés de l'établissement, a établi que les conditions de travail au sein de l'association s'étaient dégradées à la suite de l'arrivée de M. D... et de son épouse au mois de janvier 2016. Cet audit souligne, plus particulièrement pour les deux salariées placées sous l'autorité de M. D..., qu'après avoir accueilli favorablement la démarche de changement que ce médecin avait engagée, la secrétaire et l'infirmière se sont senties mal à l'aise compte tenu de la modification progressive de leur poste respectif consistant notamment dans la suppression d'activités, la diminution de toute latitude professionnelle et des exigences différentes et particulières d'un dossier à l'autre, sans explications, générant chez elles une souffrance au travail. Il ressort également de cet audit que M. D... faisait parfois preuve d'incivilités, notamment en ne disant pas bonjour, et qu'un tiers des salariés interrogés s'était plaint d'avoir été victime en public de comportements déplaisants de sa part.

6. Si M. D... se prévaut de ses prérogatives de médecins lui conférant notamment le pouvoir de décider des examens à réaliser, de l'orientation des salariés vers un médecin traitant et de ses compétences professionnelles, soulignées notamment par l'attestation de l'infirmière d'une société adhérente, ces circonstances ne sont pas de nature à remettre en cause la matérialité des agissements indiqués aux points 4 et 5 qui excèdent, par leur nature, l'exercice normal du pouvoir d'organisation et de contrôle d'un supérieur hiérarchique et qui sont sans rapport avec l'exercice même de ses fonctions.

7. Ces agissements répétés, qui ont eu pour effet d'entraîner une dégradation de l'état de santé des deux collaboratrices de M. D..., et que l'employeur avait demandé à M. D... de faire cesser, caractérisent, dans les circonstances de l'espèce, un harcèlement moral. Eu égard à la persistance de ces agissements et à leurs conséquences sur les conditions de travail de ses deux collaboratrices et plus particulièrement sur leur santé, l'OPSAT est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé qu'ils n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement moral, ni d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. D....

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif.

9. Aux termes de l'article R. 4623-21 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le médecin du travail peut, sur sa demande, se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel du service de santé au travail ou de l'entreprise. /L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande motivée présentée par l'employeur. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient ".

10. D'une part, si l'inspectrice du travail ne s'est prononcée sur la demande d'autorisation de licenciement de M. D..., réceptionnée le 16 septembre 2016, que par une décision du 14 novembre 2016, soit au-delà du délai de 8 jours prévu à l'article précité, alors que l'intéressé avait été mis à pied à titre conservatoire, il ressort des pièces du dossier qu'en raison des nécessités de l'enquête, l'inspectrice du travail avait informé M. D... de la prolongation de ce délai par un courrier du 20 septembre 2016, qu'il avait réceptionné le lendemain. Par suite, le moyen tiré du dépassement du délai de 8 jours, qui au demeurant n'est pas de nature à entacher d'illégalité la décision d'autorisation, doit être écarté.

11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. D... a reçu, le 7 octobre 2016, dans le cadre de l'enquête contradictoire, les pièces jointes par son employeur à la demande d'autorisation de licenciement, notamment le compte rendu du conseil d'administration, ainsi que le rapport de l'audit sur les risques psychosociaux. L'inspectrice du travail lui a également communiqué, par un courrier qu'il a reçu le 8 novembre 2016, les éléments qu'elle avait recueillis dans le cadre de l'enquête. L'intéressé lui a adressé ses observations par des courriers du 11 octobre et du 10 novembre 2016, soit avant que n'intervienne la décision en litige du 14 novembre 2016. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas bénéficié d'un délai suffisant pour préparer sa défense.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'Organisme pour la prévention et la santé au travail est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2016 autorisant le licenciement de M. D....

Sur les dépens et les frais liés à l'instance :

13. D'une part, la présente instance n'a pas donné lieu à des dépens. Par suite, les conclusions présentées par M. D... sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent, en tout état de cause, être rejetées.

14. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Organisme pour la prévention et la santé au travail, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 16 octobre 2018 est annulé.

Article 2 : La demande de M. D... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. D... sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Organisme pour la prévention et la santé au travail, à M. E... D... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

N° 18NC03309 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03309
Date de la décision : 20/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : DEGOTT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-10-20;18nc03309 ?
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