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29/09/2020 | FRANCE | N°18NC03252

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 29 septembre 2020, 18NC03252


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, d'une part, la décision du 29 septembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de la deuxième section de l'unité départementale de la Marne a autorisé son licenciement pour faute et, d'autre part, la décision de la ministre du travail du 3 avril 2017 portant retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision du 29 septembre 2016 et autorisant le licenciement de M. B... pour

faute grave.

Par un jugement no 1700845 du 23 octobre 2018, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, d'une part, la décision du 29 septembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de la deuxième section de l'unité départementale de la Marne a autorisé son licenciement pour faute et, d'autre part, la décision de la ministre du travail du 3 avril 2017 portant retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre cette décision du 29 septembre 2016 et autorisant le licenciement de M. B... pour faute grave.

Par un jugement no 1700845 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2018, M. E... B..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 octobre 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la ministre du travail du 3 avril 2017 autorisant son licenciement ;

2°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 3 avril 2017 en tant qu'elle autorise son licenciement.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- la procédure de licenciement est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2421-3 et R. 2421-6 du code du travail ;

- les faits reprochés étaient prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

- aucun fait d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ne peut lui être imputé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

1. M. B..., médecin, est salarié de l'institut de cancérologie Jean Godinot. Compte tenu de sa qualité de représentant de la section syndicale CFE-CGC, d'ancien membre titulaire du comité d'entreprise, de représentant syndical au comité d'entreprise et d'ancien délégué syndical CFE-CGC, l'institut de cancérologie Jean Godinot a sollicité l'autorisation de le licencier. Par une décision du 29 septembre 2016, l'inspecteur du travail a accordé l'autorisation sollicitée. La ministre du travail a retiré, par une décision du 3 avril 2017, la décision implicite de rejet né de son silence sur le recours hiérarchique présenté par M. B..., annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 septembre 2016 et autorisé le licenciement de M. B.... Par un jugement du 23 octobre 2018, dont M. B... fait appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. La décision contestée, après avoir visé les textes applicables, la décision de l'inspecteur du travail et les mandats de M. B..., énonce les raisons pour lesquelles la décision de l'inspecteur du travail est illégale et doit être retirée, puis celles pour lesquelles la matérialité des deux griefs reprochés à M. B... est regardée comme établie. Elle mentionne ensuite que le comportement fautif de l'intéressé est d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de la réitération d'agissements identiques à ceux commis en 2014, de son statut de médecin spécialiste et des conséquences négatives induites par son comportement sur les relations de travail au sein du service de radiologie et la prise en charge des patients. Elle ajoute enfin que la demande d'autorisation est sans lien avec les mandats de représentation exercés par M. B.... Si le requérant fait valoir que les faits énoncés par la ministre du travail ne sont pas datés et suffisamment précis, cette circonstance ne suffit pas à faire regarder cette décision comme insuffisamment motivée en fait et en droit. Par suite, le moyen doit être écarté.

3. Aux termes de l'article L. 2111-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. / Cette autorisation est également requise pour le licenciement de l'ancien délégué syndical, durant les douze mois suivant la date de cessation de ses fonctions, s'il a exercé ces dernières pendant au moins un an ". Aux termes de l'article L. 2411-8 du même code : " Le licenciement d'un membre élu du comité d'entreprise, titulaire ou suppléant, ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. / L'ancien membre élu du comité d'entreprise ainsi que l'ancien représentant syndical qui, désigné depuis deux ans, n'est pas reconduit dans ses fonctions lors du renouvellement du comité bénéficient également de cette protection pendant les six premiers mois suivant l'expiration de leur mandat ou la disparition de l'institution ". Aux termes de l'article R. 2421-6 du même code : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / Lorsque le délégué syndical bénéficie de la protection prévue à l'article L. 2421-3, la consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. (...) ". Si le délai prévu par ces dispositions n'est pas prescrit à peine de nullité, il doit toutefois être aussi court que possible eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied conservatoire.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 25 mars 2016 convoquant M. B... à un entretien préalable, l'institut Jean Godinot l'a informé qu'il était dispensé d'activité à compter du 29 mars 2016 jusqu'au terme de la procédure, tout en continuant à percevoir sa rémunération. Cette dispense de travail, prononcée en même temps que l'engagement de la procédure de licenciement pour faute grave et pour la durée de la procédure, doit être regardée comme une mise à pied conservatoire, nonobstant le maintien du salaire de l'intéressé, qui impliquait de saisir le comité d'entreprise dans les 10 jours suivant la mise à pied, puis l'autorité administrative dans les 48 heures suivant la délibération de cette instance.

