La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/09/2020 | FRANCE | N°20NC00936

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 29 septembre 2020, 20NC00936


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 28 mai 2019 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 1905333 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :>
Par une requête, enregistrée le 16 avril 2020, Mme A... D..., représentée par Me B..., dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 28 mai 2019 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 1905333 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 avril 2020, Mme A... D..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1905333 du tribunal administratif de Strasbourg du 7 novembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 28 mai 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'aucune pièce du dossier ne permet de vérifier que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 30 juin 2018 est le fruit d'une délibération collégiale ;

- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la décision en litige méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- la décision portant fixation du pays de destination est insuffisamment motivée ;

- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2020, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... est une ressortissante monténégrine née le 8 juin 1989. Elle a déclaré être entrée irrégulièrement en France, le 10 mai 2015, accompagnée de son troisième enfant né le 28 septembre 2013. Elle a présenté une demande d'asile qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 septembre 2015, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 25 mai 2016. Ayant sollicité le 24 juin 2016 son admission au séjour en qualité d'étranger malade, la requérante a été mise en possession, en application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un titre de séjour valable jusqu'au 19 janvier 2018, dont elle a demandé le renouvellement le 2 février 2018. Par un courrier du 10 décembre 2018, l'intéressée a également sollicité, à titre subsidiaire, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7 de l'article L. 313-11 du même code. Par un arrêté du 28 mai 2019, le préfet de la Moselle a refusé de faire droit à ses demandes, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Mme D... a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 28 mai 2019. Elle relève appel du jugement n° 1905333 du 7 novembre 2019 qui rejette sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...) Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical (...). ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport. ". Enfin, aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...). / Cet avis mentionne les éléments de procédure. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".

3. Contrairement aux allégations de la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 30 juin 2018, qui a été signé par trois médecins, ne serait pas le fruit d'une délibération collégiale. Par suite et en tout état de cause, Mme D... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie et que la décision en litige serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de délivrer à la requérante un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet de la Moselle s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 30 juin 2018. Selon cet avis, si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il lui permet néanmoins de voyager sans risque à destination de son pays d'origine, où, eu égard à l'offre de soin et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays, elle peut effectivement y bénéficier d'un traitement approprié. Si Mme D... fait valoir qu'elle souffre d'un syndrome post-traumatique en lien avec de graves maltraitances conjugales subies au Monténégro, les éléments médicaux versés au dossier, notamment le certificat de son médecin psychiatre du 18 juin 2019, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livrée l'autorité préfectorale sur la disponibilité effective du traitement dans le pays d'origine et sur la capacité de l'étranger à voyager sans risque. La requérante ne démontre pas davantage que ses troubles psychiatriques seraient susceptibles de s'aggraver en cas de retour dans ce pays. Par suite, et alors que les allégations de l'intéressée sur la nécessité d'un lien thérapeutique entre le médecin et son patient demeurent très générales et dépourvues de tout élément circonstancié, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort, ni des motifs de la décision en litige, ni des autres pièces du dossier, que le préfet de la Moselle, qui a notamment analysé la vie privée et familiale de Mme D... et relevé qu'aucun des trois enfants vivant avec elle et son compagnon de nationalité bosnienne ne justifie de trois années de scolarisation en France, se serait abstenu d'examiner les pièces qui lui ont été soumises et de procéder à un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressée. Par suite, ce moyen doit être écarté.

7. En quatrième lieu, si Mme D... fait valoir qu'elle aurait fixé en France le centre de ses attaches privées et familiales, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée, présente sur le territoire français depuis le 10 mai 2015, n'a été admise à y séjourner qu'en qualité d'étranger malade et n'a donc pas vocation à y demeurer. En dehors de ses trois enfants mineurs et de son compagnon de nationalité bosnienne, elle ne justifie d'aucune attache familiale ou personnelle en France. La requérante, qui n'a travaillé que trois jours comme agent de service, du 26 au 29 mars 2019, ne justifie pas davantage de son intégration sociale et professionnelle dans la société française. Elle n'est pas isolée dans son pays d'origine, où résident deux autres enfants issus de sa précédente union, sa mère, deux frères et une soeur. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le compagnon de Mme D... fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et que rien ne s'oppose à ce que le couple et leurs trois enfants poursuivent leur vie privée et familiale en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro ou dans tout autre pays où ils seraient légalement admissibles. Par suite et alors que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantissent pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

8. En cinquième et dernier lieu, pour les raisons qui viennent d'être exposées, la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de Mme D... au regard du pouvoir de régularisation du préfet de la Moselle. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

9. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour, de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celle du droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale.

10. En second lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Si Mme D... se prévaut de la scolarisation en France d'un de ses enfants, il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ci, ainsi que son frère et sa soeur nés le 5 novembre 2017, seraient dans l'impossibilité de poursuivre une scolarité normale au Monténégro ou, le cas échéant, en Bosnie-Herzégovine. Par suite et alors que la décision en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leurs parents, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peut être accueilli.

En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige comporte, dans ses visas et motifs, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

12. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un retour dans son pays d'origine risquerait d'aggraver l'état de santé de la requérante. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, dont serait entachée la décision en litige, ne peut qu'être rejeté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle du 28 mai 2019. Par suite, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

N° 20NC00936 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00936
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : DOLLÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-09-29;20nc00936 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award