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29/09/2020 | FRANCE | N°19NC03378-19NC03379

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 29 septembre 2020, 19NC03378-19NC03379


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. A... D... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 5 novembre 2018 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de les admettre au séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 1900739 et 1900740 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

P

rocédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2019 sous le n°...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. A... D... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 5 novembre 2018 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de les admettre au séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 1900739 et 1900740 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2019 sous le n° 19NC03378, M. A... D..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900739 et 1900740 du tribunal administratif de Besançon du 4 juillet 2019 en tant qu'il rejette sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 5 novembre 2018 le concernant ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'aucune information n'est donnée, tant dans le rapport médical que dans l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, sur les circonstances de l'examen ayant conduit à l'élaboration de cet avis et sur les soins nécessités par son état de santé ;

- la décision en litige méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle contrevient également aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la décision en litige méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions du second alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2019 sous le n° 19NC03379, Mme F... D..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900739 et 1900740 du tribunal administratif de Besançon du 4 juillet 2019 en tant qu'il rejette sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 5 novembre 2018 la concernant ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant retrait de sa carte de séjour est insuffisamment motivée ;

- la décision en litige méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle contrevient également aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 17 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 19NC03378 et 19NC03379 concernent deux membres d'une même famille d'étrangers au regard de leur droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme F... D... et M. A... D... sont des ressortissants albanais, nés respectivement les 4 avril et 12 juin 1973. Ils ont déclaré être entrés irrégulièrement en France le 18 décembre 2012, accompagnés de leur fils mineur né le 12 mars 2009. Ils ont présenté chacun une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 janvier 2014 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 31 mars 2015. Leur demande de réexamen a également été rejetée par l'office le 24 mars 2016. La cour administrative d'appel de Nancy ayant, dans son arrêt n° 16NC00103 et 16NC00104 du 3 novembre 2016, annulé l'arrêté du 12 juin 2015 par lequel le préfet du Doubs avait refusé d'admettre au séjour M. D... en qualité d'étranger malade, ce dernier a été mis en possession d'un titre de séjour en application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont il a sollicité le renouvellement le 16 février 2018. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 5 septembre 2018, le préfet du Doubs, par deux arrêtés du 5 novembre 2018, a refusé de faire droit à sa demande, a retiré la carte de séjour pluriannuelle valable du 23 mars 2018 au 22 mars 2020, qui avait été délivrée à son épouse en conséquence de son admission au séjour, a fait obligation aux requérants de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière. M. et Mme D... ont saisi chacun le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux du 5 novembre 2020. Ils relèvent appel du jugement n° 1900739 et 1900740 du 4 juillet 2019 qui rejette leurs demandes.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".

4. Pour refuser de délivrer à M. D... un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet du Doubs s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 5 septembre 2018. Selon cet avis, si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il lui permet néanmoins de voyager sans risque à destination de son pays d'origine, où, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé en Albanie, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Il ressort des pièces du dossier que le requérant, qui présente un taux d'incapacité compris entre 50 et 80 % et bénéficie de l'allocation aux adultes handicapés pour la période allant du 1er avril 2018 au 31 mars 2020, souffrait, à la date de la décision en litige, d'une hernie discale lombaire nécessitant une intervention neurochirurgicale avec pose d'une arthrodèse L4-L5. Initialement programmée pour le 4 février 2019, cette intervention a finalement eu lieu le 7 octobre 2019 au centre hospitalier régional universitaire de Besançon. M D... verse aux débats une déclaration du ministère albanais de la santé du 18 février 2016, confirmée par une attestation d'un médecin du centre hospitalier universitaire " Mère Teresa " de Tirana du 11 octobre 2018, selon laquelle l'intervention nécessitée par son état de santé serait impossible à réaliser en Albanie à cause du manque de moyens techniques. En outre, le requérant, qui produit un extrait de la liste des médicaments disponibles et remboursables dans son pays d'origine, fait également valoir que la molécule ou le principe actif de deux médicaments composant son traitement n'y figure pas. Les éléments médicaux versés aux débats par M. D... ne sont pas sérieusement contestés par le préfet du Doubs, qui se borne à relever que " le requérant ne produit à l'appui de sa requête aucune pièce susceptible de contredire l'expertise du collège de médecins de l'OFII, s'agissant du défaut de soins et ses conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ". Ils sont de nature à remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livrée l'autorité administrative sur la disponibilité effective du traitement de l'intéressé en Albanie. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que le préfet du Doubs, en refusant le 5 novembre 2018 de renouveler son titre de séjour en qualité d'étranger malade, a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision en litige. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, qui se trouvent privées de base légale, doivent également être annulées.

5. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Compte tenu de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt, Mme D... est également fondée à soutenir que le préfet du Doubs, en procédant au retrait de sa carte de séjour pluriannuelle, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision en litige. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, qui se trouvent privées de base légale, doivent également être annulées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que M. et Mme D... sont fondés à demander l'annulation des arrêtés préfectoraux du 5 novembre 2018. Par suite, ils sont également fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Il résulte de l'instruction que M. D... a bénéficié de l'intervention neurochirurgicale nécessitée par son état de santé le 7 octobre 2019. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément sur l'évolution de sa pathologie depuis cette opération, le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation des requérants dans un délai de deux mois suivant sa notification et de leur délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais de justice :

9. M. et Mme D... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 17 octobre 2019. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que leur conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E... de la somme totale de 1 500 euros au titre des frais exposés par les intéressés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1900739 et 1900740 du tribunal administratif de Besançon du 4 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du préfet du Doubs du 5 novembre 2018 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation de M. et Mme D... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et de leur délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me E... la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme F... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

N° 19NC03378 et 19NC03379 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03378-19NC03379
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : DSC AVOCATS TA

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-09-29;19nc03378.19nc03379 ?
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