5. Compte tenu de la qualité d'ancien délégué syndical et d'ancien membre titulaire au comité d'entreprise de M. B..., qui lui conférait une protection exceptionnelle, dans l'intérêt des salariés, durant respectivement les douze et six mois suivant la fin de ses mandats en application des articles L. 2411-3 et L. 2411-8 du code du travail, l'employeur était tenu de suivre, contrairement à ce qu'a relevé le tribunal administratif, la procédure prévue par l'article R. 2421-6 du code du travail.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'échec de la tentative de conciliation menée par la commission de conciliation paritaire médicale, prévue par la convention collective des centres de lutte contre le cancer, qui s'était réunie le 14 avril 2016 à la demande de M. B..., le comité d'entreprise a été consulté le 4 mai 2016, après le report, en raison de l'absence de M. B..., de la réunion de cette instance prévue initialement le 28 avril 2016. La demande d'autorisation de licenciement de M. B... a été adressée à l'inspection du travail le 31 mai suivant. Si les délais de consultation du comité d'entreprise et de saisine de l'inspection du travail ont été dépassés respectivement d'environ quinze jours, compte tenu de l'intervention, à la demande du requérant, de la commission de conciliation, et d'un mois et demi, un tel dépassement, dans les circonstances très particulières de l'espèce, notamment du fait du maintien de la rémunération de l'intéressé et de l'absence d'obstacle à la poursuite de l'exercice de son mandat syndical, ne saurait être regardé comme excessif. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des délais prévus à l'article R. 2421-6 du code du travail doit être écarté.

7. Aux termes de l'article L. 2421-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical, d'un salarié mandaté ou d'un conseiller du salarié est adressée à l'inspecteur du travail. / En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive. / Cette décision est, à peine de nullité, motivée et notifiée à l'inspecteur du travail dans le délai de quarante-huit heures à compter de sa prise d'effet (...) ". En application de l'article L. 2142-1-2 du code du travail, les dispositions du livre IV relatives à la protection du délégué syndical s'appliquent également au représentant de section syndicale.

8. Si M. B... fait valoir que la décision de mise à pied prise à son encontre par son employeur n'a pas été notifiée à l'inspecteur du travail dans le délai de 48 heures prévu par les dispositions de l'article L. 24211 du code du travail, ce moyen ne peut être utilement invoqué contre la décision contestée dès lors que la méconnaissance de ce délai n'est susceptible d'entraîner que la nullité de la décision de mise à pied et n'affecte pas la légalité de la demande d'autorisation de licenciement.

9. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

10. M. B... fait valoir que l'employeur ne peut être regardé comme ayant eu une connaissance exacte de la réalité et de la nature des faits qui lui sont reprochés à compter du 19 février 2016, date de la remise du rapport d'audit interne, dès lors que ce document ne comporte aucun fait précis qu'il serait possible de lui imputer et que l'institut Jean Godinot a reconnu que ses débordements, qui avaient déjà conduit à une réunion extraordinaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en 2014, perduraient depuis plusieurs années. Toutefois, l'audit interne, mené du 11 décembre 2015 au 18 février 2016, a été réalisé à la suite de plaintes remontées à la direction au cours de l'année 2015. Cet audit a mis en évidence avec suffisamment de précisions, contrairement à ce que soutient M. B... qui y est nommément mentionné, ses excès de comportement tant à l'égard du personnel non médical que des patients. Dès lors que le comportement fautif reproché à M. B..., dont l'audit a en outre établi la réalité, la nature et l'ampleur, présentait un caractère continu au sein du service de radiologie, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir qu'en le convoquant le 29 mars 2016, l'institut Jean Godinot a méconnu les dispositions précitées.

11. Si l'institut Jean Godinot a mentionné dans la lettre de licenciement de M. B... d'autres motifs que celui retenu par l'inspecteur du travail, cette circonstance, postérieure à la décision en litige, est sans incidence sur la légalité de cette dernière.

12. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

13. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la version confidentielle du rapport de l'audit au cours duquel une quarantaine de personnes du service de radiologie a été individuellement auditionnée, que M. B..., qui a été nommément désigné, manifestait une agressivité verbale et tenait des propos insultants ou menaçants à l'égard du personnel non médical, dont il dénigrait, par ailleurs, la qualité du travail, y compris devant les patients. Ces griefs, retenus par la ministre du travail pour autoriser le licenciement de l'intéressé, sont corroborés par des témoignages du personnel et des plaintes de patientes, transmis dans le cadre de l'enquête contradictoire réalisée à la suite du recours hiérarchique, qui mettent directement en cause le comportement de M. B.... En outre, il ressort du procès-verbal du 21 mars 2016, que lors de la restitution de l'audit devant le comité d'entreprise, en réponse à un membre du comité d'entreprise qui soulignait que l'intéressé était réputé pour l'instabilité de son humeur, ses éclats de voix et son agressivité verbale répétée, a été mentionné l'exemple selon lequel l'intéressé avait fait défiler les secrétaires devant une patiente dénudée afin de savoir laquelle avait pris le rendez-vous. Si tous les griefs figurant dans l'audit ne sont pas datés et imputables au comportement de M. B..., la matérialité de ceux qu'a retenus la ministre du travail à l'issue de l'enquête contradictoire sont suffisamment établis. Les attestations de patientes mentionnant leur confiance dans le travail de M. B... ne sont pas de nature à remettre en cause les griefs qui lui sont reprochés relatifs à son comportement.

14. Le comportement de M. B..., eu égard notamment à son caractère répété et à son incidence sur le fonctionnement du service, constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à l'institut de cancérologie Jean Godinot.

N° 18NC03252 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03252
Date de la décision : 29/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SELARL QUENTIN-DECARME

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-09-29;18nc03252 ?
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