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23/07/2020 | FRANCE | N°19NC01859

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 23 juillet 2020, 19NC01859


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral par actions à responsabilité limitée (Selarl) cabinet dentaire C... Patrick a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008.

Par un jugement n° 1202152 du 4 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16NC00594 du

6 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa demande.

Par une décisi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral par actions à responsabilité limitée (Selarl) cabinet dentaire C... Patrick a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008.

Par un jugement n° 1202152 du 4 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16NC00594 du 6 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa demande.

Par une décision n° 414109 du 12 juin 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 6 juillet 2017, en tant qu'il concerne la fraction de l'imposition correspondant à la réintégration des intérêts d'emprunt et les pénalités correspondantes, et a renvoyé l'affaire dans cette mesure à cette cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2016 et des mémoires, enregistrés le 20 avril 2017, le 9 juin 2017 et le 9 août 2019, la société d'exercice libéral par actions à responsabilité limitée (Selarl) cabinet dentaire C... Patrick, représentée par Me A..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 4 février 2016 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration doit être regardée comme s'étant fondée sur les dispositions relatives à l'abus de droit, sans appliquer la procédure spéciale qu'elles prévoient ;

- les méthodes d'évaluation retenues par l'administration s'agissant de l'évaluation du prix de cession des patientèles ne sont pas probantes et sont erronées ; l'administration n'a pas tenu compte des particularités de leur situation, s'est fondée sur des montants de chiffre d'affaires erronés et n'a opéré aucune pondération ; l'administration fiscale n'établit pas l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien ; les intérêts d'emprunt ayant servi au financement de la patientèle acquise doivent être regardés comme déductibles ;

- les indemnités kilométriques afférentes aux déplacements chez le prothésiste dentaire doivent faire l'objet d'une déduction ;

- il n'existe aucun lien démontré entre les sommes empruntées par la Selarl cabinet dentaire C... Patrick et les sommes avancées à la Sarl Financière C... ;

- la pénalité de 40 % ne pouvait pas lui être appliquée dès lors que l'administration n'établit pas l'existence d'une libéralité.

Par des mémoires, enregistrés le 21 septembre 2016 et le 19 mai 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a exercé son activité de chirurgien-dentiste sous la forme d'une entreprise individuelle jusqu'à la création de la Selarl cabinet dentaire C... Patrick à laquelle il a cédé son fonds libéral le 5 janvier 2007. A l'issue d'une vérification de comptabilité de cette société, l'administration a estimé que celle-ci avait acquis sa patientèle à un prix indûment majoré et que les intérêts de l'emprunt contracté pour financer cette acquisition devaient être réintégrés dans le résultat de la société à hauteur de la fraction excessive du prix de cession. La société a ainsi été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ainsi qu'à des pénalités. Par un jugement du jugement du 4 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions. Par un arrêt du 6 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la Selarl contre ce jugement. Par une décision du 12 juin 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt en ce qui concerne la fraction de l'imposition correspondant à la réintégration des intérêts d'emprunt et les pénalités correspondantes. Il y a lieu, par suite, de statuer dans cette mesure sur l'appel formé par la Selarl cabinet dentaire C... Patrick.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, alors applicable : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles./ En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / (...) ". Ces dispositions ne sont pas applicables, alors même qu'une de ces conditions serait remplie, lorsque le redressement est justifié par l'existence d'un acte anormal de gestion.

3. Pour estimer que la fraction des intérêts d'emprunt correspondant à l'acquisition de la partie survalorisée du droit de présentation de la patientèle acquittée par la Selarl cabinet dentaire C... Patrick devait être réintégrée dans le résultat imposable de la société au titre de l'année 2007, l'administration n'a, à aucun moment de la procédure, soutenu, même implicitement, que l'acte de cession en cause aurait été fictif ou inspiré par le seul motif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale que la société requérante aurait normalement supportée s'il n'avait pas été passé, mais s'est bornée à considérer qu'en procédant à cette acquisition à un prix majoré, la société avait procédé à un acte anormal de gestion. La société ne peut ainsi utilement soutenir qu'elle aurait été imposée en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Elle ne peut pas davantage, en tout état de cause, soutenir que l'administration aurait porté atteinte au droit au procès équitable garanti par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

4. Il résulte de l'instruction que M. C... a exercé son activité de chirurgien-dentiste sous la forme d'une entreprise individuelle jusqu'en 2007 et qu'il a décidé d'exercer cette activité sous une autre forme juridique en cédant, le 5 janvier 2007, son fonds de commerce à la Selarl cabinet dentaire C... Patrick, dont il est associé majoritaire et gérant. A l'occasion de cette cession, la société requérante a acquis le droit de présentation de la patientèle de M. C... au prix de 420 000 euros. L'administration fiscale a toutefois estimé que cette cession était intervenue à un prix anormal et a, après avis de la commission départementale des impôts et du chiffre d'affaires, estimé la valeur de la patientèle à 198 000 euros.

5. Pour estimer la valeur de la cession litigieuse, l'administration s'est fondée sur neuf termes de comparaison de cessions de patientèles de cabinets de dentistes et d'orthodontistes intervenues entre 2004 et 2006, dans des structures aux chiffres d'affaires sensiblement similaires à celui du cabinet de M. C..., situées également dans le département du Bas-Rhin et, pour sept d'entre elles, dans l'hypothèse d'une transformation d'entreprise individuelle en Selarl. Au vu de ces éléments de comparaison, la cession litigieuse a initialement été estimée à 126 000 euros. Après l'avis de la commission départementale des impôts et du chiffre d'affaires, la valeur vénale du droit de présentation de la patientèle a finalement été fixée par l'administration à la somme de 198 000 euros, correspondant à 60 % du chiffre d'affaires moyen des années 2003 à 2005.

6. Si la société requérante conteste la méthode d'évaluation retenue par l'administration, elle ne propose pas de méthode qui permettrait une évaluation plus précise du prix de cession. En outre, contrairement à ce qu'elle soutient et ainsi qu'il a été dit au point 5, les neuf termes de comparaison retenus par l'administration concernent des cas assez similaires à la cession en cause. Sept d'entre eux correspondent ainsi à des cessions réalisées dans le cadre d'une transformation d'entreprise individuelle en Selarl. En outre, si la requérante conteste la présence de cabinets d'orthodontie dans le choix de l'échantillonnage et fait valoir que les cabinets d'orthodontie ont une valeur de marché supérieure à celle de cabinets dentaires, d'une part, les chiffres d'affaires des structures retenues par l'administration sont sensiblement similaires à celui du cabinet de M. C... et, d'autre part, il ressort des éléments produit la requérante elle-même que le chiffre d'affaire de M. C... était supérieur au chiffre d'affaires moyen des chirurgiens-dentistes.

7. Par ailleurs, il résulte des indications figurant dans l'article de la revue spécialisée en droit fiscal " Les nouvelles fiscales ", produit par la requérante elle-même, que pour évaluer la valeur d'un fonds de commerce, la pratique la plus fréquente est de se fonder sur la moyenne du chiffre d'affaires des deux ou trois dernières années, sans qu'il soit besoin d'opérer une pondération, sauf circonstance particulière. S'agissant des cabinets de chirurgien-dentiste, la valeur du cabinet est, par ailleurs, estimée à 35 à 60 % du chiffre d'affaires pour les petites villes, à 40 à 80 % pour les villes moyennes et enfin à 70 à 110 % pour les grandes villes. Le ratio de 60 % retenu par l'administration correspond au milieu de la fourchette des villes moyennes, au nombre desquelles peut être rangée la commune de Haguenau. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à contester la méthode d'évaluation retenue par l'administration.

8. En revanche, il résulte de l'instruction que, pour évaluer la cession litigieuse, l'administration n'a pas pris la moyenne des trois années précédant la cession intervenue le 5 janvier 2007 mais s'est fondée sur la moyenne des chiffres d'affaires du cabinet de M. C... des années 2003 à 2005. Compte tenu des chiffres d'affaires du cabinet sur la période de 2004 à 2006, la valeur vénale du droit de présentation de la patientèle de M. C... peut être évaluée à la somme de 225 000 euros. L'écart entre cette somme et la valeur déclarée par la requérante restant significatif, la Selarl cabinet dentaire C... Patrick est uniquement fondée à solliciter la diminution de son résultat imposable de 653 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2007 et de 1 035 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2008.

En ce qui concerne les pénalités pour manquement délibéré :

9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".

10. En l'espèce, compte tenu de l'écart significatif entre le prix d'acquisition de la patientèle et sa valeur vénale et des liens existant entre le cédant et le cessionnaire, M. C... étant associé majoritaire et gérant de la société, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du manquement délibéré de la Selarl cabinet dentaire C... Patrick, justifiant les pénalités qui lui ont été infligées sur le fondement des dispositions précitées.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la Selarl cabinet dentaire C... Patrick est uniquement fondée à solliciter la diminution de son résultat imposable de 653 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2007 et de 1 035 euros au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2008 et à solliciter la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondant à cette diminution et auxquelles elle a été assujettie au titre de des exercices clos en 2007 et 2008 ainsi que des majorations correspondantes. Elle est ainsi seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a dans cette mesure rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la Selarl cabinet dentaire C... Patrick présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le résultat imposable de la Selarl cabinet dentaire C... Patrick est réduit de 653 euros au titre de l'exercice clos en 2007 et de 1 035 euros au titre de l'exercice clos en 2008.

Article 2 : La Selarl cabinet dentaire C... Patrick est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008 ainsi que des majorations correspondantes, correspondant à la réduction en base prononcée à l'article 1er.

Article 3 : Le jugement n° 1202152 du 4 février 2016 du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Selarl cabinet dentaire C... Patrick est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Selarl cabinet dentaire C... Patrick et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

N° 19NC01859 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01859
Date de la décision : 23/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-03-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Revenus des capitaux mobiliers et assimilables. Revenus distribués.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : HUBLER

Origine de la décision
Date de l'import : 29/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-23;19nc01859 ?
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